Intervention de Pierre Ballester

Commission d'enquête sur la lutte contre le dopage — Réunion du 25 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Ballester journaliste sportif

Pierre Ballester :

Je vous tire mon chapeau pour avoir créé cette commission d'enquête. Vos auditions sont parfois de véritables pensums, mais elles donnent une photographie complète du monde du dopage aujourd'hui.

Je suis journaliste sportif depuis 1981 : d'abord à l'AFP, avant de rejoindre L'Équipe, où j'ai suivi pendant douze ans le cyclisme et la boxe. Le Tour de France 1998 a été mon acte de naissance journalistique. En tant que nègre de Willy Voet, soigneur de l'équipe Festina, puis de son directeur sportif, Bruno Roussel, j'ai eu l'occasion de voir l'envers du décor, qui n'est pas très radieux. En 2004, j'ai publié L.A. Confidentiel avec David Walsh, journaliste irlandais du Sunday Times, premier tome d'une trilogie sur le Darth Vader du cyclisme, Lance Armstrong.

La lutte contre le dopage est effectivement une lutte. Avec un autre journaliste, nous avons étudié le Tour de France, compétition emblématique, entre 1968, année des premiers contrôles antidopage, et 2007. Sur 2 049 coureurs, 35 % ont contrevenu à la réglementation antidopage, qu'il s'agisse de contrôles positifs, d'aveux, de trafic, ou de soustraction aux contrôles. Ce taux passe à 60 % pour les dix premiers du classement, à 72 % sur les podiums, et à 90 % parmi les vainqueurs. Autre constat : les dix derniers Tours de France, huit des treize derniers Tours d'Espagne, et dix des treize derniers Tours d'Italie ont été remportés par des coureurs convaincus de dopage.

La tendance sera impossible à inverser. Le sport a toujours été considéré comme un espace de jeu, qui nous renvoie tous à notre enfance. Les instances officielles ne font que surveiller une grande cour de récréation pour adultes attardés. Celle-ci est hélas devenue un lieu de business fertile, dans certains cas une niche fiscale, et elle se laisse gagner par la corruption et la violence.

Contre cela, il n'existe aucune digue solide. Les gouvernements ont laissé le champ complètement libre aux fédérations. L'AMA n'a été créée qu'en 1999, et les instances nationales antidopage les plus vieilles n'ont que douze ou treize ans. Les autorités sportives, nationales ou internationales, sont juge et partie. Le gendarme qu'est l'AMA a des pouvoirs et des moyens d'action très limités. À l'initiative de Juan Antonio Samaranch puis de Jacques Rogge, la moitié de son budget provient des fédérations internationales, qui voulaient garder la lutte contre le dopage dans leur giron... Lorsque l'AMA veut venir sur le Tour de France, elle est rabrouée par l'Union cycliste internationale (UCI). Pour se déplacer, ses représentants doivent demander des visas...

Au niveau national, les agences sont d'une efficacité variable. L'AFLD, surtout sous le mandat de Pierre Bordry, a été honnête et offensive. On ne peut pas en dire autant de l'Agence nationale espagnole, par exemple.

Le dopage sape la valeur d'exemple des grands sportifs. Les champions exercent une certaine fascination sur le public. Les pratiques dopantes des modèles se répandent inévitablement dans la population, dans toutes les catégories d'âge, vétérans pétaradant sur l'anneau de Vincennes ou jeunes pousses du sport. L'inspection d'académie du Languedoc-Roussillon avait mené une enquête auprès de collégiens de 9 à 11 ans : la majorité d'entre eux trouvait normal de se doper pour gagner.

Les bénéfices artificiels du dopage divisent l'encadrement des équipes. Les managers, guidés par les performances, ont évincé les éducateurs animés par une conception noble du sport. Nous en souffrons terriblement. Je travaille en ce moment à la rédaction d'un nouveau livre, dont un chapitre sera consacré à la génération qui vient, supposément plus propre : les sportifs le sont peut-être, mais que faire quand 30 % des dirigeants sportifs des meilleures équipes du Tour de France sont encore d'anciens dopés ?

Les contrôles positifs ne sont en rien un bon indicateur de la situation du dopage. Lance Armstrong, Michael Rasmussen, Richard Virenque n'ont pas été pris en flagrant délit et pourtant !

La lutte elle-même se décline en plusieurs volets : instances de surveillance, analyses et recherches en laboratoire, logistique des contrôles, prévention, sanction, et l'argent destiné à financer l'ensemble. Rien n'est acquis. En treize ans, des progrès considérables ont été faits : les différents acteurs interagissent, des agences ont été créées, les services répressifs font leur travail, Interpol s'est emparé du sujet, les laboratoires ont mis en place le passeport biologique, les coureurs sont chaperonnés, la fédération française de cyclisme a lancé des campagnes de sensibilisation, même dans les petits clubs, et le barème des sanctions a été revu... Le dopage reste, à l'instar du monde des paris illégaux, une vaste entreprise qui nous dépasse. Mais les gouvernements successifs ont consacré à cette lutte les financements nécessaires.

Reste que le rapport de la US Antidoping agency (USADA) du 10 octobre 2012 fait froid dans le dos. Il révèle les stratagèmes que Lance Armstrong et son entourage ont mis en place : leur simplicité laisse perplexe. La méthodologie dopante est déconcertante de simplicité. Il y a treize ou quatorze ans, je me souviens que nous étions persuadés qu'Armstrong n'avait pas eu de cancer, et que, s'il en avait eu un, cela le rendait légitime à recourir à un protocole de dopage sanguin.

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