Je n'ai pas de commentaire à faire sur la mobilisation des préfets. Le déni que j'ai évoqué est vaste, à la fois interne et externe, puisqu'il concerne aussi notre politique internationale. Dans notre pays, nous considérons qu'une personne qui fait le choix d'émigrer en France change en quelque sorte de nature, qu'elle a renoncé à son système de valeurs et que l'héritage qu'elle véhicule, c'est-à-dire sa culture, est tout à fait superfétatoire. Cela pose la question du rapport très complexe entre le droit du sol et le droit du sang. Notre conception juridique repose sur le droit du sol, mais celui-ci n'abolit pas le droit du sang !
Mes étudiants français d'origine maghrébine sont souvent pris à partie par des douaniers du Maghreb, qui leur demandent s'ils font le ramadan ou aux jeunes filles si elles portent le voile... On renvoie à ces Français, nés en France, qui n'ont parfois jamais mis les pieds au Maroc ou en Algérie, leur marocanité ou leur algérianité. Ce sont certes des problèmes extérieurs, mais qui sont aussi des problèmes intérieurs. Certains États considèrent que des citoyens français sont aussi leurs citoyens, porteurs de leur nationalité. Cela est éminemment lié à la question religieuse.
On ne peut pas changer cette réalité, et chaque pays a son propre système juridique. Mais le déni serait de penser que le simple franchissement de notre frontière ferait disparaître cette dimension. Car ces populations, qu'on appelle en France « d'origine musulmane », mais qui sont considérées au Maghreb comme musulmanes, appartiennent toujours à leur communauté religieuse nationale d'origine, ce qui justifie d'ailleurs l'envoi de religieux. Ce sont en quelque sorte des « captifs ». Certes, ces personnes peuvent individuellement ne jamais retourner dans leur pays d'origine, changer de religion, professer l'athéisme, mais il faut appréhender cette question au niveau global.
La suite du déni, c'est de dire que la religion n'est pas importante. Dans notre pays, la société et la République ont mis la religion dehors, laquelle est devenue une affaire privée. Mais, dans beaucoup de sociétés du monde, par le passé comme aujourd'hui, la religion a une dimension extrêmement puissante sur la détermination des existences, le comportement des individus et des groupes. Certains d'entre nous sont peut-être débarrassés de la religion, qu'ils considèrent comme optionnelle ou « has been », mais, pour d'autres, elle dirige leur vie.
Le cadre législatif et constitutionnel de la laïcité est clairement posé, mais il faut le faire respecter dans sa totalité. On sait, par exemple, qu'il existe un certain nombre de familles polygames en France, que des mariages religieux sont célébrés sans mariage à la mairie. On considère que la situation est anormale si ce sont des chrétiens, mais pas pour des musulmans...
C'est la troisième phase du déni, la folklorisation de l'islam. Dire que la polygamie est une coutume. Dans les pays musulmans, le mariage vaut très souvent acte de loi puisque la loi civile, personnelle, est la loi de l'État. Mais, en France, la loi de l'État prime celle de l'église. Si l'on considère que le mariage est important, tout mariage qui ne respecte pas la loi doit être considéré comme une infraction grave.
Dans la vision idéologique des islamistes, les lois de l'islam sont très supérieures aux lois civiles, dont on peut s'affranchir. On ne peut, pour notre part, dire que tout cela n'est pas grave, que c'est un folklore qui passera. Ces problèmes renvoient à une forme de déni. Je le rappelle, de nombreux terroristes, comme Mohammed Merah, ou membres de leurs familles étaient mariés religieusement. Pourtant, ces mariages illégaux n'ont pas l'air de poser problème parce qu'ils ne sont pas pris au sérieux.