Intervention de Jean-Michel Houllegatte

Commission des affaires européennes — Réunion du 30 mars 2022 à 9h05
Agriculture et pêche — Pacte vert et autonomie alimentaire de l'union européenne au regard de la guerre en ukraine - examen de la proposition de résolution européenne

Photo de Jean-Michel HoullegatteJean-Michel Houllegatte :

Sur la forme, je suis surpris que cette proposition de résolution européenne arrive en débat sans qu'il y ait eu une grande concertation et sans que - et je parle là en mon nom propre - la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable y ait été associée. Nous aurions pu faire un travail conjoint puisque le texte évoque la biodiversité et le Green Deal, comme nous l'avons fait de manière très consensuelle sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Je sais qu'une table ronde a été organisée par la commission des affaires économiques, le 15 mars dernier sur l'impact de la guerre en Ukraine sur le marché agricole et la souveraineté alimentaire, et qu'elle a donné une orientation. Néanmoins, cette précipitation me gêne. Nous devons faire confiance à l'Europe : elle est pragmatique, puisque la Commission européenne a pris un certain nombre de mesures le 23 mars dernier pour autoriser de façon dérogatoire et temporaire la mise en culture de 4 millions d'hectares qui devaient être exclus de la production pour une mise en jachère ou réservés compte tenu de leur impact écologique. L'Union européenne a aussi prévu une enveloppe de 500 millions d'euros pour aider les producteurs.

Sur le fond, nous sommes conscients de l'urgence alimentaire dans un certain nombre de pays extrêmement dépendants du blé russe ou ukrainien. Mais on constate que les crises sont révélatrices de dysfonctionnements de nos systèmes d'organisation. Sur le plan industriel, la Covid nous a fait prendre conscience que notre souveraineté avait des limites dans le contexte d'une économie mondialisée externalisant vers des pays à bas coût des productions à faible valeur ajoutée ou concentrant sur certains lieux hyperspécialisés d'Asie la fabrication de produits de haute technicité, comme les composants électroniques. La crise remet en cause le modèle d'une agriculture productiviste et mondialisée, soumise à des marchés spéculatifs. Elle révèle la fragilité de notre souveraineté alimentaire.

La guerre en Ukraine aura un impact important sur l'approvisionnement en blé des pays extrêmement dépendants. Je fais confiance à l'Union européenne pour prendre des mesures temporaires dérogatoires qui soient adaptées. Il faudra peut-être aussi agir dans le cadre des discussions à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Rendre la stratégie agricole européenne De la ferme à la fourchette responsable d'une future amplification de la crise me semble être un raccourci quelque peu fallacieux : il peut servir d'effet d'aubaine à ceux qui contestent les orientations européennes.

N'oublions pas que cette stratégie réserve une place importante à la sécurité alimentaire en Europe. Notre sécurité alimentaire peut être remise en cause par une multitude d'autres facteurs : le non-renouvellement des générations agricoles ; l'augmentation régulière des terres agricoles soustraites à l'alimentation au profit de cultures destinées à la production de carburant ou d'énergie ; les mutations de terres agricoles entre filières. Par exemple, les transformateurs de la filière lait normande manquent à l'heure actuelle de matières premières à valoriser.

Sans remettre en cause la stratégie et les orientations de l'Union européenne, il sera peut-être nécessaire de prendre des mesures conjoncturelles : je fais confiance à l'Europe. Il ne faudrait pas couper la branche sur laquelle on est assis : d'où la nécessité de poursuivre une exigence forte en matière, à la fois, de protection de l'environnement, de qualité des aliments et de santé publique.

Je voterai contre la proposition de résolution.

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