Intervention de Joëlle Boneu

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 16 mars 2021 à 16h00
Habitat privé dégradé — Audition de M. Nicolas Binet ancien directeur de marseille rénovation urbaine mmes joëlle boneu directrice générale adjointe de l'établissement public foncier d'île-de-france epfif et valérie mancret-taylor directrice générale de l'agence nationale de l'habitat anah

Joëlle Boneu, directrice générale adjointe de l'Établissement public foncier d'Île-de-France (EPFIF) :

Mme le rapporteur a posé une question sur la rotation du stock des EPF. En matière d'habitat privé dégradé, la rotation du stock est très difficile. L'immobilisation du stock peut être donc de longue durée, parfois sur 10-15 ans, le temps de mener à bien leur réhabilitation. Cela peut même parfois s'apparenter à de la subvention dans la mesure où l'opération peut se terminer par une démolition. Le traitement des copropriétés nécessite un soutien financier très important. L'EPFIF a racheté 1 400 logements environ et nous savons que ce stock est immobilisé pour longtemps.

S'agissant des obstacles identifiés, je noterai que beaucoup d'outils existent déjà. Les politiques des copropriétés dégradées fonctionnent et fonctionnent bien entre elles. Les questions d'aménagement et de redressement de copropriétés ont déjà été évoquées. En revanche, l'accompagnement social des ménages est toutefois sous-mobilisé, même lorsqu'il s'agit des aides sociales de droit commun versées par les caisses d'allocations familiales. Le fonds de solidarité pour le logement (FSL) de l'Essonne est par exemple sous-consommé à Grigny, alors que c'est la ville la plus pauvre du département. De même, en Seine-Saint-Denis, du fait de la situation financière tendue du département, les aides du FSL destinées aux propriétaires occupants sont fermées d'accès à Clichy-sous-Bois faute de pouvoir répondre à l'augmentation de l'accès au droit que l'EPFIF y crée par son action... Il faudrait réfléchir à adapter le règlement des FSL départementaux à la situation de certaines copropriétés. C'est ce qui est expérimenté à Grigny : l'adaptation du règlement essonnien pourrait éventuellement permettre de récupérer plus d'occupants grignois.

Il ne faut pas perdre de temps en matière d'accompagnement social : après deux mois d'impayés de charges, c'est souvent déjà trop tard et s'enclenche alors un cercle d'endettement voire de surendettement. Il faut agir donc agir au plus tôt au moyen d'un accompagnement renforcé. Or, les syndics, pour des raisons souvent électorales, hésitent à engager des contentieux avec les mauvais payeurs. Quand des procédures sont lancées, les délais de la justice sont extrêmement longs, et pendant ce temps le propriétaire continue de cumuler les impayés, tandis que le patrimoine commun se dégrade.

Un lien est à faire avec la Banque de France et les commissions de surendettement. Il s'agit en effet du principal dispositif d'accompagnement des personnes surendettées en France, permettant de mettre en place un accompagnement et une négociation avec les créanciers. Ces commissions fonctionnent de manière très autonome et il est parfois aberrant de constater que certaines procédures de surendettement permettent à des propriétaires d'apurer leur dette et de repartir à zéro. Il ne faut pas oublier que l'effacement des dettes du propriétaire n'efface pas les créances de la copropriété, qui deviennent douteuses et seront supportées solidairement par les copropriétaires. Nous nous efforçons d'entrer en contact avec ces commissions, mais nous éprouvons des difficultés à travailler correctement avec elle de sorte que l'EPFIF puisse intervenir au bon moment. En effet, si l'EPFIF est prévenu suffisamment en amont, il peut éventuellement proposer de racheter l'appartement et faire de l'ancien propriétaire son locataire tout en l'accompagnant de façon adéquate. Une articulation entre ces commissions et nos actions de portage immobilier et de redressement de copropriétés est donc à expérimenter. Nous avons fait des propositions en ce sens au ministre du logement.

Parmi les obstacles auxquels nous nous heurtons, je veux également évoquer la question du secteur bancaire et des assurances dans le contexte de précarisation de certains propriétaires que j'ai évoqué. Il existe aujourd'hui des procédures de purge, que nous avons mises en place avec notre notaire, pour négocier des apurements avec les banques. Il s'agit de procédures très spécifiques et individuelles nécessitant un gros travail d'ingénierie. Une négociation avec les banques dépassant le niveau individuel permettrait d'envisager des abandons de créance.

Tous ces dispositifs permettraient de sortir du surendettement de nombreux ménages qui, bien que travaillant pour la plupart, se retrouvent piégés dans cette situation du fait qu'ils sont logés dans des copropriétés dégradées.

Je souhaite également revenir sur la question des syndics et des administrateurs provisoires. Nicolas Binet était resté optimiste au sujet des syndics, pourtant ils font aussi partie des responsables de la dégradation des copropriétés, dont ils ont fait un marché. Ils ont souvent été reconduits année après année sans forcément engager les contentieux qui s'imposaient et leur absence de transparence a contribué à l'accumulation des impayés, entretenue par le très faible niveau de confiance des copropriétaires à leur égard. On peut se demander s'il faut faire venir des bailleurs sociaux pour gérer certains grands ensembles.

Quand une copropriété tombe en faillite, elle peut passer sous administration provisoire dans le cadre d'un mandat judiciaire. La seule personne qui contrôle l'administrateur provisoire aujourd'hui est le juge, via un rapport annuel, établi par l'administrateur provisoire lui-même, faisant état des travaux de redressement. Les juges n'ont donc pas réellement le temps, la capacité ni les compétences pour contrôler l'administration provisoire ; il en résulte un bas niveau de confiance. Pourquoi ne pas permettre au préfet, dans le cadre d'une ORCOD ou du plan Initiative copropriétés, de donner lui aussi son avis au juge sur l'action de l'administrateur provisoire ? Le niveau de défiance actuel, couplé aux honoraires élevés des administrateurs, donnent le sentiment que ceux-ci ont aussi fait des copropriétés dégradées un marché. Ceci est d'autant plus problématique qu'in fine, c'est la collectivité qui les finance alors qu'ils n'ont aucun compte à rendre à l'ANAH.

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