Je me suis gardé d'aborder le problème sous le rapport du coût du travail - c'est une expression que vous ne trouverez pas dans mon rapport ; autrement, pourquoi ne pas parler aussi de la fiscalité, ou du coût de l'énergie ... ? Je constate simplement que les marges des entreprises sont très basses, d'où l'utilité de leur apporter un ballon d'oxygène pour réenclencher un processus d'investissement. Il faut sortir une partie de l'industrie française d'une compétition par les prix qui l'étrangle. Il faut pour cela créer d'autres avantages. C'est ce qu'a fait l'industrie allemande : à caractéristiques égales, une Volkswagen est 10 % plus chère qu'une voiture française, et pourtant c'est la Volkswagen que les gens veulent acheter. Les pneus Michelin sont plus chers que ceux de ses concurrents, mais ils se vendent parce que l'on sait qu'ils sont meilleurs. Quel avantage dans la compétition internationale ! Cela peut intéresser des secteurs beaucoup plus larges de notre industrie.
Les impôts et les charges sociales des entreprises sont plus bas en Allemagne qu'en France, ce qui veut dire que les ménages payent plus ; il en va de même pour l'électricité. Cela est facilité par le fait que le coût du logement représente 16 % des revenus des Allemands, contre 26 % pour nos compatriotes, ce qui handicape l'ensemble de la société française.
Sur le plan social, l'Allemagne a créé à la suite des réformes Hartz deux marchés du travail complètement séparés : celui des grandes et moyennes entreprises, où existent des syndicats très puissants - j'ai pu constater qu'un appel à la grève chez Airbus à Hambourg mobilise 98 % des salariés : tout s'arrête -, et où le dialogue social est beaucoup plus riche qu'en France ; d'autre part le reste du salariat, voué à une précarisation totale, avec beaucoup de temps partiel et sans salaire minimum. Celle-ci induit d'ailleurs des aides indirectes à l'industrie : un ouvrier des abattoirs gagnant quatre euros de l'heure ne vit que grâce au complément des aides sociales, qui reviennent à subventionner les abattoirs allemands, tandis que les nôtres sont soumis à la dure loi que vous évoquiez, monsieur le président, du salaire minimum.
Ce salariat précaire représente un avantage considérable, parce qu'il ne concerne pas l'industrie exportatrice, mais créée autour d'elle un environnement de services et de produits bon marché favorable aux entreprises et à leurs salariés. Jean-Claude Trichet m'expliquait que la vie était moins chère à Francfort que dans les villes françaises. C'est dire avec quelle attention nous observerons l'instauration d'un salaire minimum en Allemagne.
A l'époque de mon rapport, j'avais réfléchi à des mesures plus ciblées en faveur de l'industrie, comme l'amortissement accéléré ou un traitement fiscal privilégié des investissements, mais j'avais préféré une mesure générale et visible pour créer un effet de choc. Je suis cependant assez favorable à l'amortissement accéléré des investissements.
Je suis un défenseur acharné du CIR grâce auquel de petites entreprises ont maintenu leur effort de recherche pendant la crise au même niveau que les entreprises allemandes, et de grandes entreprises comme EADS ont localisé en France leurs activités de recherche, alors que les Anglais déroulaient un tapis rouge pour les attirer. Cela étant, l'expression de « paradis fiscal » pour la recherche me semble un peu excessive - c'est un paradis fiscal pour la bonne cause.