président. – La parole est aux commissaires.
Mme Sonia de La Provôté. – Beaucoup de réflexions ont été émises, notamment à propos de l’idée de maison commune, qui est certes commune, mais pas complètement, les questions d’équité territoriale et de choix d’accompagnement des collectivités territoriales créant finalement de la dysharmonie ou de la désunion dans certains territoires.
On a vu aussi, par échanges médiatiques interposés, que l’unité n’était pas toujours au rendez-vous quand on devait défendre son propre pré carré. Il reste donc encore quelques questions à régler.
Le modèle économique s’est monté à un moment où un certain nombre de sujets n’existaient pas. Or les défis sont énormes : ressources humaines, cachets, développement durable. Ce sont des coûts importants qui vont s’imposer à la filière, comme le décret son, pour ne parler que de celui-là, ou les questions assurantielles. Je pense aux festivals, avec les problématiques climatiques ou sanitaires, ainsi qu’à tous les problèmes de fonctionnement, de fluides, de matières premières, etc.
On voit bien que la question des surcoûts risque de fragiliser l’existence même du CNM s’il n’a pas les moyens de répondre et de sécuriser la présence et la diversité des acteurs dans les territoires. Ce sujet déborde le cadre du fonctionnement et les échanges que nous avons autour de la taxe streaming. On est là face à une structuration de l’accompagnement qui répond à tous les objectifs identifiés au départ dans le texte de loi sur la création du CNM.
Vous n’avez pas parlé du défi que constituent les jeux Olympiques de 2024. On entend dire que vont s’y ajouter des considérations budgétaires à propos du renchérissement des coûts de sécurité, etc., et de raréfaction d’un certain nombre de ressources humaines. On doit avoir des perspectives budgétaires pour 2023, mais le débat prend déjà en compte la question de 2024.
Par ailleurs, l’observation doit être impartiale. Dans le cas contraire, on arrive aux polémiques actuelles et on n’est pas en capacité de défendre à terme un véritable budget d’accompagnement et de structuration des aides pour 2023-2024 et pour la suite. Or la filière a besoin d’être accompagnée.
Enfin, ma dernière question porte sur l’éducation artistique et culturelle, qui faisait partie des missions du CNM. Je reconnais que cela n’a pas été simple depuis la création de celui-ci. Il n’empêche que le discours est plutôt taiseux sur le sujet. Pour le coup, l’éducation artistique et culturelle concerne aussi l’accès à la diversité musicale dans tous les territoires pour le public adulte de demain. C’est un sujet qui peut également conditionner la réussite du CNM.
président. – Je tiens à préciser que Sonia de La Provôté est présidente du groupe d’études sur les festivals.
Mme Sylvie Robert. – Au préalable, je voudrais d’abord saluer l’action du CNM, que nous avons défendu et soutenu. Nous avons voulu transformer le CNV en CNM, et je crois que nous partageons la même ambition. La ministre a précisé que le CNM n’aurait pas de problèmes de financement. Peut-être conviendra-t-il de prévoir à ce sujet une solution transitoire pour 2023, plutôt qu’inscrire la réforme du CNM dans le PLF. C’est un peu différent.
L’important est de défendre l’intérêt général et la capacité de tous les acteurs de la filière à être solidaires, à pouvoir travailler sur la redistribution et sur la question du partage de l’investissement et de la valeur ajoutée, qui doit être au rendez-vous pour atteindre l’ambition du CNM.
Ce n’est pas anodin, et il faut en avoir conscience. Les polémiques sur le rap n’ont rien apporté. Cela n’aurait pas dû arriver dans le débat public, et cela ne sert pas la cause que nous défendons tous depuis le début au Sénat.
Je vous poserai quant à moi trois questions précises.
Tout d’abord, je trouve que la question de l’observation et de la remontée des données est absolument centrale. Comment se déroule le processus ? Existe-t-il des garde-fous ? Comment garantissez-vous à la fois la fiabilité, la sincérité et l’objectivité des données ? C’est un point méthodologique extrêmement politique.
Par ailleurs, êtes-vous tous d’accord, si taxe sur le streaming il y a, pour taxer les plateformes ? Certains pourront estimer que les abonnements risquent d’augmenter. Quand on voit le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad) et ce qui se passe dans l’audiovisuel aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas.
Enfin, il s’avère que je suis rapporteure pour avis sur le budget « Spectacle vivant ». Lors de nos auditions, une certaine tension est apparue autour de la question des festivals qui relèveraient du CNM et ceux qui relèveraient du Fonds festival. Comment remédier à cette tension, que l’on peut regretter ?
J’attends pour ma part une vision stratégique de la part de l’État afin qu’il puisse revenir sur des fondamentaux, mais la question de la diversité et de l’émergence constitue aussi un sujet stratégique. J’imagine que le rapport de Julien Bargeton va l’y aider. J’espère que, lorsque nous nous retrouverons, nous pourrons nous appuyer sur une vision un peu plus claire du Gouvernement sur la question.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Monsieur le président du CNM, vous avez récemment tiré la sonnette d’alarme au sujet du spectre des déserts musicaux. Après plus de deux ans de pandémie, nous nous attendions à ce que le retour des festivals rime avec une liberté pleinement retrouvée. Dans les Alpes Maritimes, par exemple, le département a offert 500 spectacles, notamment dans les communes rurales, pour soutenir la culture et divertir les habitants.
Vous avez souligné une baisse de fréquentation, avec des inquiétudes sur la saison des festivals 2023. Vous avez par ailleurs évoqué un observatoire de l’analyse. Comment expliquez-vous cette baisse de fréquentation, et quels sont vos leviers pour parvenir à une reprise de la fréquentation ?
Par ailleurs, le Market Centric Payment System (MCPS) consiste à répartir les revenus aux ayants droit en fonction de leurs parts de marché. Ce sont donc les artistes les plus écoutés qui seront les plus favorisés. Deezer suggère quant à lui de passer à un système plus équitable, selon lui, le User Centric Payment System (UCPS). Celui-ci rémunérerait uniquement les artistes écoutés par les abonnés des plateformes. Cela permettrait de rémunérer plus justement les artistes les moins écoutés, mais également de redonner des couleurs à la diversité musicale.
Que pensez-vous de cette proposition ? Va-t-elle selon vous produire les effets escomptés ?
M. Jérémy Bacchi. – Je ne reviendrai pas longuement sur la question de la taxe affectée, mais j’en dirai quand même un mot. Je partage pleinement l’idée de partir des besoins de la filière et d’adapter ensuite les moyens aux besoins. Si, comme vous le dites – et je ne suis pas loin de partager cet avis –, les besoins s’estiment à 50 millions d’euros, on a un trou dans la raquette de 20 à 25 millions d’euros. Nous défendons donc l’idée d’une taxe de 1,5 % sur l’ensemble des plateformes.
En second lieu, j’ai rencontré nombre de festivaliers, à la fin de l’été, qui ont été profondément touchés par le manque de personnel en capacité d’organiser les festivals par rapport à la période Covid et à des reconversions professionnelles. J’aurais aimé connaître votre sentiment sur ce secteur fragilisé. Quelles pourraient être les pistes de travail pour permettre le maintien des plus petits festivals ou des festivals de taille moyenne, qui ont les plus grandes difficultés à recruter, voire à se tenir ?
Enfin, la question de la diversité a été évoquée à plusieurs reprises. N’y a-t-il pas à ce sujet un travail pédagogique à réaliser en amont pour permettre à un certain nombre de musiques de pouvoir trouver leur public ? Lorsqu’un nouveau chanteur apparaît, il ne vient pas empiéter sur d’autres styles musicaux, il se surajoute aux autres. N’existe-t-il pas des pistes de réflexion en ce sens afin, dès le plus jeune âge, d’éveiller très largement à l’ensemble des styles musicaux ?
Mme Laure Darcos. – Avez-vous eu des retours concernant le rapport conjoint qui a été réalisé par l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et l’Inspection générale des finances (IGF) ? Vous avez tous été sollicités, moi aussi, ainsi que le président Lafon. Existe-t-il encore des choses à améliorer ou pensez-vous qu’on pourrait arriver à trouver un juste équilibre entre ce qui a été fait dans le cadre de la proposition de loi de Patrick Chaize sur les produits reconditionnés et vos rémunérations ?
Mme Catherine Morin-Desailly. – Trois années plus tard, j’avoue ma consternation de constater qu’on n’a toujours pas avancé sur le mode de financement du CNM. Jean-Raymond Hugonet, à l’époque rapporteur de la loi, l’a rappelé avec force et à juste titre. Je me revois encore dans l’hémicycle, avec les interventions des uns et des autres, affirmer notre soutien à la création du CNM, en pointant du doigt l’écueil que représentait l’absence d’un financement identifié. Je veux bien que la Covid ait perturbé un certain nombre de fonctionnements, mais tout de même ! Deux ministres plus tard, on n’a toujours pas de modèle sur lequel s’appuyer.
Je veux à mon tour saluer le travail du CNM pendant cette période de crise. Certes, vous avez été financé par le ministère dans le cadre du plan d’urgence, il faut le souligner, et vous n’avez pas manqué de fonds à redistribuer, mais enfin ! Vous avez fait votre travail et avez prouvé votre utilité dans la structuration de la filière.
Je me rappelle qu’à l’époque où s’est créée la taxe sur les plateformes, notamment la taxe YouTube pour le cinéma, nous avions alerté le Gouvernement sur le fait qu’il serait utile d’en affecter une à l’ensemble des industries culturelles, la musique compris. Nous avons eu à nouveau ces débats lors de la création du CNM. Il faudra poursuivre la réflexion sur la taxation des plateformes, cela me semble tout à fait légitime.
S’agissant du financement et de la gouvernance de la filière, qui renvoie au rôle du ministère, comment travaillez-vous avec la direction de la musique ? Vous avez souligné qu’un certain nombre de points n’ont toujours pas été clarifiés. Or on les avait mis sur la table lors des débats qui ont présidé à la création du CNM. On a eu aussi l’occasion de le redire à Franck Riester lors des débats budgétaires. Je l’ai moi-même fait savoir en tant que présidente de l’Association française des orchestres, il y a quinze jours, à notre ministre de la culture. Il serait fort utile de joindre nos efforts pour avancer sur la question des musiques de patrimoine et de création.
S’agissant de la taxe sur la billetterie d’entrée, je rappelle l’exception que prévoit la loi s’agissant des orchestres, dans la mesure où ils relèvent de subventions publiques à 80 %.
Le Parlement aura sûrement un rôle de clarification à jouer. Julien Bargeton, qui se lance dans cette mission, devra nous aider à avancer. Je rappelle que la mission sur l’art lyrique et la mission sur les orchestres sont au point mort. Les comités de pilotage devaient se poursuivre. Ils n’ont toujours pas repris leurs travaux, alors qu’ils avaient été installés par Roselyne Bachelot. Tout est lié dans cette histoire. Tout cela a besoin d’être clarifié, et il est nécessaire d’avoir un vrai plan pour la musique.
M. Pierre Ouzoulias. – En écoutant le débat sur la taxe affectée, j’ai eu l’impression de revivre celui sur la redevance, qui a été tranché par le Gouvernement, celui-ci ayant considéré que les fonds d’aide à l’audiovisuel public devaient être reversés dans le budget général. Je ne sais si c’est votre lettre de cadrage, cher Julien Bargeton mais, si c’est le cas, il faut travailler autrement.
Quant au débat sur la redevance, je regrette vivement, au même titre que le président de la commission, qu’on n’ait pas eu un débat de fond sur le mode de financement du service public de la culture : qui le finance et comment ? Est-ce le seul usager qui finance la culture ou est-ce l’État, sur l’impôt, avec une assiette la plus large possible, qui le finance ? C’est plutôt ma conception du service public. Dans ce cas, il faut trouver une solution pour que personne ne puisse échapper à l’impôt. Je pense bien évidemment aux plateformes et aux GAFAM, car il existe une distorsion de concurrence que vous n’allez pas régler par une taxe affectée. Il y a là un vrai problème de politique publique.
Par ailleurs, le parlementaire que je suis est fatigué d’avoir à discuter tous les ans, au moment du budget, d’une vingtaine ou d’une trentaine de taxes affectées pour la culture. Le ministère de la culture est celui qui a le plus grand nombre de taxes affectées, ce qui ne donne plus aucune visibilité politique au budget de la culture.
Il existe des programmes d’opérateurs, des financements d’opérateurs, mais où est le programme de la culture ? Où sont ses ambitions ? On nous renvoie à chaque opérateur : je pense que ce n’est pas une bonne solution.
M. Jacques Grosperrin. – Si le développement durable et l’environnement ne sont pas une priorité, le CNM doit favoriser en tout cas la contribution de la musique à cette protection. Quelles sont les modalités concrètes et le bilan de cette action ?
Par ailleurs, le Sénat étant la chambre des territoires, j’aimerais savoir quelles sont les forces et les faiblesses des relations avec les collectivités locales, les difficultés, connaître la modalité des échanges, notamment financiers. Quel appui le CNM tire-t-il de cette relation ? Quel appui pratique fournit-il aux collectivités locales ?
président. – Pour faire écho à un certain nombre de remarques, et singulièrement celle de Pierre Ouzoulias sur l’impact d’une taxe, quelle qu’elle soit, qui de l’usager, du diffuseur ou de l’éditeur va la payer ? C’est un point important dans la réflexion qui va s’ouvrir dans les semaines et les mois à venir.