Intervention de Thomas Pellerin-Carlin

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 octobre 2022 à 9h00
L'énergie : des enjeux stratégiques pour l'union européenne — Audition de Mm. Marc-Antoine Eyl-mazzega directeur du centre énergie et climat de l'institut français des relations internationales ifri thomas pellerin-carlin directeur du programme europe de l'institut de l'économie pour le climat i4ce mmes maría eugenia sanin maître de conférences en sciences économiques à université d'évry-val d'essonne et tatiana marquez uriarte membre du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie

Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe de l'Institut économique pour le climat (I4CE) :

La crise actuelle des énergies fossiles, tant du côté des prix que de la quantité, n'est pas inédite. La première crise à avoir frappé la France et l'ouest de l'UE a été le choc pétrolier, à la suite de la guerre du Kippour, en 1973. Le parallèle historique est évident : une petite nation démocratique, Israël, a été attaquée, par surprise, par deux de ses voisins ; ces derniers ont réussi dans un premier temps à obtenir des gains militaires, puis, face à une situation difficile, en sont venus à utiliser l'arme de l'énergie fossile pour sanctionner leur cible et ses alliés. Ce premier choc pétrolier a provoqué dans l'économie française de l'inflation et a marqué la fin des Trente Glorieuses. Les premières crises gazières, quant à elles, ont émergé dans les années 2000, à la suite de la première révolution ukrainienne, en 2006, et de la tentative par la Russie de l'étouffer en utilisant l'arme énergétique.

L'histoire longue nous rappelle, depuis un demi-siècle, l'évidence du coût économique et géopolitique de notre dépendance aux énergies fossiles. La grande spécificité énergétique du continent européen est d'être pauvre en énergies fossiles ; le paradoxe est que, pendant des décennies, nous avons construit notre dépendance à ces sources d'énergie que nous ne possédons pas, du moins que nous ne possédons plus depuis la décolonisation, laquelle aurait dû nous amener à interroger nos choix énergétiques.

En matière de consommation d'énergie finale, c'est-à-dire l'énergie réellement utile pour les activités humaines, la situation actuelle du mix énergétique français est telle que le nucléaire représente seulement 17 % de la consommation. La France est un pays extrêmement dépendant des combustibles fossiles : la première source d'énergie consommée en 2019 est le pétrole, qui représente quasi la moitié du total... La deuxième source d'énergie est le gaz fossile, pour près d'un quart ; la troisième est, depuis 2020, l'énergie renouvelable - à hauteur de 16 %-, le nucléaire n'étant plus que la quatrième, malgré son importance dans le domaine de l'électricité. Au sein des énergies renouvelables, la plus consommée en France est la biomasse : elle ne pose aucun problème en matière d'intermittence... L'éolien et le solaire représentent une part particulièrement faible de la consommation énergétique nationale.

De fait, la République française a choisi de ne pas vraiment soutenir les renouvelables. L'UE a fixé un objectif de déploiement des énergies renouvelables à chacun des vingt-sept États qui la composent : la France est le seul pays qui ne l'a pas atteint. Nous avons fait moins d'efforts que la Pologne alors que, nouveau paradoxe, notre pays est riche en énergies renouvelables : bois, régimes de vent différents, soleil... Le solaire thermique même est moins développé dans notre pays qu'en Autriche, pourtant moins ensoleillée.

La consommation d'énergie finale en Europe partage de grandes similarités avec la situation française. Le défi de la dépendance aux énergies fossiles, en particulier au gaz, est donc le même.

Analysons la situation actuelle. Les prix du pétrole sont normaux, et même bas ; les prix mondiaux sont inférieurs à ceux de 2012, 2013 et du début de l'année 2014, sans même prendre en compte l'inflation. Ce qui est anormal, tant au regard de l'histoire que des prix actuels qui sont dans la norme, c'est la politique française de subvention de la consommation des carburants.

Au niveau de la quantité, il n'existe pas de risques structurels de pénurie de pétrole, les grèves se limitant à un enjeu conjoncturel.

La situation est très différente en ce qui concerne le gaz. Les prix sont historiquement élevés : 1 000 % d'augmentation par rapport à la normale de la décennie 2010 ! Ces prix, quand bien même ils baisseraient, devraient demeurer importants dans la durée, probablement pour l'ensemble de la mandature actuelle. À l'image du premier choc pétrolier et de ses conséquences, la situation actuelle marque l'entrée, déjà réelle, dans une nouvelle ère, celle d'un gaz structurellement très cher. En effet, les Européens sont devenus dépendants au gaz naturel liquéfié, qui est, structurellement, deux à quatre fois plus cher que le gaz importé de Russie par des gazoducs. Nous allons devoir vivre avec des prix du gaz japonais... La transformation est particulièrement importante pour notre industrie : il faudra trouver un modèle économique viable dans un monde où les prix européens du gaz sont aussi élevés qu'au Japon, contrairement à ce qui était le cas durant les quarante dernières années.

Des pénuries de gaz sont à craindre à partir de février 2023, et, surtout, courant 2024. L'hiver qui s'annonce sera compliqué : le suivant sera plus dur encore, car il faudra réalimenter nos stocks sans gaz russe. Nous n'affrontons pas une « crise », au sens où il s'agirait d'un problème temporaire : nous entrons dans un nouveau monde.

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