– Je vous présenterai mon budget dans ses grandes lignes, pour laisser du temps au débat.
Les crédits de mon ministère progressent de 1,08 milliard d’euros par rapport à 2022, hors financements issus du Programme d’investissement d’avenir (PIA) et de France 2030. L’augmentation est continue depuis 2017, atteignant au total 3,6 milliards d’euros sur la période : cette hausse est d’autant plus notable qu’elle s’inscrit dans un contexte économique compliqué, et alors que le Gouvernement engage des dépenses massives pour préserver le pouvoir d’achat des Français.
Le budget de mon ministère pour 2023 s’élève à 25,7 milliards d’euros, dont 14,8 milliards d’euros pour le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » ; 7,8 milliards d’euros pour le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » ; et 3,1 milliards d’euros pour le programme 231 « Vie étudiante ».
L’augmentation des crédits du ministère poursuit, comme vous l’avez dit, trois objectifs principaux. D’abord, une compensation pérenne de la revalorisation du point d’indice aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, aux organismes de recherche à caractère scientifique et technologique ainsi qu’au réseau des œuvres universitaires et scolaire : 500 millions d’euros supplémentaires sont prévus à cet effet, c’était pour moi une « ligne rouge » absolue. Ensuite, conformément à l’engagement que j’avais pris devant vous avant l’été, la poursuite de la trajectoire de la LPR : 400 millions d’euros supplémentaires y seront consacrés. Enfin, une enveloppe d’environ 200 millions d’euros de mesures nouvelles en faveur de la vie étudiante ou de reconduction, pour la rentrée universitaire 2022-2023, de certaines mesures exceptionnelles mises en œuvre depuis la crise sanitaire.
Les trajectoires en crédits et en emplois prévus par la LPR seront pleinement respectées l’an prochain, grâce aux 400 millions d’euros supplémentaires, dont 350 millions pour les programmes du ministère, répartis comme suit : une hausse de 143 millions d’euros pour les universités et établissements d’enseignement supérieur du programme 150 et une hausse de 206 millions d’euros pour les organismes nationaux et les infrastructures de recherche du programme 172.
Ces moyens iront d’abord à des mesures « ressources humaines » : 114 millions d’euros supplémentaires pour améliorer la rémunération et les carrières de l’ensemble des personnels, fonctionnaires ou contractuels, sous statut de droit public ou privé, travaillant dans des organismes de recherche ou des universités. Ces mesures s’ajouteront à l’augmentation du point d’indice ; cette dernière n’est pas « noyée » dans les revalorisations salariales prévues, mais bien additionnelle.
S’ajoute à cette enveloppe de mesures « RH » la hausse d’environ 40 millions d’euros pour le recrutement de doctorants supplémentaires et la revalorisation de leur rémunération. Des doctorants plus nombreux et mieux rémunérés : c’est l’objectif de la LPR que nous mettons en œuvre.
M. Pierre Ouzoulias. – Très bonne mesure !
– Ces revalorisations s’appliquent non pas seulement aux nouveaux contrats, comme c’était jusqu’à présent le cas, mais également aux contrats en cours, car la situation actuelle pouvait créer un sentiment d’inégalité. La rémunération minimale sera ainsi portée, au 1er janvier 2023, à 2 044 euros bruts pour tous les doctorants, soit 3,5 % de plus de ce qui était prévu dans la LPR afin de tenir compte, pour eux aussi, de l’augmentation du point d’indice. Un arrêté interministériel viendra prochainement mettre en œuvre cet ajustement.
Les autorisations d’engagement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) augmentent de 400 millions d’euros par rapport au point de référence qui est 2020. La LPR ne prévoyait pas de montée en charge pour 2023. Les effets de cette augmentation sont déjà visibles, avec le relèvement du taux de sélection des appels à projets à 23 %. En crédits de paiement, la montée en charge des projets sélectionnés se traduit logiquement par une hausse d’environ 44 millions d’euros.
Les budgets des organismes de recherche et des universités gagnent 91 millions d’euros, pour garantir la soutenabilité de leurs recrutements et augmenter les dotations de base des laboratoires.
D’autres augmentations, pour un montant total de 81 millions d’euros supplémentaires, permettront d’améliorer les grands équipements scientifiques et de renforcer le lien sciences-société, en amplifiant la diffusion de la culture scientifique et les transferts des résultats de la recherche vers le monde des entreprises.
Enfin, les 650 créations de postes prévues par la LPR viendront soutenir l’attractivité de la recherche avec 179 nouvelles chaires de professeur junior (CPJ) – 120 pour les universités et 59 pour les ONR –, et 377 doctorants supplémentaires – 268 pour les universités et 109 pour les ONR –, ainsi que 94 postes dans les organismes.
Une nouvelle augmentation de près de 700 millions d’euros des moyens de l’enseignement supérieur permettra, c’est le deuxième point de mon propos, d’améliorer la réussite étudiante et de renforcer une visibilité pluriannuelle des universités sur leurs moyens.
Un premier bloc de mesures, d’un montant de 143 millions d’euros, iront aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche au titre de la LPR, je viens d’en parler.
Le deuxième bloc, ce sont les 364 millions d’euros prévus pour la compensation de la revalorisation du point d’indice pour les établissements ayant accédé aux responsabilités et compétences dites « élargies », à quoi l’on peut ajouter 9 millions d’euros de crédits supplémentaires en titre 2 notamment pour les établissements n’ayant pas accédé à ces compétences élargies ;
Enfin, un troisième bloc, d’environ 160 millions d’euros de mesures nouvelles en faveur de l’enseignement supérieur. Elles visent d’abord à mieux prendre en compte l’évolution de la démographie étudiante, avec le « soclage » d’environ 50 millions d’euros de crédits ouverts au titre du plan de Relance pour la création de places de master et de licence, et une enveloppe complémentaire de 8 millions d’euros pour maintenir le taux d’encadrement dans les établissements relevant du programme 150 à la rentrée universitaire 2023-2024. Ce troisième bloc comprend ensuite le financement d’annonces ou de réformes déjà engagées, avec +13 millions d’euros pour les coûts d’accueil des stagiaires dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) et +8 M€ pour la création de places dans les formations en santé à la rentrée 2023-2024. Sur les formations santé, je mentionnerai la création de 6 nouvelles unités de formation et de recherche (UFR) d’odontologie, la hausse du taux d’encadrement en deuxième cycle et la création d’un nouveau site aux Antilles.
Toujours dans ce troisième bloc, 35 millions d’euros supplémentaires iront à la conclusion de nouveaux contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), qui visent à renforcer la visibilité pluriannuelle des universités sur leurs moyens mais aussi leur implication dans la mise en œuvre des politiques prioritaires – ces moyens s’ajoutent à l’enveloppe du dialogue stratégique et de gestion.
Parmi ces mesures, figurent aussi les moyens supplémentaires pour la programmation immobilière du ministère, avec 30 millions d’euros supplémentaires en crédits de paiement, mais aussi une augmentation de près de 400 millions d’euros des autorisations d’engagement, notamment pour permettre le lancement du Campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris-Nord.
Enfin, toujours dans ce troisième bloc, la compensation en base aux établissements de mesures « RH » transversales mises en œuvre en 2022, pour 17 millions d’euros, telles que les revalorisations de certains personnels administratifs, sociaux et de santé.
Le budget 2023 permet enfin d’améliorer les conditions de vie étudiante et de continuer à lutter contre la précarité étudiante. Je citerai les deux principales mesures annoncées pour le pouvoir d’achat, qui ont à elles seules un impact de 135 millions d’euros l’an prochain : la revalorisation de 4 % des bourses sur critères sociaux à la rentrée universitaire 2022-2023, qui aura un coût en année pleine de 85 millions d’euros environ ; le maintien du repas à 1 euro dans les restaurants universitaires pour les étudiants précaires, soit un manque à gagner d’environ 50 millions d’euros pour les Crous qui sera intégralement compensé par l’État.
Ce budget permet également de renforcer l’accompagnement des étudiants, de mieux protéger leur santé, de mieux prendre en compte leurs difficultés. Je pense au doublement des moyens consacrés pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans les établissements d’enseignement (+1,8 million d’euros) ; c’est un sujet majeur sur lequel j’ai eu l’occasion de m’exprimer il y a deux semaines, à l’occasion du lancement d’une campagne de sensibilisation sur le consentement. Nous amplifierons ainsi notre soutien aux associations et aux établissements dans leurs projets de prévention et de formation.
Je pense également au doublement des moyens dédiés à l’accompagnement des étudiants en situation de handicap, soit une hausse de 7,5 millions d’euros conformément aux conclusions du comité interministériel au handicap de février 2022.
Je citerai également la réforme des services de santé universitaire (SSU) que j’ai annoncée la semaine dernière et pour laquelle je mobiliserai une enveloppe de 8,2 millions d’euros. Les crédits ouverts l’an dernier pour financer la distribution gratuite de protections périodiques dans les restaurants et résidences universitaires sont par ailleurs pérennisés.
Je pense, enfin, à l’augmentation de 3 millions d’euros de l’enveloppe dédiée à la mobilité étudiante afin de faciliter les études dans d’autres académies et à l’international.
Le budget pour 2023 traduit aussi le soutien apporté au réseau des œuvres universitaires et scolaires, avec le renforcement des services sociaux des Crous : 40 travailleurs sociaux supplémentaires seront recrutés, et le dispositif de référents étudiants en résidence universitaire sera pérennisé, afin de lutter contre l’isolement des étudiants et d’améliorer leur accueil en résidence ; 4 millions d’euros supplémentaires seront alloués à la mise en œuvre des objectifs de la loi Egalim en faveur d’une alimentation équilibrée et de qualité, sachant que ces objectifs impliquent un renchérissement des coûts d’approvisionnement ; en plus de la compensation du point d’indice, qui correspond à 15 millions d’euros pour le réseau, le budget 2023 permet la revalorisation salariale de ses agents, notamment les personnels ouvriers, à hauteur de 12 millions d’euros supplémentaires.
Je rappelle qu’en plus du budget du ministère, s’ajoutent les crédits de France 2030, ce plan d’investissement massif articulé autour de grands objectifs pour faire émerger les solutions de demain et répondre aux défis de notre temps, en particulier celui de la transition écologique. La recherche et l’innovation sont à la source des nouvelles découvertes, qu’il s’agisse de fonds marins ou de l’espace, de nouveaux médicaments ou de nucléaire, d’agriculture ou de mobilités propres. Le déploiement de ces innovations nécessitera de former de nouveaux talents, en s’appuyant, entre autres, sur l’excellence de nos sites universitaires et de nos établissements. Ainsi, plus de 13 milliards d’euros seront investis au bénéfice des acteurs de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation sur la période 2020-2027.
Enfin, un mot sur la question de l’énergie. Je suis pleinement consciente de l’impact des surcoûts et des incertitudes qu’ils génèrent pour nos établissements, notamment pour la préparation des budgets 2023. Les surcoûts pourraient atteindre, pour les établissements d’enseignement supérieur, environ 100 millions d’euros cette année et 500 millions d’euros l’an prochain en 2023 par rapport à 2021, et pour les organismes nationaux de recherche, ils pourraient être de l’ordre de 40 millions d’euros cette année et 200 millions d’euros l’an prochain.
En raison de la difficulté à évaluer avec précision à ce stade les surcoûts qui seront réellement subis par les établissements, nous examinons avec Gabriel Attal la meilleure façon d’accompagner nos opérateurs, en étudiant différentes options et différents scénarios. Nous serons en mesure de vous le détailler très prochainement.
Pour ce qui concerne l’élaboration des budgets initiaux 2023, qui est la préoccupation immédiate de nos opérateurs, je réitèrerai les consignes très claires que j’ai transmises tant aux universités qu’aux organismes de recherche : les contraintes budgétaires liées aux coûts de l’énergie ne doivent pénaliser, dans toute la mesure du possible, ni les projets de recherche ou d’investissement, ni les campagnes de recrutement, ni les conditions d’enseignement ou de recherche.
Si cela doit conduire à élaborer un budget initial en déficit, je l’assume pleinement : beaucoup d’établissements disposent de réserves financières qui sont là précisément pour faire face à ces situations exceptionnelles, et qui doivent être mobilisées lorsque c’est possible. Toutefois, les situations sont hétérogènes d’un établissement à l’autre, et ces réserves sont pour une très large part gagées sur des dépenses futures d’investissement, sur des projets de recherche ANR ou PIA, sur des provisions pour risques ou encore sur des remboursements d’emprunt. C’est pour cette raison que le dispositif de compensation nous permettra d’intervenir, afin de contribuer à l’équilibrage des comptes lorsque les surcoûts seront définitivement connus.
Le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est un budget important. Malgré les contraintes actuelles, il est, cette année encore, en augmentation. Cela traduit l’engagement renouvelé du Gouvernement en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche, en faveur de nos étudiantes et de nos étudiants, en faveur de notre avenir.
Mme Laure Darcos. – Merci beaucoup, Madame la ministre, pour cette présentation très précise.
Tous les organismes de recherche que j’ai auditionnés m’ont dit « être pris à la gorge » par le renchérissement des prix de l’énergie et ne pas savoir comment boucler leur budget 2023. N’oublions pas que la consommation énergétique des activités de recherche comprend une part incompressible qui peut atteindre 60 % voire 70 %, par exemple, pour la ventilation nucléaire.
Le projet de budget pour 2023 ne comprenant aucune enveloppe de compensation, confirmez-vous votre volonté de recourir à des compensations en gestion ? Procéderez-vous au cas par cas, selon la situation de chaque organisme ?
N’est-il pas envisageable de permettre aux organismes de recherche de bénéficier d’une part des recettes de la future « contribution temporaire de solidarité », au motif qu’ils participent à l’avenir à la Nation, notamment sur le plan de la transition énergétique ?
Concernant le déploiement de la LPR, j’ai été alertée sur le démarrage relativement lent des chaires de professeurs juniors, qui s’explique à la fois par le retard de publication du décret afférent et la persistance de résistances locales. Les crédits de paiement non consommés ont donc été reportés… si cela perdurait, il est à craindre que Bercy s’en mêle : avez-vous identifié ce risque ? Escomptez-vous une montée en charge du dispositif ?
La mesure consistant à consacrer 1 % du budget d’intervention de l’ANR à la culture scientifique fait l’objet d’une bonne dynamique, ce qui me réjouit. Il est en effet primordial d’investir dans la culture scientifique pour former les consciences éclairées de demain. Un Conseil national de la culture scientifique avait été créé par la loi Fioraso – dont on va bientôt fêter les 10 ans – pour faire dialoguer les principaux acteurs du secteur. Or, il semble que l’instance soit en déshérence depuis quelque temps : comptez-vous la réactiver ?
Quand et comment souhaitez-vous ouvrir le dossier de la restructuration du paysage français de la recherche, sachant que le climat s’est tendu ces derniers temps entre les grands organismes et les établissements ?
Enfin, l’Institut Paul-Émile Victor connaît de très graves difficultés, le plafond d’emplois est sous-dimensionné, ce qui conduit cet institut à contourner le droit du travail et à reporter toute rénovation pourtant indispensable de ses stations. Le Gouvernement va-t-il accepter l’amendement de l’Assemblée nationale visant à financer 5 ETP supplémentaires ? Quelles solutions pour adapter le plafond d’emplois de cet institut ? Alors que les campagnes d’été sont lancées et que cet institut est touché de plein fouet par l’explosion des prix des matières premières, du fret maritime et du transport aérien, ses crédits sont reconduits à l’identique : allez-vous accepter la hausse de 3 millions d’euros votée hier par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale ?