Intervention de Sarah Gondy

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 17 février 2022 à 11h05
Audition de mmes valérie schmitt directrice adjointe du département de la protection sociale à l'organisation internationale du travail oit marie-christina dankmeyer spécialiste changement climatique au sein du département de la protection sociale à l'oit frédérique dupuy chargée de mission au sein du bureau de l'oit pour la france sarah gondy conseillère technique du programme de l'oit pour les emplois verts et de Mm. Emmanuel Julien directeur adjoint du département entreprises et jean-louis lambeau conseiller technique au sein du département de la protection sociale à l'oit

Sarah Gondy, conseillère technique du programme pour les emplois verts :

Sur l'emploi et la transition écologique de façon générale, il faut différencier les types d'impacts socio-économiques liés au changement climatique. Se distinguent, d'une part, les impacts physiques, directement liés au changement climatique en lui-même, notamment le stress thermique et la montée du niveau des eaux, et, d'autre part, les impacts liés aux mesures de réponse et de transition. Ces mesures de réponse vont avoir certaines conséquences anticipées, mais aussi d'autres, inattendues et indirectes. Les premiers sont très clairement négatifs sur l'économie : potentielle perte de productivité, perte du niveau des emplois et perte de PIB en particulier. À l'inverse, les impacts de mesures de réponses sont plus différenciés pour les aspects sociaux et environnementaux et peuvent être positifs comme négatifs.

Concernant les impacts physiques, prenons l'exemple du stress thermique sur la productivité au travail. Nos études ont démontré qu'une hausse globale de 1,5 degré de la température d'ici à 2030 équivaudra au niveau mondial à une perte de 2,2 % du temps de travail, ce qui équivaut à 80 millions d'emplois à temps plein. Les effets sont différenciés au niveau des pays : par exemple, l'impact est assez faible sur le nord de l'Europe. Il n'en demeure pas moins que, si aucune mesure n'est mise en place d'ici quelques années pour limiter la hausse à 1,5 degré, les impacts seront plus marqués y compris en Europe.

Le changement climatique présente un réel risque financier et commercial pour les entreprises. La résilience de ces dernières est très importante dans ce contexte. Les entreprises résilientes face au changement climatique sont cinq fois moins susceptibles de licencier des travailleurs et ont beaucoup plus de chances d'avoir des ventes stables, avec également un impact sur leur efficacité et leur productivité, ce que nous avons constaté dans nos études sur la hausse de la température.

Intéressons-nous aux mesures de réponse sur l'emploi : la transition écologique a un impact très positif sur la création d'emplois. La mise en oeuvre de l'accord de Paris d'ici à 2030 pourrait créer dans le monde 24 millions d'emplois nouveaux grâce à la transition énergétique, alors qu'on aurait une perte de seulement 6 millions d'emplois. Cet impact est très marqué au niveau de l'Europe : la transition énergétique pourrait avoir un effet net de 2 millions d'emplois créés. Cela est d'autant plus le cas dans les secteurs liés à la production et à la consommation d'énergie durable comme les transports, l'éolien, le solaire, mais aussi pour toutes les activités en lien avec l'amélioration de l'efficacité énergétique, notamment des bâtiments.

Malgré un bilan général très positif, il ne faut pas masquer les impacts négatifs, dans certains secteurs, de la transition énergétique et écologique, notamment les secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre comme (GES) l'extraction de ressources et l'aviation. Dès lors, avec le passage à une économie verte, certains métiers vont être redéfinis, voire remplacés par d'autres.

J'en arrive à la notion de transition juste, définie par le Bureau international du travail (BIT) comme l'accompagnement d'une action climatique ambitieuse associée à la création d'emplois et à la justice sociale, avec une approche centrée sur l'humain. Il s'agit de maximiser l'effet positif sur l'environnement en même temps que les effets sur les emplois et sur les revenus, en minimisant les impacts sociaux négatifs. Cette transition protège ainsi les personnes vulnérables.

En 2015, le BIT a développé, avec les partenaires sociaux et les gouvernements, les principes directeurs pour une transition juste. Il s'agit d'une feuille de route avec différents points d'entrée pour les politiques de transition juste, afin de soutenir l'action des gouvernements et des partenaires sociaux. L'objectif est d'avoir une cohérence au niveau des politiques sociales, climatiques et environnementales, avec des mécanismes de coordination efficaces au niveau institutionnel, le tout soutenu par un dialogue social à tous les niveaux. Les principes directeurs établissent neuf points d'entrées, qui se répartissent entre les politiques macroéconomiques et sectorielles, les politiques concernant l'emploi, sur le développement des entreprises, les compétences et le marché du travail, et les politiques concernant la protection sociale, avec la sécurité et la santé au travail.

Prenons l'exemple des politiques en termes de compétences : sur les emplois détruits, une partie importante, au niveau mondial, pourra être réallouée à des emplois verts ou durables. Cela nécessite d'identifier les compétences transférables, d'avoir des mécanismes de standardisation, de certification des compétences, des programmes de reconversion ainsi qu'un réel dialogue social pour soutenir ces processus.

Beaucoup de processus de transitions justes ont été mis en place. L'Allemagne a ainsi établi un accord tripartite pour la fermeture des mines de charbon de région de la Ruhr, par exemple. Le Danemark a fixé une date d'abandon des combustibles fossiles d'ici 2050 en parallèle de politiques d'accompagnement. Au Canada, une législation spécifique est en train d'être développée. Enfin, en France, des programmes spécifiques relatifs aux compétences pour les emplois verts ou encore la convention citoyenne pour le climat avec la mobilisation accrue des citoyens ont permis de développer un certain nombre de politiques de transition juste.

Il faut intégrer cette transition juste au coeur des entreprises, à la fois dans leurs objectifs ou dans le développement d'indicateurs, comme en témoigne le travail du World Benchmarking Alliance, mais aussi dans tout ce qui se rapporte à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), le tout accompagné par des politiques qui vont favoriser un environnement favorable à cette intégration de la transition juste. Il existe déjà des principes directeurs au niveau du BIT, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et même des lois en ce sens, comme l'illustre la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre en France.

Certaines entreprises ont déjà intégré le dialogue social sur la transition juste au coeur de leur stratégie et coopèrent avec le gouvernement et les syndicats. Par exemple, une compagnie danoise a développé un accord en Amérique du Nord avec un syndicat important dans le secteur de la construction pour assurer la transition des travailleurs de la construction vers l'éolien en mer. En France, Engie, avec son centre de formation des apprentis, a créé une académie des métiers de la transition énergétique pour accompagner les jeunes vers les métiers de la transition.

Je terminerai par les différentes actions et les programmes mis en place au niveau du BIT. Notre programme-phare de l'action climatique pour l'emploi, auquel la France participe activement, est une initiative multipartite lancée par le Secrétaire général des Nations unies et le directeur du BIT fin 2019. L'idée est d'avoir une alliance pour une action ambitieuse, la justice sociale et la création d'emplois. La France fait partie du conseil d'administration de l'initiative et la soutient financièrement à travers un partenariat, mis en place par le BIT.

L'initiative comporte tout d'abord un volet global centré sur l'innovation et la transition juste, particulièrement son financement. Le second volet est local, au sein des pays, et s'attache à développer au niveau des pays des programmes de soutien à la promotion de la transition juste. En outre, différentes agences des Nations unies, des représentants des travailleurs et des employeurs, les banques de développement mais également plusieurs pays sont membres de l'initiative.

Concernant l'évaluation des impacts, nous souhaitons vous présenter le réseau des institutions d'évaluation des emplois verts (GAIN) qui a été mis en place au sein du BIT. Ce réseau international de chercheurs, d'organismes de recherche et d'organisations internationales a pour objectif de mieux comprendre les effets des politiques vertes et du changement climatique sur l'emploi à travers le développement de méthodologies spécifiques. Ce sont des modèles économiques entrée-sortie qui permettent d'avoir des estimations chiffrées de l'impact des politiques vertes sur l'emploi.

Ces modèles et leurs analyses font l'objet d'échanges réguliers avec les décideurs politiques et les partenaires sociaux. Ce n'est pas de la recherche pour la recherche : il s'agit de définir des options de politique publique et des actions pour soutenir la transition juste.

Il existe par ailleurs plusieurs programmes d'appui aux pays dans la formulation de stratégies nationales pour les emplois verts. Dans le cadre de l'initiative action climatique pour l'emploi et grâce au soutien de la France, nous disposons par exemple d'un projet spécifique sur la dimension sociale de la transition énergétique en Côte d'Ivoire, au Sénégal, et au Nigéria. Un centre de formation sur les emplois verts a ainsi été lancé à Abidjan en novembre 2021.

Nous agissons aussi en appui à l'innovation. L'OIT a lancé son tout premier défi pour l'innovation et la transition énergétique juste. Un mécanisme d'innovation pour les entreprises les aide aussi à faire émerger des solutions durables pour promouvoir un travail décent.

Enfin nous disposons au BIT de tout un volet de cours et de formations sur les emplois verts et la transition écologique, ouverts aux secteurs public comme privé.

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