Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 mars 2022 à 9h05
Agriculture et pêche — Pacte vert et autonomie alimentaire de l'union européenne au regard de la guerre en ukraine - examen de la proposition de résolution européenne

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, est un événement historique majeur, dont les conséquences humanitaires, politiques et géostratégiques se précisent chaque jour davantage. Il en va ainsi, en particulier, dans le domaine agricole, face au risque désormais réel de crise alimentaire mondiale d'ici à seulement quelques mois.

Dans ce contexte, nos deux commissions des affaires économiques et des affaires européennes se réunissent aujourd'hui pour examiner une proposition de résolution européenne qui s'inscrit dans le prolongement de nos quatre précédentes résolutions européennes sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) depuis 2017.

Nous regrettons que la réforme pour la PAC 2023/2027, finalement adoptée à la fin de l'année dernière, diverge fondamentalement des orientations défendues par le Sénat. Cette réforme majeure entrera en vigueur le 1er janvier 2023, sans préjudice des dispositions qui interviendront prochainement au titre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » destiné à décliner concrètement le « Pacte vert ». Or les stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité » augurent d'un tournant radical qui équivaut à une seconde réforme de la PAC.

Le double constat d'une menace d'une famine mondiale, du fait de la guerre en Ukraine, et de l'autolimitation de la production agricole européenne nous conduit à vous proposer de prendre une nouvelle fois position dans ce débat, afin que la voix du Sénat soit entendue et que les autorités françaises la relaient.

Pour ce faire, la présidente Sophie Primas et moi-même vous proposons d'adresser un message politique fort. La ligne générale de ce message serait la suivante : au regard de l'impératif d'autonomie stratégique, la guerre en Ukraine implique nécessairement de réévaluer les orientations politiques fondamentales de l'Union européenne en matière agricole. Si la promotion d'objectifs environnementaux est nécessaire au regard des enjeux liés au changement climatique, elle doit se faire en cohérence avec les objectifs économiques, sociaux et géopolitiques du continent, qui requièrent la production d'une alimentation de qualité en quantité suffisante pour les Européens et le monde entier. Il n'est donc pas envisageable de défendre une vision décroissante de notre agriculture.

Dès le printemps 2020, certains acteurs du débat public faisaient part d'inquiétudes et d'objections. La Commission européenne les a ignorées, donnant priorité à l'exemplarité de l'Union en matière climatique, afin d'entraîner la communauté internationale. Depuis, plusieurs études universitaires indépendantes, notamment celles des universités de Kiel et de Wageningen, ainsi qu'une étude partielle réalisée par le propre centre de recherche de la Commission européenne, ont estimé que la mise en oeuvre des deux stratégies précitées exposerait l'Union à un risque avéré de diminution de la production agricole. Cette baisse attendue, dans des proportions de 5 à 20 %, voire davantage selon les filières, s'expliquerait par la chute des rendements des surfaces cultivées et du volume des récoltes, conjuguée à la diminution des revenus des producteurs.

Il s'ensuivrait également un fort recul des exportations européennes et surtout un développement des importations venant se substituer aux productions domestiques, devenues trop chères pour nombre de consommateurs : il s'agirait d'une substitution inédite de denrées produites selon le plus haut standard environnemental du monde par des productions importées, transportées sur des centaines de kilomètres, ne respectant pas nos normes exigeantes. Cette stratégie, évinçant des agriculteurs de nombreux territoires européens à l'heure d'un vaste renouvellement des générations, prend donc le risque d'aboutir à une désastreuse réduction du potentiel agricole européen, sans parvenir à réduire l'empreinte environnementale de l'alimentation du continent.

Dans un monde incertain, l'alimentation est facteur de paix et de stabilité : c'est pourquoi on ne peut envisager sereinement un déclin de la production agricole du continent sans mettre à mal notre autonomie stratégique, notre indépendance alimentaire et notre capacité à nourrir les autres continents.

La guerre en Ukraine oblige donc à débattre de la soutenabilité politique économique et sociale des objectifs du « Pacte vert ».

Cette proposition de résolution européenne vise précisément à demander un aggiornamento de la stratégie agricole de l'Union européenne qui apparaît désormais comme une priorité absolue : une remise à plat des deux stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité » est indispensable, au regard des impératifs d'autonomie stratégique et d'indépendance alimentaire de l'Union européenne.

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