Intervention de Ségolène Royal

Commission d'enquête Concessions autoroutières — Réunion du 9 juillet 2020 à 14h00
Audition de Mme Ségolène Royal ministre de l'écologie du développement durable et de l'énergie de 2014 à 2016

Ségolène Royal :

Je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner devant votre commission. Dans un premier temps, je me suis dit que je n'avais pas de nombreux souvenirs des modalités de négociation du protocole d'accord de 2015, car elles avaient été déléguées à ma directrice de cabinet, Élisabeth Borne, et à Alexis Kohler, qui était le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie. Toutefois, avant de venir devant vous, je me suis replongée dans ce dossier passionnant et je voudrais redonner à celui-ci une perspective historique. Cela permettra de bien comprendre quels étaient les enjeux à ce moment-là.

Je voudrais d'abord rendre hommage à Gilles de Robien car c'est lui qui avait proposé, en 2003, d'utiliser l'argent des péages pour financer l'aménagement du réseau routier non concédé et du réseau ferré, via une agence de financement des infrastructures de transports de France, l'AFITF. Il constatait en effet que la dette des autoroutes diminuait et que plusieurs milliards d'euros de dividendes allaient commencer à entrer dans les caisses de l'État au cours des années suivantes. Il avait alors engagé un bras de fer avec le ministère de l'économie et des finances. Je me permets de citer les propos qu'il a tenu devant votre commission d'enquête: « chaque ministre des Finances me reçoit avec, à ses côtés, toujours le même conseiller partisan de la privatisation des autoroutes. On m'expliquait qu'il fallait vendre les autoroutes parce que cela ferait baisser la dette de l'État. Mais j'avais anticipé ce problème et j'avais fait faire une évaluation par une grande banque parisienne et celle-ci concluait que les autoroutes étaient une manne financière pour l'État. C'est comme ça que j'ai pu résister à Bercy ». Le Premier ministre de l'époque, Jean-Pierre Raffarin, avait en effet tranché en sa faveur. Puis, en 2005, le nouveau Premier ministre, Dominique de Villepin, avec le nouveau ministre de l'économie Thierry Breton, opte pour la privatisation.

Gilles Carrez, qui était alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, avait alors écrit dans un rapport que « l'État faisait une mauvaise affaire puisque même en percevant 20 milliards d'euros, la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes constituait une mauvaise décision du point de vue de l'intérêt général ». Dans un référé de 2009, la Cour des comptes estimait à 24 milliards d'euros la valeur globale des sociétés concessionnaires d'autoroutes privatisées.

Dans un rapport très raide de juillet 2013, la Cour des comptes indique que la négociation des avenants aux contrats de plan est déséquilibrée. L'augmentation des tarifs est supérieure à l'inflation. Les obligations des actionnaires ne sont pas respectées. Elle estime par conséquent qu'il faut impérativement réaliser une contre-expertise et mettre fin à la hausse continue et importante des tarifs.

Puis se succèdent, au cours de l'année 2014, toute une série d'évènements. L'Assemblée nationale et le Sénat, notamment, se saisissent du problème. En novembre 2014 est mise en place une mission d'information conduite par Bertrand Plancher et Jean-Paul Chanteguet à l'Assemblée nationale. Le 4 décembre, une lettre-pétition est signée par 150 députés. Le 17 décembre, un groupe de travail du Sénat est mis en place pour expertiser les recommandations de l'Autorité de la Concurrence, qui dans un rapport de septembre 2014 évoque la rentabilité exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroutes, assimilable à une rente.

C'est dans ce contexte que le Premier ministre de l'époque Manuel Valls met en place un groupe de travail parlementaire sur les autoroutes, qui associe huit députés et sept sénateurs de la majorité et de l'opposition. Une première réunion a lieu à Matignon, à la suite de laquelle le Premier ministre charge les deux directeurs de cabinet Élisabeth Borne et Alexis Kohler de conduire les négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, représentées par Bruno Angles.

Jean-Paul Chanteguet participait au départ au groupe de travail mais il se rend vite compte que les négociations se déroulent ailleurs, sans les parlementaires. Il décide alors de démissionner. Il avait plaidé pour la mise en place d'un système de régie intéressée, dans lequel la puissance publique reprendrait la main en maîtrisant les tarifs de péages et en confiant l'exploitation à des acteurs privés mais aux conditions de l'État. Il estimait que depuis la privatisation, en 2017, 27 milliards d'euros de dividendes avaient été distribués aux actionnaires. C'est dans ce contexte houleux que la négociation avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes aboutit à la signature, en avril, d'un protocole d'accord.

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