Intervention de Youssef Chiheb

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 3 décembre 2019 à 17h00
Audition de M. Youssef Chiheb professeur associé à l'université paris 13 directeur de recherche au centre français de recherche sur le renseignement

Youssef Chiheb, professeur associé à l'université Paris 13, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement :

Pour ce qui est de la menace, si j'ai accepté de venir ici, c'est pour acter cet acte, et, d'une façon subliminale aussi, peut-être pour me protéger. Je reçois des menaces à longueur de journée parce que j'ai dénoncé dans le livre dont j'ai parlé plus haut les 60 prédicateurs qui viennent déverser ce poison dans notre pays.

Je crois que les musulmans ou ceux qui s'assimilent comme tels et adhèrent aux valeurs de la République sont menacés dans leur intégrité physique, mais aussi dans leur liberté de circulation. J'ai reçu plusieurs mails de pays où je suis interdit de séjour : l'Arabie saoudite, le Qatar, l'Égypte, le Yémen, la Mauritanie et l'Algérie. Le seul pays qui me laisse encore entrer, c'est le Maroc, parce que je suis binational. Sans cela... J'ai écrit que des Marocains se trouvaient parmi les radicaux, cela n'a pas été apprécié.

Par ailleurs, l'islam politique est une réalité, non un fantasme. Les Frères musulmans sont en train de s'installer en France. Des enquêtes menées par le Cf2R montrent qu'ils infiltrent également les corps intermédiaires. Ils sont en train d'infiltrer de grandes entreprises. Nous avons ainsi observé une soixantaine de lignes de la RATP pendant six mois. Et nous avons vu le profil type du salafiste conducteur de bus. Le vendredi, sur certaines lignes, entre 12 h 30 et 13 h 30, aucun bus ne circule, car ils sont tous en train de faire leur prière. Cela est inadmissible.

Les Frères musulmans sont aussi en train d'infiltrer les universités. Contrairement aux salafistes qui s'intéressent aux individus défavorablement connus par les services de police, les Frères musulmans s'intéressent aux bac+5. Leur réservoir, ce sont les universités. Car cela fait partie de leur doctrine : infiltrer les corps intermédiaires, les grandes entreprises, les universités, plus tard l'armée, afin de renverser le régime de l'intérieur. C'est le modèle égyptien qui a été appliqué avec Mohamed Morsi. Il faut donc faire très attention.

Dans les médias, il est question de communautarisme. À force de le verser à toutes les sauces, si vous me pardonnez cette expression, ce mot n'a plus de sens. Le communautarisme est une conséquence et non un choix. Certaines personnes vivent le communautarisme dans certains territoires, car elles y sont confinées par l'application de politiques publiques dans les zones d'éducation prioritaire (ZEP) ou parce que les HLM n'attirent pas forcément les classes moyennes ou nos compatriotes de type européen. Certaines personnes veulent se soustraire à ces « ghettos », mais ne peuvent le faire pour des raisons financières.

En revanche, l'islam politique est une réalité. Au cours de nos enquêtes, nous avons vu que, lors des dernières élections présidentielles et législatives - et je serai très attentif aux élections municipales à venir - beaucoup de musulmans avaient voté pour M. Emmanuel Macron. Je le dis avec toute la responsabilité qui s'impose. Cet islam politique est en train de s'infiltrer doucement. La République en Marche (LaREM) constituait un nouvel espace politique dénué d'ancrage territorial et d'ancrage dans l'histoire. Or le vote des communautés musulmanes s'oriente vers ces espaces politiques non ancrés dans les territoires et hybrides.

Lorsque M. Tariq Ramadan se rend en France, je suis toujours heurté. Pourquoi, après tout ce qu'il a dit et avec tout ce qu'il dit, a-t-il encore le droit d'entrer sur notre territoire ? Je rappelle qu'il est étranger et non Français.

Notre démocratie est menacée par plusieurs conflictualités et plusieurs radicalités. Mais celle-ci, propre à l'islam, doit être prise au sérieux. Car ce sont des gens qui travaillent sur le temps géologique. Ils ne sont pas dans une temporalité de trois à quatre ans, mais ils considèrent que la fécondité intrinsèque à la communauté musulmane est un facteur exponentiel pour la masse électorale, jusqu'au jour où ils atteindront la masse critique et pourront constituer un parti politique.

Ce parti ne s'appellera pas « Les islamistes de France » ou « les musulmans de France ». Certainement pas ! Il suffit de regarder les partis politiques au pouvoir dans les pays arabes. Au Maroc, il s'agit du Parti de la justice et du développement (PJD). En Tunisie, Ennahdha signifie « Parti de la renaissance ». En Mauritanie, le nom du parti Tawassoul signifie « être en phase avec son temps ». Ce sont donc des gens qui savent très bien utiliser la sémantique politique pour ne pas s'afficher comme tels. Mais ils ont dans leur projet la volonté de construire, à défaut d'un parti politique, un gisement électoral très important pour négocier des choses avec la République. Et je crains que leur première doléance ne porte sur la laïcité. D'où l'intérêt ou l'urgence de définir une bonne fois pour toutes ce qu'est la laïcité au XXIe siècle, en 2020, et d'établir une feuille de route pour la République pour les dix ou les quarante années à venir, sans laisser de brèches aux uns et aux autres pour faire valoir des choses.

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