– S’agissant tout d’abord des questions de Mmes de La Provôté et Robert, l’étude de l’observation est un point extrêmement important, qui avait constitué une des explications de la création du CNM.
Concrètement, la direction des études et de la prospective est issue pour l’essentiel des forces du Bureau Export et du CNV. Elle comporte une dizaine de salariés. Nous nous concertons de manière assez systématique sur la méthode. On a besoin des données des professionnels. En matière de taxe sur la billetterie, c’est automatique et cela relève de la déclaration de la billetterie. On consolide donc les données que notre système d’information a permis de collecter.
En revanche, dès qu’on a une étude plus qualitative sur l’user centric, sur la manipulation des streams ou sur la diversité, on a besoin des professionnels. N’étant ni un service fiscal ni l’Insee, nous nous concertons sur la méthode plus ou moins facilement, et on essaye de maintenir cette confiance indispensable à la crédibilité de l’étude.
Concernant l’user centric, on s’est appuyé sur un prestataire externe, les choses étant extrêmement compliquées. C’est un cas de figure qui ne s’est pas reproduit, et l’étude sur la manipulation des streams se fait totalement en interne.
L’exemple est très intéressant. Mme Bachelot, en débat, à l’Assemblée nationale, je crois, nous avait confié cette mission sur la manipulation des streams. Nous avons mis un an et demi à nous mettre d’accord. J’ai failli, en tant que président du CNM, siffler la fin de la partie à plusieurs reprises. C’est vendredi dernier, tardivement, que nous avons finalement fini par recueillir les données, alors que je m’apprêtais à dresser un constat d’échec sur le fait qu’il n’existait pas de transparence.
Certains acteurs ont joué le jeu tout de suite, comme Qobuz, Deezer, Believe. En revanche, d’autres ont traîné les pieds, se sont renvoyé la balle, ont dressé des rideaux de fumée. Finalement, nous avons les données et nous allons pouvoir travailler, grâce aussi à l’aide du SNEP, que je salue.
C’est un enjeu fondamental : les organisations professionnelles, les syndicats ont un rôle d’observation qu’ils se sont construit parce que cela n’a pas intéressé grand monde au sein de la sphère publique pendant des décennies. C’est le Bureau Export qui se chargeait des certifications export. Nous avons repris cette tâche. Le SNEP qui organise les certifications relatives aux disques d’argent, etc., et il le fait très bien. Dès lors qu’il existe un établissement public qui détient cette mission d’observation, il faut qu’on travaille pour pouvoir donner les résultats en tant que maison commune de la musique, car il existe des dispositifs qui en découlent, comme l’accès à des crédits d’impôts ou à des aides publiques. Il est un peu gênant, sur le principe, que des aides publiques ou des crédits dépendent de certifications données par des organisations privées – sans remettre en cause la qualité de ce travail, qui s’est construit pas à pas.
S’agissant du MCPS et de l’UCPS, l’étude faite à la demande de Franck Riester est sortie en janvier 2021. Elle portait sur la question de ce qui se passerait demain si on passait en user centric. Cette étude montrait que cela provoquerait des mouvements d’esthétique marginalisés en termes d’écoute, sans changer les choses. Augmenter de 25 % la rémunération d’une esthétique très peu écoutée représente peu. C’était une photographie, mais le marché du streaming se développe, et une photographie est moins intéressante qu’un film.
Il faut continuer à étudier le sujet, tout en observant qu’il s’agit de relations contractuelles privées entre des plateformes, des fournisseurs de données et des labels. Je ne suis pas sûr de ce que peut faire l’établissement public, voire le législateur, en se mêlant de relations contractuelles de ce type. On en est là, et j’avoue que, depuis l’étude de janvier 2021, il n’y a pas eu de suite, si ce n’est la manipulation des streams, qui sortira d’ici le début du mois de décembre.
Quelques mots sur les festivals. Oui, il existe des vraies craintes pour tous les motifs que j’ai indiqués, en termes de diversité et d’offres. Vous m’avez interrogé sur la baisse de la fréquentation. Je pense que les facteurs sont multiples, à commencer par une offre très abondante en 2022 du fait des reports. Des festivals ont jugé qu’ils s’en sortiraient mieux économiquement s’ils allongeaient leurs propositions. Or ils ont plutôt eu tendance à aggraver la situation, sauf pour les plus gros, qui ont écrasé les autres.
On a assisté à une suroffre de payants, voire de gratuits. Des groupes que je ne vais pas citer ici on fait 30, 40, 50 dates, y compris dans des manifestations locales subventionnées par des communes, des départements ou des régions, faisant concurrence à des manifestations payantes. Je l’ai vécu dans le Sud.
Offre abondante, perte de lien avec le public : c’est la même chose avec le cinéma, le théâtre, alors même que les restaurants sont assez pleins. On a perdu l’habitude d’acheter des billets, peut-être pour des questions de prix. Les festivals engendrent des déplacements, des frais d’essence, etc.
Pour 2023, j’ai entendu le président du Prodiss dire, il y a quelques semaines, qu’un réexamen du modèle était nécessaire pour savoir quoi proposer, à quel public, pour quelle qualité, sûrement pour éviter de soumettre la même chose que le voisin, à 100 kilomètres de là. Cela pose aussi des problèmes de transition écologique : si vous devez faire 100 kilomètres pour voir l’artiste que vous aimez, le bilan carbone ne va pas être bon. On est donc là dans une certaine quadrature du cercle.
Quant aux festivals, à leurs liens avec les Drac et, au-delà, aux questions posées par Mme Morin-Desailly et M. Bacchi, on n’y est pas de mon point de vue, non seulement en matière de festivals mais aussi, plus largement, d’articulation entre l’opérateur et le ministère. Pendant longtemps, le ministère a été réservé sur la création d’un opérateur de la musique. Il y avait, d’un côté, la musique subventionnée, noble, à laquelle on s’intéressait et, de l’autre, les musiques actuelles, largement privées, auxquelles on ne prêtait pas attention.
La loi d’initiative parlementaire, avec l’accord du Gouvernement, a permis de créer le CNM, mais cela n’a pas réglé toutes ses ambiguïtés. Je pense qu’il faut aujourd’hui se poser les questions qu’on se serait posées en 2020. Le ministère de la culture, qui est notre direction de tutelle – et je le dis avec mon devoir de réserve – doit jouer dans certains domaines un rôle stratégique, déterminer les objectifs, la façon de les évaluer, de sanctionner leur non-respect, bref faire de la politique en faveur du secteur musical, plutôt que gérer la subvention ici ou là.
Pour ce qui est des festivals, j’ai la faiblesse de penser qu’en 2021, avec les fonds mis en place par le ministère, nous avons bien travaillé avec les Drac. Elles connaissent le terrain. Il n’y aura pas de délégation territoriale du CNM, ce n’est pas possible, et on doit travailler avec les directions régionales.
En 2021, nous avons géré les crédits de tous les festivals, y compris classiques. Pour que les Drac ne se sentent pas écartées, nous avons transformé nos méthodes de travail afin que la commission festivals examine tous les dossiers d’une région en même temps. La Drac était là. On a régionalisé nos ordres du jour. Certes, nous gérions les crédits, mais il est normal qu’un opérateur opère. Les Drac apportaient leur propre regard. En fin d’année dernière, les états généraux des festivals sont parvenus, pour des raisons que je n’ai pas tellement envie de qualifier, à un arbitrage différent en attribuant les festivals dans le champ de la taxe au CNM, et les festivals classiques aux Drac.
Toutefois, il n’existe pas de commission dans les Drac. Or nous nous concertons et votons les conditions en conseil d’administration. Elles sont publiées. Ce sont des commissions de professionnels qui examinent les dossiers et proposent les aides, que l’établissement délivre ensuite. Je crois que c’est une bonne manière de travailler. L’arbitrage qui a été rendu en décembre 2021 lors des états généraux des festivals – que j’applique naturellement – était un arbitrage administratif, mais non conforme à l’intérêt de la filière ni, peut-être, des Drac.
S’agissant des relations avec les collectivités territoriales, nous avons mis 3,5 millions d’euros en plus des autres interventions. Je fais le tour des régions, en présence des Drac, pour proposer de signer des contrats tous différents. À Clermont-Ferrand, on fait de la musique, de l’image et de la formation professionnelle. Dans la région Centre, c’est autre chose, etc. Il n’y a donc pas de guichet unique, mais un effet de levier. Étant donné l’état des finances locales qu’on annonce, je ne sais quel sera le succès de cette démarche, mais cela permet vraiment de faire plus avec les acteurs locaux, sans créer de machine administrative, puisque c’est en général le CNM et la petite équipe de quatre collaborateurs qui gèrent ces crédits. C’est assez simple et léger. Nous sommes à la disposition des élus pour développer cette action, qui me semble aller dans le sens des acteurs de la musique et être adaptée aux réalités de chaque région.
S’agissant du prix de l’abonnement, je pense que les plateformes n’ont pas encore trouvé le modèle économique. Avoir accès à 100 000 titres supplémentaires tous les jours pour 9,90 euros ne représente pas le juste prix. Le problème vient du fait qu’il existe des abonnements en streaming vidéo, de presse digitale, etc. C’est sûrement une question d’élasticité, mais je pense qu’une taxe sur un chiffre d’affaires national de 1,5 % ne peut pas être l’argument pour augmenter les prix. Il existe bel et bien une question de prix, mais elle n’est de mon point de vue pas liée au projet de taxe.