Intervention de Nicolas Binet

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 16 mars 2021 à 16h00
Habitat privé dégradé — Audition de M. Nicolas Binet ancien directeur de marseille rénovation urbaine mmes joëlle boneu directrice générale adjointe de l'établissement public foncier d'île-de-france epfif et valérie mancret-taylor directrice générale de l'agence nationale de l'habitat anah

Nicolas Binet, ancien directeur de Marseille rénovation urbaine :

Merci de me convier à vos travaux. Je vais essayer d'y ajouter une pincée supplémentaire de « local », et de montrer comment les publics concernés et les dispositifs qui les accompagnent s'inscrivent dans la ville.

J'ai été président du GIP Marseille rénovation urbaine pendant onze ans et j'ai réalisé dans ce cadre les quatorze projets de renouvellement urbain (PRU) conventionnés avec l'ANRU puis préparé les quatorze nouveaux projets à partir de 2016. La particularité de ces PRU est qu'ils intègrent, au-delà des quartiers HLM, des quartiers anciens et des copropriétés dégradées.

Au-delà de l'approche globale des publics, comment des personnes se retrouvent-elles reléguées et assignées dans certains quartiers, et comment au contraire trouver des mécanismes qui fluidifient le jeu et leur redonner une capacité de tremplin ? Cet aspect modèle les dispositifs d'accompagnement et prédétermine les politiques urbaines des collectivités territoriales.

Le parc HLM n'est pas aujourd'hui le principal pourvoyeur de logements pour les populations les plus pauvres et précaires. En effet, dans les grandes villes, il est à peu près immobile avec un taux de rotation de 5 à 10 % par an et un rythme de construction modéré. Il est de plus très discriminé : en son sein, certains quartiers ont regagné une attractivité et les candidats à la location ne manquent pas ; d'autres, au contraire, ne trouvent pas toujours preneur, y compris parmi les bénéficiaires du droit au logement opposable (DALO). L'allongement des délais de location et, parfois, l'obligation pour les bailleurs de faire des gestes commerciaux rendent visible ce processus.

C'est donc le parc privé dégradé qui est le recours privilégié pour les populations les plus précaires. L'offre et la demande se stimulent l'une l'autre : il y a de la demande car il y a une offre conséquente dans une grande ville pauvre comme Marseille, et l'offre est conséquente parce qu'il y a un public qui se renouvelle. Les loyers sont supérieurs à ceux du parc HLM, mais leur atout décisif est que leur accès est relativement simple : il suffit de payer, nul besoin de présenter de multiples justificatifs. C'est donc le seul moyen que rencontrent certaines personnes pour trouver un toit.

Concernant le décrochage des copropriétés, la situation marseillaise est voisine de ce qui a été exprimé par Mme Boneu sur l'Île-de-France. Avec 80 000 logements inclus dans des copropriétés de plus de 100 logements, la ville de Marseille détient un record de France. Beaucoup de ces logements ont vieilli très vite avec le processus déjà décrit de remplacement des propriétaires occupants par des bailleurs. Leur dépréciation a été accélérée par l'absence d'entretien et d'investissement, et par une gouvernance incapable de prendre les décisions pour redresser la situation et les financer. Des « malgré nous » de la copropriété coexistent avec les propriétaires qui endossent l'habit de marchand de sommeil.

Il conviendrait de parler des professionnels et des problèmes auxquels ont été confrontées les collectivités, particulièrement à Marseille à partir du milieu des années 1990. On assiste à un appel au secours de copropriétés en faillite : les gens ne paient plus leurs charges, soit parce qu'ils n'ont pas compris l'économie d'une copropriété, soit parce qu'elles n'ont plus d'argent.

Les collectivités territoriales ont utilisé toute la batterie d'outils disponibles au gré des lois. Les conventions avec l'ANRU ont été utiles et efficaces. Des Opérations d'intérêt national (OIN) ont été créées. Je n'ai pas parlé des ORCOD, qui n'ont pas eu beaucoup d'attrait en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA) puisque l'EPF n'a pas décidé d'augmenter la TSE. Le bilan de tout cela est qu'il n'y a aucune formule magique. Il faut parvenir à réaliser un assemblage de ces outils de manière à faire des acquisitions pour démolir ou pour transférer à des bailleurs sociaux, engager des réhabilitations en maintenant le statut des copropriétés, et conserver une capacité d'adaptation des projets. On a beaucoup progressé sur la boîte à outils, et beaucoup progressé sur un point essentiel : le fait d'éviter le pré-fléchage des réponses en fonction des personnes à qui on s'adresse - par exemple une situation où l'on n'envisagerait par principe pas de réhabilitation pour la seule raison que le financeur pressenti pour le projet ne financerait pas ce type d'opérations.

Pour conclure et en synthèse, je rappellerai premièrement l'enjeu de la cartographie des situations dans la ville et dans les parcs immobiliers pour mieux adapter les réponses et essayer de construire du vivre ensemble.

Mon deuxième point de synthèse concerne le parc HLM : la situation quelque peu immobile que j'évoquais n'est ni satisfaisante ni tenable. Il faut poursuivre et intensifier la requalification des patrimoines qui ne l'ont pas été, sous peine d'avoir une offre qui ne trouve plus d'utilisateurs. Ces situations, compréhensibles dans des marchés déprimés, est difficilement admissible dans des métropoles dynamiques.

Troisième point de synthèse : le parc privé est l'enjeu des prochaines années. Comme cela a été dit précédemment, une course de vitesse est engagée entre les processus de dérive et de dégradation financières et sociales des ensembles et notre capacité à mettre en place les dispositifs. On a toujours une guerre de retard. Nous avons observé des situations où il était initialement possible de sauver une partie de bâtiments, mais ceux-ci ont été délaissés trop longtemps et la pelleteuse devient alors la seule option. Au-delà de tous les sigles et de l'ensemble des outils, il faut un projet urbain pour ces quartiers, qui doit marcher sur quatre pattes : premièrement l'habitat - qu'est-ce qu'on réhabilite, qu'est-ce qu'on démolit ? - ; deuxièmement l'espace public - espaces non bâtis, réseaux vétustes... - dont une partie a vocation à basculer dans le domaine public pour le plus grand bonheur des collectivités territoriales... ; troisièmement, l'accompagnement social des populations les plus fragiles en termes d'insertion, de scolarisation mais aussi en termes sanitaire et médical ; et enfin, quatrièmement, l'intensification d'une gestion urbaine de proximité - entretenir, nettoyer, réparer... On se réjouit à cet égard d'observer que l'ANAH a le souci d'intégrer ces enjeux dans ces financements. Ces quatre piliers peuvent s'intégrer à une ORCOD ou un plan de sauvegarde, mais il faut en général mettre plusieurs ingrédients pour que la soupe soit bonne. Il faut aussi des engagements financiers de long terme, pluriannuels. La capacité de l'ANRU à signer des conventions pluriannuelles est l'un de ses atouts. Il est en outre nécessaire de renforcer les maillons faibles. Il reste des marges de progrès dans les relations avec la justice : les procédures sont extrêmement longues et incertaines, parfois surprenantes, voire désespérantes pour les services juridiques des collectivités. Par exemple, les procédures de carence demandées par le juge pour constater l'incapacité d'une copropriété à accomplir son rôle peuvent durer sur 4 à 5 années, et impliquer de multiples sollicitations d'experts. Il faut mieux impliquer la justice dans les équipes-projets des projets urbains. Le deuxième maillon faible concerne la sécurité : par exemple, les refus d'attribution de logements HLM tiennent le plus souvent aux risques perçus par les attributaires du point de vue de la sécurité publique. La question de la police a donc sa place dans ces projets urbains.

Mon quatrième point de synthèse porte sur la nécessité d'améliorer les relations avec France Domaines pour l'évaluation des biens. Il faut se montrer en capacité de discriminer plus nettement, dans la fixation du prix, les opérations de rachat de biens appartenant à des marchands de sommeil et les rachats à des propriétaires occupants en situation de grande difficulté.

Mon cinquième et dernier point concerne les relations avec l'ensemble des professionnels de l'immobilier. Toutes ces démarches ne peuvent prospérer qu'avec des syndics compétents, disponibles - et donc payés correctement -, les administrateurs de biens, les agents immobiliers et les notaires. Il faut que l'information sur le métier de propriétaire soit mieux diffusée.

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