Intervention de Éric Besson

Mission commune d'information sur la taxe professionnelle — Réunion du 22 novembre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Eric Besson ministre de l'industrie de l'énergie et de l'économie numérique

Éric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique :

Merci.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, votre mission d'information a pour objectif d'évaluer les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales, l'Etat et les entreprises et de son remplacement par la contribution économique territoriale.

Tout est dit dans le titre de cette mission. Il est très utile que le Parlement puisse évaluer la mise en oeuvre et les résultats de cette réforme. Vous jouez ainsi pleinement votre rôle dans l'évaluation des politiques publiques voulue par la révision constitutionnelle de 2008.

Je tiens à vous indiquer que le Gouvernement partage ce souci d'analyse, puisqu'il avait lui-même programmé, dès le début, l'évaluation de cette importante réforme. L'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale de l'administration (IGA) avaient ainsi été chargées de réaliser, rapidement, une première estimation des conséquences de cette réforme pour l'économie et les entreprises. Je reviendrai sur ces travaux, qui ont été publiés en mai 2010.

Dans le cadre de votre mission d'information, vous avez souhaité m'auditionner sur les conséquences de cette réforme pour notre industrie. Je n'interviendrai pas, en effet, sur l'impact de la réforme pour l'Etat et les collectivités territoriales, laissant à mes collègues ministres concernés le soin de le faire devant vous.

Comme vous le savez, cette réforme, annoncée en février 2009 par le Président de la République, a été mise en oeuvre à partir du 1er janvier 2010. Nous avons donc encore peu de recul pour jauger précisément l'impact de la réforme, même si je constate régulièrement, dans mes déplacements et mes discussions avec les industriels français, ses effets positifs. Chaque fois que je vais visiter une usine, il n'en est pas une où on ne me dise pas avoir, grâce à la suppression de la taxe professionnelle, retrouvé des marges de manoeuvre ou pu investir. Je sais que cela a aussi frappé les esprits à l'étranger, auprès des investisseurs potentiels en France.

Il reste que nous ne disposons pas encore, à ce jour, des données pour l'exercice 2011 qui permettraient d'avoir un premier bilan de cette réforme sur deux ans. J'essaierai néanmoins de répondre au mieux à vos interrogations, en l'état des informations dont je dispose.

Avant de dresser un bilan industriel, il me semble important de revenir brièvement sur les raisons, du point de vue de l'industrie, qui ont conduit à cette réforme et sur le cadre dans lequel elle s'inscrit. Il s'agit tout d'abord d'une politique de reconquête ou d'amélioration de notre compétitivité industrielle.

Cette réforme était attendue depuis longtemps - pratiquement depuis la création en 1975 de cet impôt, que plusieurs experts et politiques avaient jugé « antiéconomique ». Tout le monde a la formule de François Mitterrand à l'esprit à propos de cet impôt « insensé et imbécile » qui a connu, dans sa suppression, des étapes successives, avec notamment l'intervention de Dominique Strauss-Kahn, à l'époque ministre de l'économie et des finances, qui a supprimé la part salariale de la taxe professionnelle.

Plus récemment, en 2009, le Conseil des prélèvements obligatoires avait reconnu son caractère « handicapant pour l'attractivité et la compétitivité des entreprises exposées à la concurrence internationale ».

Je rappellerai trois raisons essentielles qui nous ont amenés à ne pas pérenniser ce dispositif... Tout d'abord, cet impôt nous singularisait au plan international : si la plupart des pays de l'Europe et de l'OCDE connaissent le principe d'une taxation locale des entreprises, il n'existait pas en revanche d'équivalent à la part relative aux équipements et aux biens mobiliers - le fameux EBM - de la taxe professionnelle. De fait, cet impôt pénalisait nos entreprises face à leurs concurrents dans la compétition internationale.

La taxe professionnelle, par ses modalités mêmes, nuisait à la compétitivité de nos entreprises. En premier lieu, elle avait d'abord un effet pénalisant sur l'investissement. Avec une assiette pesant à 80 % sur les investissements productifs, c'est l'outil de production de l'entreprise qui était taxé, renchérissant d'autant le coût du capital. La situation était absurde : plus une entreprise investissait, plus elle était taxée.

Par ailleurs, en pesant sur les facteurs de production, la taxe professionnelle aboutissait à taxer une activité avant même de savoir si elle était profitable. C'était donc une « double peine » pour les entreprises déficitaires qui subissaient un prélèvement important dans des conditions déjà délicates pour elles.

Cette taxe était particulièrement défavorable au secteur industriel puisqu'elle touchait plus fortement les secteurs les plus intensifs en capital, c'est-à-dire ceux dont le ratio investissement / valeur ajoutée est élevé. En outre, il s'agissait souvent de secteurs industriels évoluant dans des marchés soumis à une forte concurrence internationale comme l'automobile, les composants électroniques ou encore la métallurgie. Ainsi, un constructeur automobile, fabriquant un modèle en France, devait payer environ 300 euros de taxe professionnelle par véhicule alors qu'il n'en payait pas s'il le fabriquait à l'étranger ! La taxe professionnelle allait donc à l'encontre du maintien des emplois industriels sur notre territoire !

Au-delà de ces trois arguments - impôt sans équivalent dans le monde, pesant sur l'investissement, et principalement sur l'industrie - cet impôt était devenu au fil des années très complexe, une véritable « usine à gaz », difficile à comprendre et à gérer pour les entreprises. Pas moins de 68 textes de loi s'étaient succédé pour aboutir à la coexistence de six assiettes de taxe professionnelle et à la multiplication de règles particulières d'exonération, d'abattement, de répartition des bases d'imposition et de réduction de cotisations. Bref, la France conservait un dispositif peu lisible pour le secteur économique et très pénalisant pour l'investissement et l'emploi. Il était donc grand temps de mettre un terme à cet impôt.

C'est le sens de la réforme engagée le 5 février 2009 par le Président de la République, avec un objectif clair : garder nos usines et nos emplois en France et permettre à nos industriels de se battre à armes égales avec leurs concurrents étrangers.

Cette réforme, vous le savez, est entrée en vigueur en janvier 2010 avec l'article 2 de la loi de finances du 30 décembre 2009 qui supprimait la taxe professionnelle au profit de deux nouvelles impositions : la contribution économique territoriale (CET) et l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER).

Que constate-t-on au bout d'un an de réforme de la taxe professionnelle ? L'industrie d'une part et les PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) d'autre part, sont clairement les principales bénéficiaires de la réforme.

Dans leur rapport de mai 2010, réalisé sur la base des données 2009 de la DGFiP, l'IGF et l'IGA avaient analysé que cette réforme aurait trois principales conséquences : elle limiterait la hausse de la pression fiscale des entreprises, bénéficierait particulièrement aux petites entreprises et aurait un effet plus fortement positif sur l'industrie.

Les données 2010, dont nous disposons aujourd'hui, confirment toutes ces projections ; il en va d'ailleurs de même du très récent rapport sur les prélèvements obligatoires de Mme la sénatrice Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances du Sénat.

Quels sont les principaux constats sur l'exercice fiscal 2010 ?

Premier constat : la réforme permet une économie substantielle, de 8,2 milliards d'euros pour les entreprises. Cette économie s'entend par rapport aux charges qu'elles auraient dû verser si la taxe professionnelle était toujours en vigueur. Au lieu de payer l'an dernier 26,6 milliards d'euros au titre de la taxe professionnelle, elles ont réglé 18,4 milliards d'euros au titre de la CET, soit une économie de 8,2 milliards d'euros pour ces entreprises.

Deuxième constat : la très grande majorité des entreprises - plus de 60 % - en bénéficie. Elles sont 2 millions à avoir vu leur charge fiscale diminuer du fait de la suppression de la taxe professionnelle ; c'est bien supérieur à l'estimation initiale qui chiffrait les bénéficiaires à 1,1 million.

En outre, le gain moyen par entreprise « gagnante » est particulièrement élevé -4 080 euros ; il est sept fois supérieur à la perte moyenne - 604 euros - des entreprises qui n'y gagnent pas et qui sont une minorité, évaluée à 845 000.

Le Gouvernement avait anticipé que des entreprises seraient « perdantes » dans cette réforme et avait prévu des mécanismes correcteurs à cet effet. Je pense notamment au dispositif d'écrêtement qui permet de lisser, sur cinq ans, la hausse de la charge fiscale pour ces entreprises lorsque la charge fiscale est supérieure à 500 euros et supérieure de plus de 10 % à l'imposition qu'elles auraient normalement dû acquitter en 2010 au titre de la taxe professionnelle. Celles qui gagnent gagnent beaucoup ; celles qui perdent -peu nombreuses - perdent peu et de façon limitée.

Troisième constat : l'industrie sort majoritairement gagnante de cette réforme et cet objectif essentiel semble donc atteint. Les secteurs industriels bénéficient de 2,2 milliards d'euros de réduction de charge fiscale, soit près de 27 % des gains enregistrés en 2010. Dans la plupart des industries, les résultats sont supérieurs aux simulations de 2009 réalisées par l'IGF et l'IGA. En termes cette fois sectoriels, les premières analyses montrent que tous les secteurs industriels y ont gagné, même si certains se distinguent davantage.

C'est le cas de l'industrie des biens intermédiaires - textile, métallurgie, chimie, composants électriques, etc. - qui intervient en amont dans la chaîne de valeur industrielle et a bénéficié d'une baisse de 40 % par rapport à la charge de la taxe professionnelle.

Ce sont aussi les industries de biens d'équipement - aéronautique, navale, ferroviaire, mécanique - et de biens de consommation - habillement, équipement du foyer - exposées à la concurrence internationale, qui affichent une diminution de leur charge de plus de 25 %.

C'est encore l'industrie automobile, qui a bénéficié d'une baisse similaire, et qui enregistre le gain moyen par entreprise le plus important. Dans un marché ultra-concurrentiel où les sous-traitants sont particulièrement sous pression, cet allégement fiscal est donc le bienvenu.

Le quatrième constat permet d'écarter quelques idées reçues : ce sont les entreprises de petite taille et de taille intermédiaire qui ont le plus bénéficié de la réforme. C'est important dans notre pays dont le maillage industriel repose largement sur un tissu d'ETI et surtout de PME.

Ainsi, les entreprises dont le chiffre d'affaires se situe entre 152 500 euros et 3 millions d'euros ont pu constater une baisse de leur imposition en moyenne de 50 %, pouvant aller jusqu'à 70 %. C'est à comparer à une baisse de la charge fiscale de 20,8 % pour les grandes entreprises.

La réforme nous paraît donc avoir déjà atteint, dès la 1ère année de sa mise en oeuvre, deux objectifs majeurs qui lui avaient été assignés : mieux protéger notre industrie et ses emplois, notamment les PME-ETI, moteurs de la croissance et des exportations françaises. Je vous l'ai dit, je le constate lors de mes déplacements en région, en discutant avec des chefs d'entreprise. La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par un impôt plus simple et plus lisible, qui ne pèse plus sur l'outil de production, a contribué à encourager le développement industriel, l'innovation et l'emploi, de plus dans une période de tensions économiques. Cet effet « contracyclique » est aussi à souligner.

L'impact de cette réforme peut se mesurer aussi en termes d'évolution de l'investissement même si, à nouveau, nous manquons encore de données et de recul pour l'appréhender. Cette réforme aura eu un effet d'accompagnement pour les entreprises, qui ont traversé en 2009 une des crises les plus fortes de leur histoire : - 23 points d'investissement dans l'industrie.

En diminuant les prélèvements obligatoires de 0,4 point de PIB en 2010, elle a pris en effet le relais des mesures de trésorerie du Plan de relance initié par le Gouvernement. Elle a également stimulé l'effort d'investissement, qui est reparti à la hausse dès le deuxième trimestre 2010. Cette même année, l'emploi industriel s'est stabilisé, ce qui n'était pas arrivé depuis plus de 25 ans -j'insiste sur ce point.

On peut voir dans cette reprise, pour partie au moins, les effets d'une anticipation par les chefs d'entreprise d'une réduction des coûts d'investissement liée à la réforme de la taxe professionnelle.

Cette dynamique s'est poursuivie en 2011. Les six premiers mois de l'année se sont ainsi traduits par un rebond de 4,5 points de l'investissement productif dans l'industrie, selon l'INSEE. C'est à signaler dans le contexte économique que nous connaissons.

En réduisant le coût marginal du travail et du capital, la réforme de la taxe professionnelle doit permettre de restaurer les marges de nos entreprises, trop faibles. A titre comparatif, le taux de marge moyen des entreprises françaises était d'environ 31 % entre 2000 et 2009, contre 40 % en Allemagne. Il s'agit bien de renforcer la capacité d'autofinancement des industries pour favoriser leurs investissements. L'objectif à nouveau est clair : favoriser la croissance, les salaires et les emplois. La réforme de la taxe professionnelle joue indubitablement un rôle très important.

Enfin, l'impact de cette réforme doit s'évaluer en lien avec d'autres volets de notre politique industrielle, tous orientés pour stimuler l'investissement. Je pense notamment aux investissements d'avenir, dont 50 % de l'enveloppe est consacrée à l'industrie, au crédit impôt recherche, qui selon l'IGF, devrait se traduire par une augmentation de 0,3 point de PIB d'ici à 15 ans en France et aux aides à la réindustrialisation. Ce dispositif doté de 200 millions d'euros sur 3 ans et orienté vers les ETI et les PME contribue aussi à relocaliser des entreprises ou à en renforcer l'ancrage territorial.

En conclusion, s'il est donc encore trop tôt pour développer une analyse précise de l'impact détaillé de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la CET, nous savons en revanche déjà que les premiers bilans et éléments obtenus convergent tous sur un point essentiel : cette réforme a déjà et aura un effet positif durable sur l'investissement, sur le développement et sur la protection de l'industrie et de l'emploi sur notre territoire.

Je vous remercie.

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