Intervention de Daniel Nizri

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 2 mars 2022 à 17h00
« un exemple de l'état-providence écologique : une allocation alimentaire universelle ? » — Audition de M. Daniel Nizri président de la ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023 et de Mme Dominique Paturel chercheuse à l'institut national de recherche pour l'agriculture l'alimentation et l'environnement inrae

Daniel Nizri, président de la Ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023 :

La crise sanitaire que nous traversons a confirmé à tous ceux qui en doutaient encore l'importance des comportements nutritionnels et de l'activité physique pour la santé, au sens le plus large de ce terme, conformément à la définition de l'OMS.

On annonce 150 000 décès liés à la covid. Chacun sait désormais quelles sont les comorbidités de cette maladie. Or plus de 40 % d'entre elles sont en lien direct avec la « malbouffe » et la sédentarité. Dès lors, au-delà des mots, qu'attend-on pour faire réellement la promotion de la prévention, au bénéfice du bien-être ? Qu'a-t-on vraiment accompli depuis que l'on discute de ces questions, c'est-à-dire depuis les années 2000 ? Et pourquoi n'a-t-on pas obtenu les résultats que l'on espérait ?

Les conséquences de la crise que nous traversons concernent de façon très inégale les territoires et les populations. Très clairement, les populations dites « défavorisées », soit environ 30 % de celles qui vivent sur le territoire national, Corse et outre-mer compris, ont le plus fortement subi la covid, parce que ce sont elles qui éprouvent les plus grandes difficultés à avoir une alimentation favorable à la santé.

Au sein du programme national nutrition santé, l'action 15 vise précisément à améliorer l'accès à la santé des personnes en situation de précarité alimentaire. Elle se décline en un certain nombre de sous-actions : mise en place d'une offre ciblée de petits-déjeuners à l'école ; incitations aux communes, pour que celles-ci proposent des tarifs sociaux dans les cantines scolaires ; généralisation de programmes d'accès à l'alimentation infantile ; mise à la disposition des personnes travaillant auprès des populations fragiles d'outils adaptés à la lutte contre la précarité alimentaire ; mise à la disposition des travailleurs sociaux et des bénévoles d'outils numériques interactifs, pour mieux accompagner les personnes en situation de précarité vers une alimentation favorable à la santé.

Si nous parvenons à la mettre en oeuvre, cette action réglera une partie du problème. Mais il y a loin des objectifs à leur réalisation concrète sur le terrain... Nous le constatons au travers de l'information transmise par les 103 comités qui constituent la Ligue sur le terrain et qui fédèrent nos bénévoles, nos salariés et les représentants des usagers du système de santé. En effet, les constats sont inquiétants.

En tant que président de la Ligue, je dispose d'un indicateur éclairant, surtout au moment où, comme toute structure associative, nous finalisons nos comptes : le bilan des commissions sociales réunies chaque mois par nos 103 comités pour venir en aide aux populations touchées par la maladie cancéreuse.

J'ai obtenu les montants que ces comités ont tenté de distribuer et les raisons pour lesquelles les familles ont formulé ces demandes. En temps normal, les demandes de soutien visent le plus souvent à compenser les retards liés à l'obtention du droit commun, compte tenu de la complexité du parcours médico-social. Toutefois, en 2020 et 2021, à partir du premier confinement, elles ont été liées au besoin d'alimentation des populations, qui n'arrivaient plus, pour toutes les raisons que vous connaissez - notamment l'arrêt des activités et des petits boulots, qui concernent principalement ces populations fragiles -, à remplir leur panier de courses.

Le problème était tel que l'une de mes premières décisions en tant que président de la Ligue nationale contre le cancer fut de faire voter par mon conseil d'administration l'envoi de 15 000 euros à chacun des comités, soit un peu plus de 1,7 million d'euros au total, afin de leur permettre de soutenir les populations qui en avaient besoin, y compris sur le plan alimentaire. J'avoue que je ne m'attendais pas à devoir gérer ce genre de problèmes en 2020 et 2021, en France ! Cela m'a fait prendre conscience d'un certain nombre de difficultés rencontrées par nos compatriotes, ainsi que de mes responsabilités, et j'ai tenté d'entraîner les équipes qui travaillent sur ces thèmes à la Direction générale de la santé et que j'accompagne.

C'est autour de ce sujet de l'accès à l'alimentation favorable à la santé - si possible, car même l'alimentation de base a posé problème ! -, que les associations, en dépit de leur organisation en silos, se sont réunies au niveau départemental. Et nombre de comités de la Ligue, dont ce n'est pas le champ d'action habituel, sont venus en soutien du Secours populaire, du Secours catholique ou des Restos du Coeur, par exemple, parce que toutes les associations ont manqué de moyens humains au cours de cette période, ne serait-ce qu'en raison des contraintes sanitaires et de la nécessité de protéger des bénévoles ayant souvent un certain âge.

Selon moi, nous devons réfléchir à la façon d'aborder ce sujet différemment. Nous le savons, l'alimentation, qu'il s'agisse de sa qualité ou de son coût, subit de façon caricaturale l'influence de très nombreux lobbys ; et je n'emploie pas ce terme de façon péjorative, car je sais les contraintes qui pèsent sur les différentes filières de l'industrie agroalimentaire, qu'il s'agisse des producteurs, des transformateurs ou des distributeurs, comme je sais les difficultés des consommateurs.

Le travail sera long, mais l'un de mes engagements forts, au sein de la Ligue comme du PNSS, c'est de favoriser l'éducation à l'alimentation. Bien sûr, il faut informer les adultes d'aujourd'hui et tenter de leur faire modifier certains de leurs comportements. Mais je crois beaucoup à l'éducation, pour que les futurs adultes soient un jour des citoyens éclairés, qui fassent leurs courses de la façon la plus raisonnable, par exemple en comprenant ce qu'est le Nutri-score et comment on l'utilise. En effet, ce que j'ai entendu ces jours-ci sur ce dispositif m'a vraiment interloqué, dans la mesure où il est présenté d'une façon caricaturale, ne correspondant ni à ce qu'il est, ni à ce qu'il doit devenir...

Par ailleurs, comment faire pour que les citoyens, une fois qu'ils auront été éclairés, aient financièrement accès à cette alimentation ? En la matière, on peut trouver aux inégalités toutes les explications que l'on veut, cela ne les rend pas pour autant plus admissibles.

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