– La question de la diversité musicale est extrêmement importante par rapport à la part de la création musicale sur les plateformes de streaming et sur les autres moyens de diffusion de la musique.
De fait, le CNM a repris les missions auparavant assurées par le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), en lien avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Nous allons rendre d’ici quelques semaines l’observation publique portant sur la diversité à la radio, à la télévision et, pour la première fois, sur les plateformes de streaming. Je ne peux toutefois pas vous en donner encore les résultats, car nous sommes en cours d’analyse. C’est une question de semaines.
Il est clair que, notamment sur les plateformes de streaming, qui constituent le mode de développement de créations de valeur majoritaire, le véritable sujet est celui de la découvrabilité et de la visibilité des productions locales. J’ai dit l’autre jour que 70 000 titres nouveaux étaient mis chaque jour en ligne sur les plateformes de streaming. Le responsable de Deezer m’a corrigé en disant qu’on en était à présent à 100 000 titres nouveaux par jour !
Comment émerger dans cet océan ? Quelle responsabilité pour les algorithmes et pour les plateformes ? Quel rôle dans la diversité ?
Je laisserai mes collègues en dire davantage concernant les écoutes nationales, mais il existe une belle visibilité pour la production locale, mais ultra-concentrée sur quelques genres, comme le hip-hop et le rap. Sur le top 10 000, le hip-hop et le rap représentent un quart des écoutes, la majorité étant représentée par la variété internationale, notamment anglo-saxonne, et ce qu’on appelle le back catalog, c’est-à-dire les titres d’un certain âge. Il ne faut donc pas se concentrer sur le top 100 ou sur le top 200.
En second lieu, renforcer l’export me paraît assez simple. Nous disposons d’artistes fantastiques, de professionnels qui connaissent leur métier. Il faut donc s’appuyer sur ce que le Bureau Export, créée par les professionnels et soutenu par l’État, avait fait, traduire des paroles, des livrets de disque, du matériel de promotion, des supports digitaux afin d’être présent sur les réseaux sociaux. Cela fait partie des dépenses éligibles à la fois dans les crédits d’impôt et dans les aides du CNM. Cinq mille concerts ont été réalisés en 2019 par des équipes françaises. On doit pouvoir atteindre les 10 000 à 15 000 avec la musique électro, où il n’y a pas de problème de langue, mais aussi avec la chanson, les musiques d’aujourd’hui, le classique. Si on n’a pas les moyens de leur apporter notre soutien, on passera à côté d’un formidable outil de rayonnement et de développement.
S’agissant de la hausse des cachets, je ne suis pas sûr d’être le mieux placé pour en parler. On nous dit que, du côté des musiques actuelles, cette hausse est de l’ordre de 25 % pour les artistes internationaux qui ont exercé une forme de pression, puis pour les artistes nationaux qui ont suivi, avec des motivations certes humaines, mais qui posent problème en termes de soutenabilité. Je note que dans le classique, la tendance est plutôt à la baisse.
Quant à la gouvernance du CNM, je crois qu’elle fonctionne sous une forme assez originale, avec des dizaines de groupes de travail, un conseil professionnel de 40 membres – on pourrait presque être un peu plus nombreux – pour représenter la facture instrumentale ou tel ou tel secteur qui, indéniablement, fait partie de la chaîne de production de valeur, mais qui n’est peut-être pas assez représenté. C’est dans le décret et non dans la loi, mais c’est en tout cas une question de gouvernance. Pour moi, avec un conseil d’administration de 25 membres, la gouvernance du CNM fonctionne de façon assez agile, quoique complexe.
Le lien avec le classique n’est toutefois pas clarifié. Cela fait partie des ambiguïtés que la loi n’avait pas réglées. La question est posée au ministère de la culture, qui n’est pas représenté aujourd’hui. Le sujet de la taxe, que ne paye pas le classique, mériterait d’être creusé. Les acteurs du classique avaient interrogé le ministère qui n’a, à ma connaissance, pas répondu. C’est une question qui n’est pas évidente, qui comporte des enjeux symboliques plus que financiers, ainsi que des enjeux juridiques.
Pour le CNM, monsieur le sénateur, je ne sais pas si c’est Un jour sans fin, mais c’est en tout cas Un long dimanche de fiançailles, qui a débuté il y a 40 ans. Le film se termine bien également.
Enfin, je suis d’accord avec le sénateur Hugonet : il n’y a pas de musique sans compositeur, quel que soit le nom qu’on donne à ce créateur. Je pense cependant qu’un outil de politique publique ne peut aujourd’hui négliger les questions de diversité, qui sont essentielles. On vit dans un monde concurrentiel, où quelques acteurs qui relèvent plus de l’épicerie universelle que de la création musicale pourraient décider de rayer d’un trait de plume le paysage musical français, je le dis comme je le pense. La musique deviendrait un alibi pour vendre des barils de lessive, alors que la musique n’est pas un produit comme un autre, c’est ma conviction. Un établissement public comme le nôtre ne peut pas dire que la transition écologique est secondaire alors qu’on a connu, cet été, des annulations pures et simples. Ce sont ces aides que nous essayons de calibrer.
Pourquoi existe-t-il des tiraillements ? Les questions que le sénateur Bargeton doit clarifier dans les six prochains mois, de mon point de vue, n’ont pas été creusées par l’administration de l’État, qu’il s’agisse du ministère de la culture ou du ministère des finances. Sentant l’arrivée d’amendements parlementaires à l’Assemblée nationale, certains ont dégainé. C’est humain. Je l’ai regretté, ce n’est pas la peine d’y revenir. On est passé à une autre phase, mais ce n’est pas souhaitable dans la gouvernance du CNM. J’ai dit que tout ce qui affaiblissait le CNM affaiblit en réalité la filière.
S’agissant de la place des collectivités territoriales, nous avons une action très déterminée pour signer des conventions et des contrats avec les régions et les métropoles. Nous avons une toute petite équipe pour cela. C’est un peu soumis à la bonne volonté des élus que je rencontre. Cela a fonctionné pour Clermont-Ferrand, c’est en train de fonctionner avec Montpellier ou Le Havre. J’ai signé avec la région Centre. Cela fonctionne bien, et c’est un levier fondamental.
Pour terminer, je pense qu’il faut sérier les sujets : si on repart sur les questions de légitimité, je pense que l’on va perdre du temps. En clair, j’ai entendu Alexandre Lasch dire qu’on ne remettait pas en cause l’idée d’une contribution des entreprises à la diversité : tant mieux ! Il faut que l’aval finance l’amont et, techniquement, aller voir comment cela se passe, sans tuer ou affaiblir certaines entreprises, y compris dans le streaming, dont on a besoin pour créer de la valeur. Le CNM ne souhaite pas affaiblir qui que ce soit dans la musique européenne.
Existe-t-il des moyens juridiques pour cibler tel ou tel secteur plutôt qu’un autre ou tel segment plutôt qu’un autre, sans créer de rupture d’égalité ? Comment déterminer l’assiette de taxation sur le gratuit ? Il faut considérer le payant, qui est un mode vertueux, sans négliger le gratuit, qui est moins vertueux. Comment faire ? Il existe un précédent, comme la taxe YouTube du CNC, probablement avec des faiblesses juridiques que je ne connais pas.
Il ne suffit pas, selon moi, d’abaisser un abattement pour créer ipso facto une source de financement pour le CNM, mais ce sont des questions de législation fiscale. La qualité de membre de la Cour des comptes du sénateur Bargeton augure bien de la conclusion de ce travail. C’est un travail technique qu’il faut réaliser, et le CNM est à votre disposition pour cela.
Enfin, on parle de 20 millions d’euros pour une filière qui pèse 10 milliards d’euros. Trois cent mille personnes en tirent des revenus. Vingt millions, c’est l’épaisseur du trait. Si on le fait en 2023, on aura vraiment donné sa pleine ampleur à la loi que vous avez votée il y a trois ans.