Mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour de vous remercier de nous avoir invités à débattre de la politique énergétique de l'Union européenne. Je suis totalement d'accord avec ce que viennent de dire les deux orateurs précédents. J'ajouterai deux choses.
D'abord, il faut savoir que les fossiles ont été les énergies les plus subventionnées de la planète dans l'Histoire, et notamment en Europe. Nous avons donc construit notre dépendance avec de l'argent public.
Ensuite, c'est vrai, il faut sauver le secteur industriel avec du thermique, mais il faut aussi massivement investir dans les EnR pour laisser le thermique aux secteurs où il n'est pas possible de décarboner, comme la défense.
Quels sont les principaux volets du plan REPowerUE ?
Nous avons le mécanisme de back stop ou de solidarité intra-européenne, mais, à terme, il y a des risques de fragmentation. Il n'est qu'à voir la réaction de l'Espagne en juillet quand une baisse de consommation du gaz de 10 % a été envisagée par la Commission européenne. Les choix de construction du mix énergétique ont été différents d'un pays à l'autre, avec des coûts et des risques différents, mais tout le monde fait face à la même problématique. Ce mécanisme me paraît difficile à utiliser à moyen et long termes.
Il reste trois leviers.
Tout d'abord l'efficacité énergétique. Dans le court terme, l'offre énergétique est donnée, donc il faut diminuer la demande. L'exhortation aux bonnes pratiques, comme en France, est une fausse bonne idée. Des analyses réalisées par des experts montrent que des mesures incitatives reposant sur un faible différentiel de prix ne permettent pas de réaliser des économies au-delà de 4 à 5 % pour les ménages et de 15 % pour certains secteurs industriels. Cela ne représente pas grand-chose. Il faut un État stratège qui ait une politique claire en matière d'efficacité énergétique, de rénovation énergétique des bâtiments publics, de planification des transports, etc.
On ne peut pas faire de l'efficacité énergétique avec un bouclier tarifaire sur l'électricité et des remises à la pompe sur le carburant. Il faut laisser les prix à leur niveau et protéger les plus vulnérables par la redistribution ainsi que les secteurs industriels les plus énergivores. Laissons les prix évoluer pour les autres, notamment les plus riches. C'est ce que l'on appelle le signal prix. Une étude réalisée par une de mes étudiantes montre ainsi que la remise à la pompe bénéficie trois fois plus aux automobilistes les plus riches qu'aux plus pauvres. Nous sommes dans un moment très difficile. La politique doit être à la hauteur de cet enjeu.
Ensuite, il y a la diversification des sources. La diversification des partenaires commerciaux sur les énergies fossiles peut être envisagée à court terme, mais cela ne peut constituer notre stratégie sur le long terme.
Il faut surtout diversifier nos partenariats commerciaux pour les métaux stratégiques. C'est compliqué pour le cobalt ou le graphite, qui sont des métaux rares. Néanmoins, ce n'est pas le cas du lithium, qui est produit en grande quantité en Australie. Nous devons pouvoir construire notre propre filière européenne de batteries au lithium concurrente de celle de la Chine.
De ce point de vue, mesdames, messieurs les sénateurs, votre rôle est très important. Le prix des énergies fossiles, notamment du gaz, étant appelé à rester durablement élevé, il importe de favoriser l'hydrogène vert.
Pour résumer, il faut diversifier les sources, et non pas les partenaires. En revanche, il faut diversifier les partenaires pour les autres métaux et matériaux importants. On a les moyens pour avancer et il nous faut rattraper le retard sur les autres pays occidentaux, la Chine ayant pour sa part plus de vingt ans d'avance dans ce domaine.
J'en viens à l'importance stratégique du stockage. On note un déploiement de plus en plus important du stockage électrique à grande échelle, dont l'efficacité est prouvée quand il est couplé avec un investissement en réseau. Le réseau électrique est en effet le grand oublié de cette crise. On pourrait améliorer les interconnexions, y compris en France. L'interconnexion améliore l'efficacité et la distribution des énergies renouvelables.
Le principal obstacle pour l'installation massive des énergies renouvelables, ce n'est pas le financement - l'attractivité pour la finance verte augmente -, c'est d'abord la bureaucratie, à savoir les délais de délivrance des permis pour les implanter ; il faut donc les écourter. Ce sont aussi les contraintes environnementales liées au déploiement de ces énergies. Pour y remédier, il faut entamer le dialogue et insister sur les bénéfices à l'échelon local, par exemple en termes de professionnalisation de la main-d'oeuvre.