Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition pour parler d'un sujet d'actualité, qui s'ancre dans notre société et qui constitue désormais une menace pour la République - ses valeurs, et principalement, la laïcité et le vivre ensemble.
Je voudrais ouvrir une parenthèse pour rendre hommage à nos soldats morts en opération extérieure (OPEX). C'est dire si la menace est à la fois internationale et, hélas !, devenue par le biais de la radicalisation endogène et prédominante ; il faut en tenir compte. Il ne faut plus se voiler la face ; il faut l'affronter avec courage et détermination.
Je tiens à dire également que, de septembre 2015 à septembre 2017, j'ai été chargé de mission au sein du Service central du renseignement territorial (SCRT) du ministère de l'intérieur. À ce titre, certaines informations sont classées, sur lesquelles je ne m'étendrai donc pas.
Toutes les informations que je mettrai à votre disposition sont des recherches dites en « milieu ouvert », accessibles sur Internet et issues de recoupements de la communauté des chercheurs et de la communauté du renseignement.
Tout d'abord, je voudrais faire un bref rappel historique. Je préfère, avec votre permission, parler du contexte vu par un universitaire et par un « spécialiste » du problème.
Nous avons durant près de trente ans constitué en France un modèle de régulation sociale, sociétale et territoriale ambiguë, qui s'est retourné contre certains élus locaux, et contre la République par effet de domino. Le processus de radicalisation n'est pas nouveau, mais il a changé de sémantique. Les frères barbus ont remplacé les grands frères de la version socialiste des années de Mme Martine Aubry. Cela a pris la forme d'une autorégulation du vivre ensemble, qui a été de plus en plus instrumentalisée par les islamistes.
Ma deuxième observation porte sur l'externalisation de la gestion du culte musulman aux États tiers hors France, en particulier au Maghreb. Cette gestion prend deux formes : d'abord le financement, puis l'envoi d'imams pour prêcher et diriger les mosquées. Le financement n'est ni tracé ni dépensé pour ce à quoi il était destiné. Il existe également des agréments accordés par nos services de préfecture à des associations culturelles, dont il s'est avéré avec le temps qu'il suffisait d'enlever le « r » pour en comprendre la réalité. Il s'agit d'associations cultuelles et non culturelles.
Il existe aussi des cours d'arabisation - cheval de Troie pour l'islamisation des enfants et des mineurs, ainsi qu'un calendrier culturel et événementiel organisé en arrière-plan par les consulats pour freiner le processus d'intégration et d'assimilation. Là aussi, il s'agit d'un sujet très sensible. C'est une forme d'ingérence masquée qui bloque le processus d'intégration et d'assimilation républicaines.
Nous pouvons noter également un double langage des élus locaux issus de l'immigration, entre l'appartenance aux valeurs de la République affichée en public et leur allégeance à leurs sources ou leurs origines que sont les pays où sont nés leurs parents ou leurs grands-parents.
Il convient aussi d'évoquer le pullulement des salles de prière. Vous me permettrez de m'attarder quelques instants sur ce sujet, pour faire la nuance entre les mosquées et les salles de prière. Ces dernières sont le véritable laboratoire de la production de la radicalisation ; elles sont le véritable laboratoire de l'apologie du djihadisme et du terrorisme. Alors que les mosquées sont plus ou moins contrôlées dès lors qu'il s'y trouve un recteur et que les imams « fonctionnaires » venus des pays tiers sont tenus par une forme de « retenue ».
Nous pouvons mentionner également le rôle ambigu du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui n'a jamais été clair sur sa position à l'égard des valeurs cardinales de la République, la laïcité en premier lieu.
La prédominance de la langue arabe dans les prêches et dans les mosquées pose aussi problème. Nous n'avons pas un islam français, malheureusement. Nous avons un islam en France. Et nous sommes encore dans cette logique qui a été décriée par l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Force est de constater qu'il avait anticipé l'histoire en qualifiant « l'islam en France » et non « l'islam de France » - par l'arabité, en tout cas.
La doctrine de l'État d'une manière générale, durant toutes ces années, a été concentrée sur la lutte contre la délinquance de voie publique et le sentiment d'insécurité. L'État considérait la radicalisation comme un fantasme des milieux intellectuels et des universitaires, jusqu'à ce que l'on soit rattrapé par l'histoire au moment des attentats.
Il faut rappeler également l'échec de la politique de la ville. Malgré le fait que nous avons dépensé des milliards d'euros, particulièrement dans le plan de M. Borloo pour la rénovation urbaine, qui a tenté de récupérer les fameux « territoires perdus de la République », force est de constater que la République à son tour a raté son rendez-vous avec l'histoire sur les quatre « i » dont j'ai parlé dans un article : l'islam en France, l'immigration en France, l'intégration en France et l'identité française. Ces quatre éléments fondamentaux ont été mis de côté dans le processus de régulation de ces territoires.
Les services de renseignement n'ont cessé d'alerter les autorités et le Gouvernement sur la mobilité de nos concitoyens pour motif religieux à l'étranger. Des milliers partent chaque année dans des markaz, c'est-à-dire des centres islamiques spécifiques au Maghreb, au Moyen-Orient, en Égypte, au Yémen - avant, bien sûr, le déclenchement des Printemps arabes. Et à leur retour personne ne s'est demandé ce qu'ils étaient en train de faire dans ces lieux crisogènes, dans ces lieux vecteurs de l'islam radical.
La libre circulation des imams et des prêcheurs de haine qui viennent souvent dans notre pays est aussi un problème. Comme je l'ai montré dans le livre intitulé Les théoriciens de l'islam radical - Immersion dans le corpus des plus grands prédicateurs radicaux salafistes, wahhabites et fréristes, que j'ai publié lorsque j'étais au ministère de l'intérieur, 60 prédicateurs jouissent d'une totale liberté alors qu'ils déversent de l'acide et des matières corrosives sur la France.
Il faut citer également la lourdeur et les entraves faites aux procédures d'expulsion des imams qui prêchent la haine dans les mosquées. J'ouvre une parenthèse : pendant six mois, j'ai passé des milliers d'heures d'écoute pour traduire ces prêches de l'arabe vers le français et pour comprendre ce langage polysémique, métaphorique, très complexe - il est, bien sûr, lissé et policé lorsqu'il est en français, mais extrêmement corrosif dans sa version originale arabe. Il a fallu six mois pour expulser un seul imam, alors que plus d'une centaine était dans le viseur du SCRT et devait quitter le territoire national.
La multiplication en toute impunité des sites islamiques qui versent dans l'apologie du terrorisme et déconstruisent les valeurs de la République doit aussi être mentionnée, ainsi que la prolifération du commerce communautaire et de l'économie hallal, principal enjeu de l'islam radical dans ces territoires.
En tant qu'universitaire à Paris 13, où j'enseigne, tous les vendredis je ne sais pas si je suis dans une université ou dans une mosquée. Les jeunes filles portent de manière ostentatoire non seulement le voile islamique, mais carrément le hijab et le niqab. Et personne ne peut changer cette réalité alors qu'elle devient de plus en plus visible.
Pendant toute cette période, l'État avait donc pour seules doctrines la lutte contre les violences urbaines et la rénovation urbaine, et on a laissé de côté ce troisième chapitre, qui est le plus dangereux, le traitement de l'islam radical.
Comment cet islam s'est-il développé au sein de nos territoires ?
Les États tiers, j'insiste sur cette information, envoient des imams imbibés de doctrine salafiste ou des Frères musulmans ou du wahhabisme, en toute impunité, sans aucun filtre - qu'il soit cultuel, par référence au CFCM, ou légal, par le contrôle de leurs CV par les autorités.
En réalité, il n'existe pas de rapport de causalité entre radicalisation et crise périurbaine, crise dans les banlieues ou crise sociale. Il ne faut plus mettre ensemble ces paradigmes. Mais nous faisons face à la résurgence de nouvelles identités, d'une nouvelle conflictualité et d'un nouveau rapport de force entre les islamistes et la laïcité. Leur objectif suprême, c'est la déconstruction de la laïcité, faire de notre pays un pays suivant le modèle anglo-saxon américain ou britannique, où la pratique ostentatoire de la religion n'est pas encadrée par la loi.
Pendant tout ce temps, nous avons aussi essayé de répondre à des questions. Qu'est-ce qu'un radicalisé ? Et, in fine, qu'est-ce que la radicalisation ? Pour avoir travaillé sur des centaines et des centaines de notes de service, nous avons pu constater qu'il n'existait pas de profil type de radicalisé.
Là est tout le danger : l'imprévisibilité du passage à l'acte d'une personne radicalisée.
Je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donné ce jour devant les élus de la Nation pour faire quelques propositions innovantes, efficaces et qui n'ont jamais été prises en compte, car elles dépassent le champ juridique pour empiéter sur le politique.
La première proposition est la suivante : il faut couper les financements étrangers de l'islam de France. Je ne suis pas juriste, mais c'est une urgence. Il faut couper la cogestion du fait religieux en France, en redéfinissant des relations claires avec les pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
Il faut aussi sortir du politiquement correct dans nos relations avec les pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite ou le Qatar. La première exporte le wahhabisme et le second finance l'islamisme, pour ne pas dire autre chose, en sus de la caricature consistant à souligner qu'il finance le Paris Saint-Germain Football Club (PSG).
La deuxième proposition est d'introduire l'islamologie comme discipline universitaire, pour soustraire l'islam à l'emprise des prédicateurs. Le temps est peut-être venu de se mettre d'accord sur le fait qu'une communauté de 5 à 6 millions de personnes ancrées en France doit voir son culte ou ses convictions religieuses encadrés au niveau éthique comme au niveau scientifique.
Il faut également contrôler la mobilité des jeunes qui partent dans la nature dans le cadre de la hijrah (« immigration ») ou de la omra (« petit pèlerinage »). Je rappelle que le Qatar finance environ 1 millier de petits pèlerinages chaque année, suivant un critère discriminatoire très alarmant. En effet, la cible, ce sont les convertis. Ces convertis cooptés par le Qatar pour effectuer le petit pèlerinage constituent une dimension nouvelle. Il conviendrait de consolider et de renforcer les partenariats avec les pays du Maghreb sur cette question. Lorsqu'un individu part au Maghreb, il serait bien d'effectuer un débriefing dès son retour en France pour savoir où il s'est rendu.
J'ai identifié 214 centres islamistes (markaz) au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Égypte et au Yémen où se forment ces gens à l'islam radical. Or, à leur retour, ils sont tranquilles ; personne ne leur pose de questions.
Je voudrais aussi vous demander de bien vouloir réfléchir sur les conditions d'attribution d'agrément aux associations. Ces associations, dans leur quasi-totalité, se présentent comme des associations d'amitié franco-marocaine ou franco-algérienne, ou comme des associations de développement durable. Mais, en réalité, ce sont des associations cultuelles, qui ont une emprise sur les salles de prière et, in fine, sur les territoires islamisés.
L'ensemble de ces mesures doit aboutir à une redéfinition de l'islam en France. L'islam en France est un échec. L'islam de France est une illusion. Il faut un islam français. J'entends par « islam français » un contrôle total de son financement. Il faut que la France récupère sa « souveraineté » en se coupant de ces prédicateurs et de ces imams qui viennent de l'étranger.
C'est tout le paradoxe de la laïcité : soit on se tire une balle dans le pied, on ne finance pas le culte, mais on accepte les financements extérieurs - on ne finance pas les imams, mais on importe les imams de l'extérieur - et on subit la cogestion avec les dégâts collatéraux qu'est l'islam radical, soit on fait autrement.
Enfin, il faut aussi redéfinir la mission du CFCM. Il faut faire le ménage au sein de cette institution, qui n'est, en fin de compte, qu'une structure d'influence qui présente publiquement son allégeance à des États tiers au lieu de faire allégeance, d'abord, à la République. Il faut que cette instance soit représentative, démocratique, transparente et laïque - j'insiste sur ce dernier terme. Dans l'état actuel des choses, elle ne l'est pas. C'est un conseil qui s'exporte comme modèle, mais, dans les autres pays, la religion l'emporte sur les valeurs de la République.
Je souhaite également que l'État construise un contre-discours de déradicalisation pour les enfants de la République qui ont été influencés par les trois courants que sont le wahhabisme, le salafisme et les Frères musulmans. Ce processus a déjà été engagé. Certains opportunistes ont alors profité de la détresse de l'État, au pic de l'activité terroriste, pour présenter des protocoles de déradicalisation, alors qu'on était encore à se demander ce qu'était la radicalisation.
Les universitaires et centres de recherche doivent prendre toute leur place pour apporter une assistance technique aux élus de la République afin de finaliser des projets de loi encadrant cet islam « informel », pour ne pas dire sauvage.