Intervention de Pierre Vermeren

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 3 décembre 2019 à 17h00
Audition de M. Pierre Vermeren professeur d'histoire contemporaine à l'université paris 1 panthéon-sorbonne

Pierre Vermeren, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Je n'ai pas été associé aux comités scientifiques qui ont été évoqués. Au lendemain des attentats, les pouvoirs publics ont décidé de créer une vingtaine de postes pour la déradicalisation dans les universités. Comme personne ne sait ce qu'est la déradicalisation, il a fallu se gratter la tête pour trouver des enseignants ! Finalement, ce sont des spécialistes de l'islamologie, comme des doctorants qui ont travaillé sur le Moyen Âge arabe ou la glose religieuse de l'islam au Moyen Âge... Ce fut une erreur stratégique : les jeunes gens qui sont du gibier pour les recruteurs sont non pas des théologiens, mais des personnes qui souvent ne parlent même pas l'arabe. On leur fournit un kit idéologique express pour leur farcir la tête, on va les chercher dans des milieux sociaux ou des familles très fragiles. Leurs histoires personnelles sont souvent douloureuses ; ces jeunes sont en rupture de ban avec l'école, la société, parfois la religion. Il s'agit vraiment d'un processus sectaire de recrutement.

C'est la raison pour laquelle il faut dissocier les niveaux de responsabilité et de compétences. À la base, on trouve les jeunes recrutés, qu'on ne peut bien sûr pas blanchir des actes qu'ils vont commettre. Je ne sais pas comment on peut les traiter, mais certains sont dans la souffrance, et il faudrait redonner un sens à leur vie, à leur passé, à leurs familles... : cela relève de l'école et l'éducation.

Je suis surpris de voir qu'on ne traite pas le niveau intermédiaire, ces chefs, ces idéologues qui ont de grandes responsabilités historiques, mais qui vivent tranquillement parce qu'ils n'ont rien fait. La Miviludes sert justement à repérer les niveaux intermédiaires.

La déradicalisation renvoie à ce que faisait le Vietminh en matière de lavage de cerveau des prisonniers de guerre américains ou de ce qu'ont essayé de faire les Américains avec la dénazification. On ne sait pas si cela marche, mais je suis très sceptique. Il vaudrait mieux mettre ces personnes à l'isolement. Si l'on leur explique qu'ils se sont trompés, ils vont considérer qu'ils ont en face d'eux le diable, des hérétiques, des personnes sans aucune crédibilité et ils leur couperont la tête s'ils le peuvent. Il faut peut-être leur donner des cours ou les former pendant des années ou des mois, en tout cas, les traiter de manière spéciale sans croire au miracle, même si celui-ci peut parfois s'accomplir. La technique de la dissimulation rend les choses plus complexes encore.

Il faut effectivement appliquer la loi. Je rappelle qu'on n'appliquait pas la loi du divorce aux travailleurs italiens arrivés en France : ils étaient soumis à la loi italienne, c'est-à-dire au droit personnel. On avait peur qu'ils rentrent en Italie si on leur appliquait le code civil. Peut-être s'est-on dit la même chose avec les travailleurs musulmans du Sahel ou du Maghreb ? Rappelez-vous les déclarations d'Hassan II à la télévision française au début des années 1990 : ces travailleurs devaient rentrer dans leur pays. Mais si l'on veut être dans un processus d'intégration, il faut que les personnes qui sont en France et de nationalité française soient soumises au code civil français.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion