Intervention de Dominique Paturel

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 2 mars 2022 à 17h00
« un exemple de l'état-providence écologique : une allocation alimentaire universelle ? » — Audition de M. Daniel Nizri président de la ligue nationale contre le cancer et du comité de suivi du programme national nutrition santé 2019-2023 et de Mme Dominique Paturel chercheuse à l'institut national de recherche pour l'agriculture l'alimentation et l'environnement inrae

Dominique Paturel, chercheuse à l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) :

Pour répondre à la question sur la sécurité sociale de l'alimentation, nous proposons la mise en place d'un service public de l'alimentation, non pas pour en faire l'énième service d'un ministère, mais avec une conception concrète et pragmatique, car il aurait vocation à intervenir à la bonne échelle, celle où les choses peuvent changer. Il s'appuierait sur les « déjà là », car bien des choses existent déjà, en termes de subventions, d'actions ou d'interventions. Il faut sortir de l'approche en silos et mener une action systémique, ne serait-ce qu'en faisant l'inventaire de tout ce qui existe déjà, et qui est considérable.

Par exemple, on pourrait donner à la restauration collective une mission plus large. Plutôt que de fonctionner seulement le midi, les restaurants scolaires pourraient également faire des propositions de menus ou de casse-croûte équilibrés pour le soir ; les équipements, le personnel et les formations existent déjà. De même, certaines communes réfléchissent à la mise en oeuvre d'une restauration collective pensée dans sa globalité, c'est-à-dire concernant les crèches, les écoles, les hôpitaux et les Ehpad, et s'appuyant sur la production locale.

Ce problème-là concerne la majorité de la population, et pas seulement les plus pauvres. Les comportements alimentaires et les pratiques d'achat que l'on observe sont partagés par 70 % des Français. Il y a donc un énorme travail d'accompagnement et d'éducation à réaliser. Et pour sensibiliser à ces questions, la santé est un argument, mais le réchauffement climatique en est un autre.

Par ailleurs, faute d'informations, on ne parvient pas à évaluer les coûts cachés de l'aide alimentaire ; il faut lancer des processus qui nous permettront de mieux cerner cette question. En effet, ces coûts cachés, ce ne sont pas seulement la logistique et le transport ; c'est aussi le travail gratuit, domestique ou bénévole, sans lequel l'accès à l'alimentation des populations précaires serait encore plus difficile. Ces coûts cachés méritent probablement que l'on pose la question d'un financement public.

Le coût de cette allocation, tel que nous l'avons évalué, serait de 120 milliards d'euros par an, ce qui n'est pas une petite somme. En effet, le minimum vital pour manger de façon correcte sur le plan nutritionnel est de 5 euros par jour ; il ne serait pas raisonnable de descendre sous ce seuil. Si l'on multiplie ce chiffre par 30, on obtient un coût de 150 euros par mois. Mais il faudrait approfondir ces calculs.

On a décidé de permettre aux étudiants d'avoir accès dans les Crous à un repas à un euro par jour, mais ce menu est fondé uniquement sur le coût des denrées et du travail, sans aucune prise en compte de l'aspect nutritionnel ! C'est tout de même étonnant dans un pays comme le nôtre. N'a-t-on pas pour notre jeunesse d'autres ambitions que le repas à un euro par jour et l'aide alimentaire ?

Il faut le rappeler, l'alimentation est aussi une question de rapport de classes. Il existe des formes de violence invisibilisées, et il faut s'attendre malheureusement à des réactions fortes d'une partie de la population. Ce qui se passe en Ukraine aura un impact sur le blé, qui joue un rôle essentiel dans l'alimentation à bon marché. Et les ménages à petit budget ne seront pas les seuls touchés. Pour rappel, parmi les « gilets jaunes » présents sur les ronds-points, il y a toute une population qui ne supporte plus les contraintes qui lui sont imposées pour vivre au quotidien. Le repas à un euro ou la baguette à 29 centimes de Leclerc ne suffira pas.

La sécurité sociale alimentaire est un vrai projet politique, à l'échelle de la Nation, qui vise à partager les risques et les richesses de notre système alimentaire. Il ne faut pas se contenter d'une vision de l'alimentation comme politique pour les pauvres, sinon nous resterons dans le déni de cette question fondamentale.

Tous, nous avons besoin de manger, et ce travail sur la précarité alimentaire servira à l'ensemble des êtres humains ; c'est une loupe qui permet de voir les difficultés que nous avons à affronter. Il engage l'ensemble de la Nation face à la perspective du réchauffement climatique ; la période de dix ans que nous proposons figure d'ailleurs dans le rapport du GIEC, pour ce qui concerne les systèmes agricoles et l'accès à l'alimentation.

Enfin, dans le cadre du travail que nous avons mené sur le conventionnent, en testant nos idées sur différents groupes, un certain nombre de femmes, jeunes ou plus âgées, ont proposé qu'un regard parallèle soit porté sur les questions d'alimentation uniquement par des femmes ; il serait bien sûr croisé ensuite avec le point de vue des autres instances, qui sont mixtes. Cela permettrait de faire émerger de nouvelles solutions.

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