président. – Merci pour cette présentation liminaire très claire, qui pose bien les termes des problématiques auxquelles la filière est confrontée et auxquelles nous sommes évidemment très attentifs.
La parole est à Julien Bargeton, rapporteur pour avis des crédits des industries culturelles de notre commission.
M. Julien Bargeton. – Tel Atlas, je sens peser sur mes épaules une légère pression – mais nous allons essayer de porter le ciel musical !
Il n’est pas anodin que la Première ministre ait choisi un sénateur pour mener la mission dont je suis chargé. Je sais pouvoir m’appuyer sur cette commission, ses travaux et l’expertise des uns et des autres, que j’auditionnerai.
Je voudrais également rendre hommage à Jean-Raymond Hugonet, sur qui je sais pouvoir compter. Pour autant, il faut séparer les choses. Il s’agit d’une mission ministérielle, et il ne faut donc pas mélanger les genres, même si l’apport du Sénat est déjà important.
Le sujet est celui de l’identification des besoins. Pourriez-vous détailler les grandes tendances du secteur, notamment concernant les esthétiques musicales : où en est-on de leur diversité ? Où en est-on, en France, de la part du local ? On entend souvent dire, malgré les quotas, que la musique locale est parfois moins écoutée chez nous que dans d’autres pays, comme le Japon ou la Corée.
Par ailleurs, peut-on revenir sur le sujet de la création française et en parallèle sur l’export ? Que faut-il faire pour renforcer la capacité d’exportation de la création musicale française ?
Que pouvez nous dire, de manière générale sur la filière ? Le directeur du CNM a évoqué la hausse des cachets sans en donner d’explications. Pouvez-vous détailler certaines des évolutions que vous avez évoquées ?
En second lieu, vous êtes tous fort élogieux quant à l’action du CNM – et je crois que nous pouvons l’être également. Chaque année, je rends hommage à vos équipes dans mes rapports, car elles ont accompli un travail exceptionnel dans un temps record, il faut le souligner. On critique parfois l’action publique, mais quand celle-ci est capable de s’adapter, il faut savoir le dire.
Le rôle du CNM est de rassembler la filière, d’être un lieu de ressources. Quelles sont les évolutions ? Comment pourrait-on renouveler ce rôle ? Faut-il revoir la gouvernance dans son ensemble ? Le CNM est l’interlocuteur principal, mais ce n’est pas l’interlocuteur unique.
Par ailleurs, il faudra bien sûr répondre à la question du financement, étant entendu que les outils doivent correspondre à la réalité de l’état des lieux et à celle des besoins. Toutefois, il existe d’autres outils, comme les crédits d’impôt. Quelles sont vos attentes en la matière ?
En parallèle du sujet relatif aux taxes existe aussi celui des recettes existantes et des dépenses. Un crédit d’impôt est en effet une dépense, fiscale certes, mais une dépense néanmoins. Quelles évolutions le crédit d’impôt pourrait-il connaître, notamment en vue de renforcer un certain nombre d’entreprises du secteur, petites ou moyennes ?
Il s’agit pour moi de préparer la rédaction du rapport budgétaire 2023, mais je sais que nous serons amenés à échanger à de multiples reprises dans les six mois à venir.
président. – La parole est à Jean-Raymond Hugonet, qui a été le rapporteur de la proposition de loi sur la création du CNM.
M. Jean-Raymond Hugonet. – Je souhaiterais lire quatre lignes de la synthèse de ce rapport, qui louait la création du CNM, dont nous sommes tous très fiers : « Encore faudra-t-il que les réponses apportées à deux questions absentes de cette proposition de loi permettent aux acteurs de la filière musicale de trouver leur place et de vouloir effectivement se rassembler au sein de cette maison commune : la gouvernance de l’établissement, dont les modalités devraient être déterminées par voie réglementaire, comme son financement, dont la discussion est renvoyée au prochain projet de loi de finances, qui cristallise en effet les inquiétudes du secteur ». Ce n’est donc pas nouveau !
Depuis 44 ans que je pratique ce beau métier de musicien, j’ai l’impression de vivre le film Un jour sans fin. L’heure est grave ! Vous voudrez bien m’excuser de parler ici plus en tant que musicien que sénateur, mais il m’est impossible de faire autrement.
On sait que le secteur de la musique est depuis longtemps en profonde mutation. Je rappelle que c’est le secteur artistique qui, le premier, a connu la révolution numérique. Il l’a connu surtout dans ce qu’il y a de plus important dans la musique, mes chers collègues, et qu’on oublie trop souvent : les créateurs eux-mêmes ont eu à faire face à une révolution numérique et se sont parfaitement adaptés. Ils ont guidé nos vies depuis ce moment avec intelligence et en sachant rebondir à chaque fois, trouvant les moyens de nous faire vibrer.
Aujourd’hui, je suis à la fois très heureux et excessivement agacé. Je suis très heureux, parce que j’ai vraiment le sentiment qu’avec la création du CNM, on a franchi un pas très important en faveur de la musique, et donc de la vie. D’autres l’ont dit brillamment avant moi, notamment Victor Hugo : s’il n’y avait pas la musique, que seraient nos vies ?
En revanche, dès qu’il s’agit d’industrie, je m’agace véritablement : ce métier connaît des lignes de fracture énormes. Tout le monde s’embrasse sur scène – ici même peut-être, autour de la table –, mais entre la musique enregistrée et le spectacle vivant, ce n’est pas forcément l’amour fou, je peux vous le garantir, ayant la chance d’être depuis quelque temps sur scène le week-end.
Il y a un véritable gouffre entre le secteur subventionné et le secteur privé, les musiques savantes, les pratiques professionnelles et les amateurs. Une culture commune est nécessaire. Vous affirmez, monsieur le président – et merci encore une fois pour ce que vous faites avec vos équipes depuis la création du CNM – qu’il n’existe pas de problèmes de financement. C’est vrai pour la structure de base. C’est fondamental, mais le plus intéressant, c’est l’avenir, c’est ce dont on parle aujourd’hui et que l’on devrait avoir déjà abordé depuis un bon moment.
Pour mettre les musiciens autour de la table, c’est plus compliqué : quand le temps se couvre, chacun pense à sa chapelle. C’est un réflexe humain classique. Le CNM vient d’être créé, et c’est une excellente chose. Je défendrai ici aussi la Sacem, qui existe depuis bientôt deux siècles dans notre pays, et dont on peut être fier. Si je partage votre vision sur les objectifs transversaux, monsieur le président – je n’ai rien contre la transition écologique ni contre l’égalité femmes-hommes –, il n’en demeure pas moins qu’il existe des urgences. Elles ont été développées par David El Sayegh et sont très claires : ce sont les créateurs et l’export. J’aimerais que vous nous expliquiez si vous êtes d’accord et savoir comment vous allez faire pour y répondre.
Je voudrais également savoir pourquoi la réflexion n’a pu aboutir avant que des tiraillements n’arrivent sur la place publique, alors même qu’on a besoin d’union et qu’on est incapable de la réaliser. Je trouve cela contre-productif.
Enfin, comment percevez-vous la place des collectivités territoriales ? Elle est importante, et j’aimerais que vous puissiez approfondir cette question.
président. – Merci. Je précise que le film Un jour sans fin, évoqué par Jean-Raymond Hugonet, se termine bien.