Intervention de Jean-Louis Lambeau

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 17 février 2022 à 11h05
Audition de mmes valérie schmitt directrice adjointe du département de la protection sociale à l'organisation internationale du travail oit marie-christina dankmeyer spécialiste changement climatique au sein du département de la protection sociale à l'oit frédérique dupuy chargée de mission au sein du bureau de l'oit pour la france sarah gondy conseillère technique du programme de l'oit pour les emplois verts et de Mm. Emmanuel Julien directeur adjoint du département entreprises et jean-louis lambeau conseiller technique au sein du département de la protection sociale à l'oit

Jean-Louis Lambeau, département de la protection sociale :

La protection sociale doit être considérée comme un appui et une condition au développement de la transition juste. Cette protection sociale s'est révélée utile face au changement climatique et à la transition, par exemple lors de la fermeture de mines de charbon, contre des inondations, en matière d'économie verte de digitalisation ou d'énergies renouvelables.

Voyons quelques principes généraux. Il existe bien sûr des documents-cadres et les grandes stratégies de la transition juste et de la protection sociale universelle. Plus spécifiquement, la protection sociale, dans le contexte du changement climatique, doit être intégrée à d'autres politiques et faire partie d'une stratégie d'ensemble qui comprend des éléments liés au travail mais aussi à la réponse aux désastres ou aux politiques environnementales.

Par ailleurs, le système de protection sociale a un système hybride de financement à travers des mécanismes contributifs et non contributifs. L'approche doit être centrée sur l'être humain, grâce au dialogue social et à une représentation tripartite avec des organisations représentatives et la société civile, mais aussi sur des politiques d'inclusion spécifiques : on évoque la nécessité d'un nouveau contrat social associé au changement climatique. Le genre et l'inclusion sont essentiels.

Il n'y a pas de taille unique : chaque système de protection sociale doit être adapté aux caractéristiques propres du pays et des populations qui y vivent. Il n'y a donc pas une solution universelle mais plutôt des processus qui mènent à des solutions sur mesure pour les différents pays. C'est d'autant plus important en matière de changement climatique, où nous raisonnons sur le long terme et où nous sommes dans un processus itératif d'adaptation et de mise en adéquation.

L'approche de l'OIT en matière de changement climatique s'inscrit dans les accords de Paris et s'appuie sur trois piliers, que doit soutenir la protection sociale : l'adaptation au changement climatique, l'atténuation de ses effets et la construction de systèmes universels et résilients.

Concernant l'adaptation, on parle des phénomènes adverses du changement climatique, le niveau de l'eau qui monte, les désastres, les conflits. Ces chocs covariés sont un défi pour la protection sociale, de même que le phénomène croissant de la mobilité humaine, que ce soit les migrations ou déplacements, temporaires ou planifiés. Il y a là tout un champ de travail à explorer. La perspective positive de l'adaptation est celle d'une transformation sociétale.

Le problème est différent pour l'atténuation : il faut accompagner les personnes affectées par ces politiques mêmes, comme l'augmentation du prix de l'énergie ou les pertes d'emploi. De plus, encourager l'entrepreneuriat dans l'économie verte est primordial, aussi bien pour l'adaptation que l'atténuation.

Enfin, sur la résilience des systèmes, ceux-ci doivent être universels, couvrant de façon adéquate toute la population, mais aussi physiquement résistants. Par exemple, les systèmes d'information et les bases de données numériques doivent être protégés. Cela englobe aussi la protection physique des bâtiments et des ressources humaines. Enfin, le financement de cette contrainte supplémentaire est un élément central.

Les pays sont inégalement exposés aux risques liés à l'atténuation et à l'adaptation. L'atténuation touche avant tout les pays producteurs d'énergie fossile, particulièrement les États-Unis. En revanche, l'adaptation, risque le plus important, touche particulièrement l'Amérique latine, l'Afrique et l'Asie du Sud et du Sud-est. À cet égard, la corrélation est très nette entre l'absence de protection sociale et le risque associé au changement climatique. Cela laisse donc à penser que ces deux champs de la politique doivent travailler ensemble.

Le cadre normatif de l'OIT en matière de protection sociale est fondé sur la convention 102, qui définit les neuf branches liées au cycle de vie et la stratégie d'extension de la protection sociale. Au regard du risque climatique, il faut donc l'augmenter. À cet égard, la recommandation 202 relative aux socles de protection sociale a une dimension verticale de cette stratégie d'expansion, qui correspond au fait d'augmenter les services accessibles par la protection sociale, avec des prestations supplémentaires, dites top-ups, en cas de situation particulière. Elle a aussi une dimension horizontale, qui est d'aller vers les personnes qui ne sont pas protégées. C'est sur cet axe que nous travaillons.

En complément de ce que disait Sarah Gondy, les gaz responsables du réchauffement climatique sont majoritairement émis par le secteur de l'énergie, largement basé encore aujourd'hui sur les énergies fossiles. Des migrations d'emploi auront lieu de secteurs vers d'autres : il est nécessaire d'évaluer précisément l'impact sur chaque secteur de la transition, en matière de coûts et de protection sociale.

La corrélation directe entre consommation d'énergie et volume de l'économie, exprimé par le PIB, est ancienne et connue. Or, nous souhaitons faire décroître l'utilisation des énergies fossiles : peut-être sera-ce le cas de la courbe du PIB également. Nous avons déjà dépassé le pic de disponibilité des énergies fossiles. La sobriété est nécessaire et sera un élément de plus en plus important dans la protection sociale.

En matière d'atténuation, il faut soutenir les personnes affectées par les changements : assurance chômage, mais aussi assurance santé et pensions. En termes de logement, les allocations pour le chauffage, dans la mesure où elles favorisent des dispositifs plus efficaces énergétiquement parlant. Je pense aussi au transport.

Des possibilités concrètes de transition, par exemple autour du secteur des forêts, existent aussi : reboisement, utilisation de la biomasse, etc.

La protection sociale est donc un catalyseur et un facilitateur des politiques d'atténuation, ce qu'illustre la crise des gilets jaunes, liée au coût de l'énergie.

Ainsi, le green deal de l'UE a créé un fonds pour aborder ces questions sociales liées à l'atténuation et à la transition juste. Soyons réalistes face à la transition : celle-ci posera de vraies difficultés alors que, indépendamment du changement climatique, les énergies fossiles disparaîtront dans deux ou trois générations, d'ici à 2050 ou à 2100. Elle aura un coût social.

Je pense aussi à Engie, qui a fermé des mines de charbon en Australie : le Gouvernement local a pris en main un dialogue social pour favoriser la retraite anticipée dans d'autres installations similaires, pour laisser des emplois au personnel de la structure fermée. Au Brésil, une garantie de revenus dans le domaine de la pêche, financée par la fiscalité, permet de renouveler les cheptels de pêche.

Un autre point, plus original, mais important, est celui des fonds d'assurance sociale : ils sont de plus en plus poussés vers l'économie verte. Je pense par exemple au challenge de Bonn sur la reconstruction de forêts. Je précise que des pays en développement, notamment en Afrique, développent des programmes similaires. Des fonds d'assurance peuvent aussi travailler conjointement dans le sens de la responsabilité sociale, mais aussi de la bonne gestion des risques liés au changement climatique. C'est aussi un élément de protection des travailleurs, qui financent ces fonds.

Les mesures d'urgence liées à la crise sanitaire, comme au Mozambique, sont l'occasion d'étendre la protection sociale. Cela a lieu de manière horizontale, avec l'enregistrement de nouveaux bénéficiaires pour les mesures supplémentaires. D'autre part, ces dernières s'ajoutent aux bénéfices habituels : c'est la dimension verticale de l'extension, en l'espèce un programme de versements équivalents à trois mois de chômage. L'urgence est aussi une occasion de mobiliser le dialogue social : il ne faut pas négliger la participation tripartite à la définition des programmes de protection sociale.

Dernier exemple, sur l'adaptation : l'assurance santé des Philippines, dont l'usage de la protection sociale face au changement climatique est remarquable, a permis une subvention aux hôpitaux pour dispenser des soins gratuits durant l'épidémie de covid-19.

Au Kenya, on observe des approches paramétrique et anticipative. Des mécanismes habituellement associés au changement climatique sont repris en matière de protection sociale, avec notamment en matière de sécheresse un paiement délivré avant le choc, déclenché par des indicateurs comme la température. Ces démarches valent la peine d'être approfondies.

Ainsi, le changement climatique a un rôle fondamental dans la création des inégalités, et la protection sociale est un moyen de lutter contre ces dernières. Des pays garantissent une égalité de traitement à toute personne présente sur le territoire, y compris immigrée : alors que les migrations vont augmenter à cause du changement climatique, il est primordial que la protection sociale soit portable pour les personnes changeant de pays.

Nous travaillons avec la France sur le changement climatique, notamment avec l'AFD et la délégation aux affaires européennes et internationales (DAEI) du ministère du travail. Je ferai référence à l'initiative, sous l'égide du partenariat pour la protection sociale universelle, d'un groupe de travail sur ce thème.

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