Intervention de Henri Sterdyniak

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 21 mai 2014 à 15h35
Audition de M. Henri Sterdyniak directeur du département economie de la mondialisation de l'observatoire français des conjonctures économiques ofce

Henri Sterdyniak, directeur du département Economie de la mondialisation de l'Observatoire français des conjonctures économiques :

La France est passée d'un taux de chômage de 7 % en 2007 à 10,5 % aujourd'hui, naturellement à cause de la crise du capitalisme mondialisé. Avant 2007, elle a été confrontée à la concurrence commerciale et aux délocalisations. Dans de nombreux pays, la part du travail a baissé au profit de celle du capital. La France a été un peu épargnée sur ce point. Le déficit de demande a été comblé soit par la hausse du déficit public, soit par celle de l'endettement des entreprises et des ménages. Ces hausses ont trouvé leurs limites : les crises des subprimes et de la dette des pays du sud de la zone euro. Les capitaux cherchent partout le plus fort rendement, causant une forte instabilité.

Dans ce contexte difficile où l'Europe est malheureusement inactive, la France doit agir seule, avec des méthodes pas forcément efficaces. La dévaluation étant impossible dans la zone euro de même que la baisse des salaires, il est tentant de procéder à une dévaluation fiscale, sympathique lorsqu'elle est pratiquée dans un seul pays, comme en Allemagne ces dernières années, mais catastrophique si elle l'est partout. Elle peut être compensée par une hausse de déficit public comme en Allemagne de 2000 à 2005 mais produit des effets médiocres sur la croissance.

Pour d'aucuns, la solution miracle serait dès lors de concentrer ces exonérations sur les bas salaires, une fabuleuse élasticité ouvrant la voie à une création considérable d'emplois non qualifiés. Massivement mise en oeuvre en France, cette stratégie est soutenue par tous les économistes français spécialistes du marché du travail. Il est pourtant difficile d'estimer cette élasticité ; supérieure à un (pour 100 d'exonérations, les entreprises augmentent de plus de 100 la masse salariale), elle est valable ; inférieure, elle est nuisible, puisqu'il coûte moins cher de créer directement de l'emploi public. Les travaux empiriques étant très fragiles, les défenseurs de cette politique s'appuient sur des travaux américains anciens, de telle sorte qu'un consensus administratif s'est fait autour d'une fourchette de 0,8 pour le Smic à 0,2 pour les salaires le plus élevés, soit une élasticité moyenne de 0,6. Cela signifie que chaque emploi créé par une exonération sur les cotisations revient à 44 000 euros, contre 24 000 euros pour un emploi public au Smic.

Le risque est de créer beaucoup d'emplois non qualifiés en détruisant des emplois mieux qualifiés - peut-être moins - cela fait baisser la masse salariale. La manipulation du Smic favorise les entreprises où la main d'oeuvre est mal payée, instable, à mi-temps, au détriment de celles où la main d'oeuvre est stable et a une possibilité d'évolution. Cette politique ne correspond pas aux besoins de la France : monter en gamme, trouver des emplois pour des jeunes de mieux en mieux formés. Un taux de chômage des non qualifiés supérieur au taux moyen n'est en rien une caractéristique française : on le retrouve partout. Ce n'est pas dû au Smic, mais à l'effet perroquet : l'employeur cherche toujours le salarié le plus qualifié, même pour un emploi qui ne le requiert pas. L'écart entre les taux d'emploi des deux populations en France n'est pas plus faible qu'ailleurs en Europe, malgré toutes les politiques qui auraient dû le réduire.

Certains économistes s'appuient sur un épisode très particulier, pendant lequel toutes les entreprises ont réduit leurs effectifs : celles qui ont bénéficié d'une exonération ont licencié 40 000 personnes de moins que les autres. Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo multiplient ce chiffre par vingt pour trouver le nombre d'emplois pouvant être créés. On n'a pas le droit d'extrapoler de la sorte ! Cette politique développe des emplois non qualifiés précaires, à mi-temps et installe dans certaines familles une pauvreté qu'il a fallu compenser par le RSA. Elle n'avait pas sa place dans le pacte de responsabilité, par lequel nous demandons aux entreprises de monter en gamme, d'être compétitives et de faire de la recherche et développement.

Votre question sur le financement de la protection sociale est délicate. Si les prestations contributives (assurance chômage, retraite et maladie en espèces) sont financées par des cotisations proportionnelles aux revenus d'activité - je ne serais pas choqué à cet égard que les cotisations salariales pour la retraite augmentent, de manière à ne pas faire peser sur l'entreprise le choix de travailler moins longtemps -, l'héritage du passé veut que les prestations famille et maladie en nature soient financées par des cotisations patronales. Cela a posé un problème de cohérence que nous avons résolu par des prélèvements sur les revenus du capital qui correspondent à peu près à ces dépenses. Le système français, qui peut sembler extérieurement bizarre, n'est en réalité pas si loin du système scandinave, où un impôt sur le revenu massif finance les assurances sociales. Toute réforme qui proposerait de se rapprocher du modèle suédois ne changerait dès lors pas fondamentalement les choses, sinon que les retraités devraient cotiser pour les prestations maladie en nature et famille, ce qui semble difficile à une époque où leurs revenus devraient baisser tendanciellement.

Une piste, refusée par beaucoup de monde, est de financer ces prestations uniquement par l'impôt, ce qui n'est pas forcément injustifié, les entreprises ayant besoin de salariés en bonne santé et qui ne passent pas leur temps à garder leurs enfants. Nous pourrions en revanche changer l'assiette de ces cotisations, en substituant la valeur ajoutée à la masse salariale - une telle assiette a été utilisée pour un nouvel impôt local. Cette réforme, souvent évoquée et souvent rejetée, a l'avantage de favoriser les entreprises à main d'oeuvre contre les entreprises très capitalistiques et de décourager la substitution du capital au travail. Certains y voient un aspect régressif. Le financement actuel est compliqué, mais pas foncièrement injuste.

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