Intervention de Martial Bourquin

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 8 mars 2018 à 11h05
Débat d'orientation

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin :

Certes, les auditions ont confirmé qu'il n'était d'autre solution viable, sur un marché devenu mondial, que la création de groupes de taille suffisante pour lutter à armes semblables avec de nouveaux géants - notamment chinois - gavés de fonds publics. Nous devons créer un grand groupe européen, mais dans des conditions qui préservent les intérêts français. Et pas au risque de voir disparaître aux sites de production indispensables à nos territoires.

Nous avons appris qu'un accord aurait été passé sur Alstom : nous allons en demander le contenu à Bruno Le Maire lors de son audition de cet après-midi. Il est impensable que nous, la représentation nationale, nous n'ayons pas accès à cet accord ; on peut même se demander pourquoi on cherche à nous le cacher...

C'est cela que nous voudrions clairement inscrire dans ce premier volet, en soulignant qu'il pouvait y avoir sinon d'autres stratégies d'alliances, du moins des garde-fous négociés avec le partenaire Siemens, afin que l'opération ne soit pas seulement favorable à un groupe industriel mondialisé, mais qu'elle soit équilibrée entre Siemens et Alstom, afin de pérenniser notre appareil productif.

Or, il existe des instruments de gouvernance, des instruments d'intervention au capital qui auraient pu valablement être utilisés ; et qui ne l'ont pas été. Délibérément. Cela avait déjà été le cas avec le refus de l'Etat de racheter les actions Bouygues. Les participations de l'État ne sont pas simplement une dépense ! Elles ont une valeur ajoutée financière importante pour le pays.

Ce premier volet, nous pensons qu'il faut le traiter sans attendre, et présenter ainsi un rapport d'étape de la mission qui porterait exclusivement sur le dossier Alstom. Nous vous proposons de vous le présenter au cours de la deuxième quinzaine d'avril. Nous aurons, à cette date, suffisamment d'éléments pour nous prononcer en toute connaissance de cause.

Les éléments que nous aurons ainsi exposés dans le cadre de ce rapport d'étape permettront, ensuite, de formuler des propositions générales en contrepoint de l'évolution de ce dossier. C'est l'objet de la seconde étape, que nous vous proposons de traiter dans le cadre du rapport définitif de la mission, au cours de la deuxième quinzaine de mai.

Il s'agirait ainsi de brosser ce que doit être aujourd'hui la stratégie des pouvoirs publics - et pas seulement de l'État, mais également des régions, communautés d'agglomération, et communautés de communes - en faveur de l'industrie.

Assurément, il y a un besoin de gouvernance publique pour l'avenir industriel de notre nation. Les chambres de commerce, que nous avons reçues ce matin, nous ont fait part du maquis actuel d'aides aux entreprises : si notre mission clarifie qui fait quoi, quand, et comment, les choses auront déjà bien avancé. Dans notre économie libérale, tous les secteurs ne sont pas exposés au même degré de concurrence : pour ceux fortement concurrentiels, nous ne pouvons pas nous en remettre au seul marché. La puissance publique doit peser de tout son poids pour accompagner au quotidien nos entreprises industrielles.

À ce stade, les objectifs que nous devons pensons devoir assigner à la stratégie industrielle française sont :

- la définition de domaines considérés comme essentiels dans la compétition internationale, et sur lesquels la puissance publique doit favoriser la dynamique industrielle : l'énergie et les transports sont à cet égard majeurs ;

- la diffusion des outils technologiques du futur (réalité augmentée, robotisation, collecte de la donnée, fabrication additive, cobotique...) dans l'ensemble du tissu industriel, non seulement les grandes entreprises, mais surtout les ETI et les PME. Cela permettra à toutes nos entreprises de prendre vraiment le tournant du numérique. Certains grands groupes, comme Airbus, restent des industries de « main-d'oeuvre ». Mais pour les autres, il faut absolument éviter la rupture technologique, car sinon, ces entreprises vont disparaître ;

- favoriser la croissance des entreprises industrielles pour qu'elles acquièrent une taille critique suffisante pour, justement, s'équiper avec les technologies nouvelles et s'ouvrir davantage à l'exportation ;

- enfin, conserver un maillage effectif des industries sur nos territoires, en maintenant les sites industriels existants tout en créant des synergies avec les autres acteurs du territoire. Il faut tenter de trouver un équilibre entre la menace de métropolisation des industries, qui assèche l'économie de nos territoires, et la nécessité de favoriser les clusters... Les métropoles présentent un véritable risque pour l'équilibre du territoire, car elles fonctionnent comme des aspirateurs au sein de leur région. Soyons vigilants, pour ne pas ajouter la désertification industrielle à la désertification rurale...

Pour atteindre ces objectifs, il nous faudra certainement proposer d'agir sur divers instruments :

- d'abord sur la gouvernance des sociétés : en dissociant peut-être davantage qu'aujourd'hui la détention du capital et l'exercice des droits de vote, ce qui permet de donner une position prééminente à certains actionnaires (notamment l'État) pour la prise de positions stratégiques ; en favorisant, aussi, la position de certains actionnaires - notamment celle des salariés, qui sont un élément de stabilité du capital d'une entreprise ;

- ensuite sur l'investissement étranger en France : il faut certes attirer des capitaux, mais il faut se garder de céder totalement le contrôle de certaines entreprises stratégiques. Il faut également mettre en oeuvre un principe de réciprocité ; c'est un sujet qui doit, pour partie, être traité au niveau européen ;

- nous attendons également de l'État qu'il nous dise comment il compte gérer le désendettement : la vente des participations de l'État au titre du redressement pourrait compromettre nos industries, ce serait donc un très mauvais calcul. On n'arrive plus à lire la stratégie de l'État... en a-t-il seulement une ?

- plus généralement, c'est la question de l'investissement dans l'outil industriel qui est posée. Il faut le dynamiser, avec des dispositifs fiscaux ad hoc, par exemple pour accentuer les investissements dans les robots ou même favoriser un actionnariat plus stable, en agissant tant sur l'épargne populaire que sur l'actionnariat institutionnel des sociétés d'assurance et des banques. Je vous rappelle que nous avons voté de manière unanime sur tous les bancs un amendement relatif au suramortissement. Nous devons agir aujourd'hui pour éviter que nos entreprises soient en difficulté dans quelques années.

Au niveau de l'action concrète des pouvoirs publics, il faut d'abord s'interroger sur la stratégie de l'État actionnaire, car la gestion des participations de l'État dans les entreprises où il est présent n'est pas suffisamment dynamique et orientée sur les secteurs de pointe de notre compétitivité industrielle.

Il faut aussi marquer notre attachement à ce que l'État reste présent au quotidien sur nos territoires, pour accompagner nos industries. Sur ce point, notre déplacement à Toulouse a mis en exergue la diminution des subventions de l'État aux pôles de compétitivité - au rythme actuel, dans cinq ans, ils n'existeront plus. Cela n'est pas acceptable : l'avenir de notre industrie n'est pas seulement à Saclay, mais bien dans un maillage territorial auquel contribuent fortement les pôles, notamment en jouant un rôle essentiel dans la recherche et le développement. Il faut en simplifier les financements, actuellement trop complexes.

Enfin, il faut que les acteurs de l'industrie eux-mêmes puissent être davantage entendus des pouvoirs publics dans la définition de leur action. Nous sommes loin de la relation de confiance et de collaboration qui prévaut en Allemagne entre le patronat, le gouvernement et les syndicats - notre déplacement à Munich l'a montré. Leur priorité : l'industrie, la production, l'emploi et la capacité à exporter. Il faut trouver les moyens de se rapprocher de cette vision. Sur ce point, la politique de filières est indispensable, et la réforme du conseil national de l'industrie, en cours, va certainement dans le bon sens. D'autres actions complémentaires peuvent être préconisées par notre mission.

Voilà les grandes orientations de travail que nous vous proposons. Au cours des auditions, des propositions ont été faites par les intervenants - d'autres viendront certainement au cours des auditions à venir. Il nous faut encore expertiser ces propositions, ce qui sera fait dans les prochaines semaines, afin d'aboutir à des actions très concrètes pour redonner souffle et espoir à nos filières industrielles. Notre mission n'est pas une mission comme les autres : nos propositions doivent être dynamiques, percutantes, et aller dans le sens du redressement industriel.

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