Intervention de Martial Bourquin

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 8 mars 2018 à 13h45
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur :

Monsieur le ministre, comme l'a indiqué notre président Alain Chatillon, notre mission porte sur deux objets distincts : un cas très concret, Alstom, et une dimension plus prospective.

J'aimerais d'abord vous interroger sur le dossier Alstom. Nous sommes nombreux à penser que la taille est cruciale pour nos industries dans la concurrence européenne et mondiale, et cela explique, pour l'essentiel, le rapprochement avec un autre acteur du marché mondial. Toutefois, l'accession à une taille critique ne peut se faire à n'importe quel prix, et notamment pas au prix de la prise de contrôle de certains fleurons industriels par des groupes ou des capitaux étrangers. C'est ce qui, malheureusement, est en train de se passer avec Alstom.

Dans ce rapprochement, quelle a été la position de l'État français, qui bénéficiait d'un prêt d'actions de la part de Bouygues lui permettant d'exercer les prérogatives de premier actionnaire d'Alstom ? Comment l'État est-il intervenu, comme actionnaire ou comme puissance régalienne, dans ce dossier et quelles considérations l'ont poussé à accepter le principe d'un nouveau groupe à dominante étrangère ?

Monsieur le ministre, pourrions-nous disposer de l'accord conclu ? Les syndicats ne l'ont pas, la représentation nationale non plus, mais certains l'ont. Cela nous pose problème. Nous savons garder des secrets ! Nous voudrions avoir cet accord, pour rassurer, mais aussi parce que tout n'est pas terminé : l'Europe doit se prononcer, le décret Montebourg va être révisé, nous pourrions donc encore avancer des propositions pour préserver les intérêts français.

Douze sites de production français sont concernés, dans des métropoles, mais aussi dans de petits territoires ruraux. Nous craignons que les décisions futures ne soient guère favorables aux intérêts français. Pouvez-vous nous rassurer ?

Les modalités juridiques et capitalistiques du rapprochement entre Alstom et Siemens garantissent-elles la préservation des intérêts français sur le long terme ? Nous vous avons entendu déclarer que l'État actionnaire n'avait aucun intérêt à détenir seulement un strapontin dans le capital. Pourtant, pouvoir de contrôle et propriété du capital ne sont pas strictement corrélés ; on peut être influent sans être majoritaire en parts ou en droits de vote.

Dès lors, les accords conclus avec Siemens n'auraient-ils pas pu prévoir, sous la forme de droits de gouvernance spécifiques, des droits de veto permettant à notre pays d'avoir voix au chapitre sur les décisions stratégiques de la future entité Alstom-Siemens, par exemple les décisions de fusion, de scission ou d'apport partiel d'actifs ou encore celles qui prévoiraient le transfert du siège social et des centres de décision ?

Comment les effets du rapprochement avec Siemens ont-ils été pris en considération, à la fois pour les sites Alstom et pour leurs sous-traitants ? En plus des douze sites industriels en cause, il y a des centaines de sous-traitants.

On se souvient des conditions posées lors de la cession de la branche énergie d'Alstom à General Electric, elles étaient limitées et n'ont parfois pas été remplies. Où en est-on de l'amende à payer pour chaque emploi non créé ?

La presse s'est récemment fait l'écho du développement de la sous-traitance industrielle italienne dans la coentreprise GE Hydro de Grenoble, avec le transfert, semble-t-il nuitamment et sans les autorisations nécessaires, de certains éléments produits vers des sites transalpins du groupe. Cette situation montre qu'au terme des quatre ans de garantie du maintien des sites et de l'emploi qui figure dans l'accord avec Siemens, rien n'assure qu'il n'y aura pas un démantèlement des sites de production en France.

Par ailleurs, les organisations syndicales, au niveau national, se sont prononcées contre l'opération, tandis qu'au niveau européen, leur position a été de s'abstenir ou de voter contre. Cette position est-elle de nature à infléchir la teneur de l'accord négocié entre Alstom et Siemens et l'État peut-il, le cas échéant, y contribuer ?

Il semble que des négociations ont eu lieu entre l'État allemand, Siemens et IG Metall, avec la participation des Länder. Pourquoi de telles négociations n'ont-elles pas eu lieu entre les acteurs français et l'État ? Avez-vous l'intention de rencontrer les syndicats ?

L'achèvement de cette opération est soumis à sa validation par la Commission européenne, dans son rôle de gardienne d'une « concurrence libre et non faussée ». N'y a-t-il pas un certain paradoxe à vouloir créer des champions européens - c'est l'objectif affirmé de l'opération Siemens-Alstom - tout en étant soumis à des règles de concurrence européenne très strictes dont on peut craindre qu'elles conduisent à des cessions de sites industriels qui peuvent limiter la capacité d'action de champions européens ? Le droit actuel de la concurrence au niveau européen n'est-il pas, dans une certaine mesure, un obstacle à une politique industrielle européenne offensive ? Le Gouvernement français entend-il agir auprès des institutions sur ce point ?

Sur le volet plus général de la stratégie industrielle, plus nous avançons dans nos travaux, et plus nous doutons de l'existence même d'une politique industrielle effective en France. On ne peut se contenter de traiter des seuls aspects macroéconomiques, car la politique industrielle implique, avant toute chose, une vision microéconomique. Cette vision semble aujourd'hui devenue sinon défaillante, du moins sans portée concrète. Nous vous appelons à réagir !

Durant nos visites, dans des pôles de compétitivité comme dans des entreprises de dimension nationale, des dirigeants nous ont signalé des défaillances et nous ont fait part de leur besoin d'un signal clair et lisible en matière de politique industrielle. Notre mission revient ainsi d'un déplacement à Toulouse, où nous avons constaté l'inquiétude qui règne quant à l'avenir français d'Airbus. Les intérêts allemands y semblent de plus en plus favorisés, l'État allemand a même engagé une stratégie publique pour favoriser l'essor de son industrie aéronautique et aérospatiale pour maîtriser l'ensemble de la chaîne de fabrication. Les équilibres à l'oeuvre aujourd'hui chez Airbus risquent d'en faire les frais. J'en veux pour preuve que les sites français d'Airbus ne seraient, semble-t-il, pas privilégiés pour l'établissement des chaînes de fabrication ou de montage des futures gammes d'avions.

Je souhaite que vous évoquiez spécifiquement la question des outils défensifs visant à assurer un contrôle sur les investissements étrangers directs et des moyens de verrouiller la position de certains actionnaires au sein d'entreprises stratégiques. Les outils dont dispose la France dans ce domaine sont clairement en retrait par rapport à ceux qui sont en vigueur non seulement à l'extérieur de l'Union européenne - je pense aux États-Unis - mais également à l'intérieur. L'Allemagne renforce ainsi son arsenal pour faire face à des prises de contrôle étrangères, notamment après le rachat de l'entreprise Kuka par des investisseurs chinois. Des annonces ont été faites récemment dans ce domaine par le Premier ministre ; pourriez-vous préciser vos intentions ?

La participation de l'État au capital d'entreprises industrielles peut être un moyen d'exercer un pouvoir d'orientation sur les décisions stratégiques des entreprises, mais la stratégie adoptée par l'État actionnaire le permet-elle vraiment ? Comment faire des participations de l'État un bras armé pour l'essor de notre industrie ?

On dit souvent, et je sais que c'est également votre position, qu'il y a un problème de croissance des entreprises industrielles en France, avec trop de PME et pas assez d'ETI. Il ressort de nos auditions que des financements sont disponibles, mais que l'un des obstacles à la croissance est la réticence des PME ou ETI, notamment familiales, à ouvrir leur capital, sans perdre pour autant le contrôle de leur société. Le Gouvernement envisage-t-il d'intervenir pour favoriser cette ouverture ?

Le Conseil national de l'industrie s'est réuni récemment et a décidé d'un certain nombre d'actions. La première d'entre elles est la réduction du nombre de filières. Qu'attendez-vous de cette modification et quel doivent être, selon vous, le rôle et l'apport d'une filière ? En quoi les nouveaux contrats de filières se distingueront-ils des engagements pris par le passé au sein des filières ?

Enfin, nous savons que le Gouvernement travaille sur la formation professionnelle. Il est nécessaire de renouveler l'attractivité des métiers de l'industrie, dont beaucoup d'emplois, qualifiés ou non, ne sont pas pourvus. Quelles orientations nouvelles le Gouvernement entend-il donner à la formation aux métiers de l'industrie ?

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