Intervention de Sophie Diehl

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 18 juillet 2018 à 16h45
Audition de Mme Sophie Diehl conseillère technique « justice des enfants et des adolescents » à la fédération des associations socio-judiciaires citoyens et justice

Sophie Diehl, conseillère technique « justice des enfants et des adolescents » à la Fédération des associations socio-judiciaires Citoyens et Justice :

Pour finir, j'aimerais dire un mot de la justice restaurative. Si on se réfère à la définition de Lode Walgrave, professeur de criminologie à l'université catholique de Leuven et expert mondialement reconnu sur la question, la justice restaurative est orientée vers la réparation des dommages, la réparation des souffrances et des perturbations sociales causées par le délit.

Selon l'article 10-1 du code de procédure pénale, issu de la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, la justice restaurative permet à une victime ainsi qu'à l'auteur d'une infraction de participer activement à la résolution de toutes les difficultés émanant des faits qui ont été commis.

Le point commun entre ces deux définitions est l'approche globale de la réponse à apporter à l'infraction, qu'elle soit commise ou subie. L'approche globale restaure le lien social et permet l'avènement d'un processus dans lequel la victime et l'auteur de l'infraction participent activement à la résolution des problèmes.

La justice restaurative recherche un apaisement pour la victime - réparation des dommages, des préjudices, de la souffrance -, pour la société qui a également été perturbée par la commission de cet acte, mais aussi pour l'auteur, qui joue un rôle actif dans la réparation due à la victime et dans sa propre réinsertion sociale, et ce au travers d'un processus restauratif pouvant mener ou non à une rencontre directe ou indirecte avec la victime. L'important réside dans le processus.

La justice restaurative bouscule les certitudes de l'auteur des faits quant à la représentation qu'il peut avoir de la victime. C'est cette approche globale qui - même si ce n'est pas le but recherché - peut avoir comme effet de mieux lutter contre la récidive et la réitération.

Selon la loi du 15 août 2014 et la circulaire de mise en oeuvre du 15 mars 2017, la justice restaurative est proposée par le système judiciaire à tous les stades de la procédure, en alternative aux poursuites, en présentenciel, en postsentenciel, parfois même pour des faits prescrits.

Elle a la particularité d'être totalement et strictement effectuée en dehors de toute procédure judiciaire. Chaque participant peut donc décider à tout moment et en toute conscience d'arrêter le processus engagé, sans conséquence sur la suite de la procédure judiciaire. La réussite du processus n'a aucun impact sur les indemnités demandées au civil par la victime ou sur la peine encourue au pénal par l'auteur. Aussi rien du processus ne doit-il filtrer auprès du magistrat qui a pu le proposer.

Chez Citoyens et Justice, nous avons une position maximaliste vis-à-vis de la justice restaurative. Nous pensons depuis notre création, en 1983, que l'approche restaurative est intrinsèque à la façon d'exercer l'accompagnement socioéducatif au sein de notre réseau.

Dès 1983, à la création de la Fédération, une réflexion a été menée sur la question de la médiation issue des mesures du contrôle judiciaire socioéducatif. On parlait à l'époque de « justice participative » dans laquelle on demandait à l'auteur et à la victime de trouver ensemble une réponse à un différend. Je passe sur toutes nos études sur la médiation de 1985, 1989, 1994 et sur nos travaux sur la réparation pénale, qui comporte une grande dimension restaurative et prend la victime en considération.

Je passe également sur notre appartenance, dès 2005, au Forum européen de justice restaurative en tant que membre et sur notre participation en 2006 au groupe de travail du Conseil national de l'aide aux victimes, présidé en son temps par le Professeur Robert Cario, qui a conduit à la parution du rapport sur la justice restaurative.

Je m'arrêterai en revanche sur les années 2009-2010 : la Fédération a été sélectionnée par la Commission européenne pour expérimenter la médiation en phase postsententielle en tant que projet de justice restaurative, dont les résultats ont été évalués et salués par Jean Danet, avocat, maître de conférences à l'université de Nantes, membre du Comité d'organisation de la conférence de consensus de prévention de la récidive, dont les conclusions ont servi à l'élaboration de la loi du 15 août 2014.

Jean Danet constate que « cette pratique de médiation en phase de poursuites donne lieu au rétablissement ou au dénouement d'un lien, à l'apaisement d'une crise ou à l'extinction du conflit. Il s'agit d'un moyen de décélérer le temps judiciaire et de prévenir la récidive ainsi que le sentiment de survictimisation alimenté par la perte de contrôle de la victime sur les événements ».

Nous étions alors en 2010, avant la promulgation de la loi de 2014 et la circulaire de 2017 qui posent le principe fondamental de l'étanchéité totale entre le mandat judiciaire et le processus restauratif.

La question qui se posait à nous et à nos associations socio-judiciaires était de savoir comment prolonger notre action restaurative intrinsèque et l'amener vers un processus restauratif plus profond respectant cette obligation de neutralité et de gratuité vis-à-vis des procédures judiciaires.

Aussi avons-nous lancé, en 2016-2017, une recherche-action sur la justice restaurative au sein de notre réseau en nous faisant accompagner par une équipe de chercheurs criminologues créatifs et reconnus, l'Association de recherche en criminologie appliquée (ARCA), qui avait pour objectif non seulement d'identifier les accompagnements restauratifs déjà existants au sein de nos structures, mais aussi de nous permettre de créer des outils adaptés à nos pratiques de terrain pour professionnaliser et approfondir notre démarche restaurative dans le respect des textes légaux en utilisant les mandats judiciaires comme mesure socle, afin de démarrer un processus restauratif pouvant ensuite se prolonger en dehors du domaine judiciaire.

Cette recherche a donné lieu à 90 accompagnements en 2017, avec des résultats très encourageants, notamment sur la prise de conscience manifeste et profonde des auteurs vis-à-vis de leur victime. Nous avons également recueilli des témoignages très intéressants d'éducateurs d'action éducative en milieu ouvert (AEMO), qui trouvent que la justice restaurative change leur posture professionnelle.

Ceci va donc dans le sens d'une prévention tertiaire de grande qualité.

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