Intervention de Tatiana Marquez Uriarte

Commission des affaires européennes — Réunion du 13 octobre 2022 à 9h00
L'énergie : des enjeux stratégiques pour l'union européenne — Audition de Mm. Marc-Antoine Eyl-mazzega directeur du centre énergie et climat de l'institut français des relations internationales ifri thomas pellerin-carlin directeur du programme europe de l'institut de l'économie pour le climat i4ce mmes maría eugenia sanin maître de conférences en sciences économiques à université d'évry-val d'essonne et tatiana marquez uriarte membre du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie

Tatiana Marquez Uriarte, membre du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie Mme Kadri Simson :

Au sein du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie, je m'occupe surtout du gaz et de l'hydrogène, mais, depuis un an, je me consacre exclusivement à la sécurité d'approvisionnement et aux prix de l'énergie.

Mon propos s'articulera autour de trois points : premièrement, ce qui a changé dans le système énergétique européen ces dernières années ; deuxièmement, les mesures que l'Union européenne a déjà prises pour répondre à la crise énergétique, crise d'approvisionnement et crise des prix ; et enfin, les perspectives, car il reste beaucoup à faire pour sortir de cette crise !

Premièrement, beaucoup de choses ont changé. Sur le volet gaz, nos partenaires commerciaux ont changé. Jusqu'à l'année dernière, notre principal fournisseur était la Russie (à hauteur de 40 %) ; aujourd'hui, c'est la Norvège. Nous sommes désormais dépendants seulement à hauteur de 7,5 % du gaz russe importé par gazoduc et de 14 % en y incorporant le GNL.

La direction des flux a également changé. Traditionnellement, on transportait le gaz de l'est vers l'ouest par gazoducs. Aujourd'hui, c'est l'inverse, alors même que les infrastructures gazières n'étaient pas préparées à cela : on recourt au gaz liquéfié en utilisant les terminaux gaziers de l'ouest et du sud de l'Europe.

Notre fournisseur de gaz liquéfié était traditionnellement les États-Unis ; c'est encore le cas, mais avec des volumes qui ont battu des records. Aujourd'hui, nous sommes complètement dépendants du gaz liquéfié américain. Heureusement, les États-Unis ont augmenté leur volume d'exportation.

Je ne reviens pas sur les prix du gaz, dont il a déjà été question. Nous avons la même analyse des causes de leur augmentation : d'abord, la sortie du covid au deuxième semestre de l'année 2021 a entraîné une très grande augmentation de la demande globale de gaz ; ensuite, les tensions avec la Russie ont aggravé la situation et les prix ont flambé depuis l'invasion de l'Ukraine.

Les prix de l'électricité sont entraînés par les prix du gaz, pour les raisons qui ont été rappelées. De nombreux pays européens ont décidé de produire de l'électricité à partir d'autres combustibles fossiles, notamment le charbon, qui est beaucoup plus polluant que le gaz.

L'évolution pour les cinq prochaines années n'est pas positive : tant que la guerre continuera, le prix du gaz sera très haut, car la Russie continuera à manipuler les prix, elle a également coupé le robinet à beaucoup d'États et de compagnies - et que dire du sabotage du Nordstream ? Il est à craindre que la tension reste permanente dans les prochaines années.

Deuxièmement, pour répondre à cette crise, l'Union européenne a décidé de changer de cap et de ne plus être dépendante du gaz russe. Elle veut l'arrêt total de l'importation des combustibles fossiles russes aussi vite que possible.

Cela passe par trois volets : d'abord, la diversification, ensuite, la promotion des énergies renouvelables, enfin, l'augmentation de nos objectifs en matière d'efficacité énergétique.

Par ailleurs, l'Union européenne se prépare au pire, non seulement l'arrêt total des flux du gaz russe, mais aussi des problèmes d'approvisionnement, par exemple une panne dans un terminal gazier aux États-Unis, comme cela s'est produit cet été.

Pour ce faire, l'Union européenne a d'abord établi des obligations de stockage du gaz - il faut se préparer autant que possible avant le début de chaque hiver, mais il est à craindre que l'hiver prochain sera encore plus difficile. Par ailleurs, elle a fixé des objectifs de réduction de la consommation de gaz en Europe, d'abord de façon volontaire - un plan de réduction de 15 % a été décidé cet été -, puis de façon obligatoire en cas de grave pénurie de gaz ; la Commission a la possibilité de déclarer l'état d'alerte pour rendre cet objectif impératif. Nous enregistrons aujourd'hui une baisse de 7 % de la consommation. Enfin, l'Union a amélioré la coordination entre les États membres en matière de sécurité d'approvisionnement. Une sorte de cabinet de crise a été créé, qui réunit les représentants des États membres presque toutes les semaines. Il s'agit à la fois d'échanger et de s'entraider.

Troisièmement, l'Union européenne est également en train d'agir sur les prix, et d'abord sur ceux de l'électricité, en adoptant des mesures d'urgence pour diminuer le prix de l'électricité des Européens. Ce paquet comporte quatre mesures principales.

En premier lieu, il s'agit d'établir des objectifs de réduction de la consommation d'électricité, surtout dans les moments de pointe. Cela doit permettre de ne pas avoir recours à la production d'électricité à base de gaz, la plus coûteuse.

En deuxième lieu, il convient de limiter les revenus des producteurs d'électricité dont les coûts marginaux sont les moins coûteux. Comme le prix du marché est établi à partir des technologies les plus chères - les centrales électriques au gaz -, les infrastructures dont les coûts sont moindres dégagent d'importants revenus cette année. Il a donc été décidé de fixer un plafond de recettes pour les producteurs inframarginaux. Les États membres peuvent utiliser cette mesure pour financer leurs mesures de soutien aux consommateurs.

En troisième lieu, nous avons ouvert juridiquement la possibilité de fixer des prix régulés, non seulement pour les foyers et les microentreprises, mais aussi pour les PME. Enfin, en quatrième lieu, nous avons établi une contribution de solidarité à la charge des entreprises des secteurs des combustibles fossiles et du raffinage afin qu'elles aussi contribuent à aider les plus vulnérables à faire face au coût élevé de l'électricité.

Que nous reste-t-il à faire pour sortir de cette crise ? Le chantier est vaste. Jusqu'ici, nous nous sommes surtout attaqués au prix de l'électricité. Dans les prochains jours, la Commission pourrait adopter une proposition d'urgence visant à diminuer non seulement les prix du gaz, mais aussi la volatilité du marché du gaz.

Parmi les mesures envisagées, figure la création d'un index alternatif au TTF, qui sert aujourd'hui de référence pour établir les prix dans les contrats de vente de gaz. Or cet index est essentiellement basé sur le prix du gaz sur le marché hollandais qui, malheureusement, connaît en ce moment des difficultés d'approvisionnement. Tous les fournisseurs dont les contrats sont indexés sur le TTF sont donc très défavorisés par rapport à nos concurrents asiatiques et autres. Le nouvel index alternatif reflétera davantage le prix du gaz liquéfié en Europe, qui est en réalité beaucoup plus faible qu'il ne l'est sur le marché hollandais.

L'établissement de cet index demande toutefois un certain temps et les acteurs économiques passant des contrats de fourniture de gaz ne pourront pas l'utiliser avant l'année prochaine. C'est pourquoi nous prévoyons, à court terme, un système de plafonnement des prix du gaz applicable à l'ensemble des importations de gaz de l'Union européenne. Dans l'immédiat, nous allons engager des négociations avec nos partenaires commerciaux hors Russie, en vue de leur acheter leur gaz à moindre coût qu'aujourd'hui. Ces négociations seront difficiles. En cas d'échec, nous aurons toujours la possibilité d'établir un plafonnement des prix. Cette démarche est naturellement risquée. Elle pourrait se traduire en effet par un approvisionnement en gaz insuffisant dans certaines parties de l'Europe. C'est pourquoi nous réfléchissons également à des mesures plus contraignantes en matière de réduction de la consommation de gaz, auxquelles nous pourrions recourir le cas échéant.

Nous voulons par ailleurs prendre des mesures de solidarité renforcée entre les États membres. En effet, si les problèmes de fourniture de gaz devenaient critiques, il faudrait s'entraider davantage. Les États membres qui disposent de stocks suffisants devraient pouvoir fournir du gaz à leurs voisins qui seraient par exemple trop dépendants du gaz russe ou qui ne parviendraient pas à répondre aux besoins de leurs consommateurs protégés - foyers, industries critiques -, même si cela peut signifier, pour le pays fournisseur, de réduire la consommation de ses consommateurs non protégés. Jusqu'à présent, la solidarité entre États membres dépendait uniquement des rares accords bilatéraux. Nous sommes en train de réfléchir à un mécanisme comportant une forme d'automatisme.

Enfin, les dernières mesures envisagées portent sur les achats conjoints de gaz. L'une des manières de diminuer les prix du gaz peut être, en effet, de faire en sorte que les États membres et les compagnies européennes cessent de se concurrencer. Nous avons vu au mois d'août, lorsque les États membres cherchaient tous à remplir leurs stocks au plus vite auprès du même fournisseur, comment la concurrence avait entraîné une flambée des prix. Il est donc nécessaire d'améliorer notre coordination et cela passe probablement par des achats conjoints. C'est pourquoi nous allons créer le cadre juridique pour que les compagnies qui souhaitent acheter ensemble puissent le faire.

Voilà pour les mesures immédiates. Nous voulons prendre également des mesures pour améliorer la liquidité des entreprises énergétiques. Parfois - cela a été le cas en Suède, mais également ailleurs - ces dernières ne parviennent pas, faute de liquidités et de garanties suffisantes, à participer à certains marchés. En effet, les prix ayant fortement augmenté, le montant des garanties exigées a augmenté d'autant également. C'est pourquoi nous étudions la possibilité d'élargir le type de garanties nécessaires, par exemple aux actions ou à des garanties publiques. Nous proposerons des mesures pour s'assurer que les États membres puissent faire bénéficier ces entreprises de garanties publiques.

Une autre piste à l'étude est la mise en place de circuit breakers, qui permettraient de mettre un frein à l'augmentation soudaine des prix sur un marché, celui de l'électricité par exemple. Au-delà d'une certaine limite, il s'agirait d'arrêter la cotation, pour que les autorités régulatrices décèlent d'éventuels mouvements spéculatifs ou manipulations des prix. Les marchés rouvriraient seulement une fois que les conditions permettant un échange raisonnable entre l'offre et la demande seraient rétablies.

Enfin, nous pensons réviser, l'année prochaine, les règles du marché de l'électricité. Pendant longtemps, le système a permis de bénéficier de prix de l'électricité très bas. Nous devons nous assurer que cela sera encore possible avec un parc électrique très dépendant des énergies renouvelables. Il nous faut donc trouver le point d'équilibre qui permette de conserver des prix bas sans décourager les investissements dans les énergies renouvelables.

En conclusion, nous avons compris, à la Commission européenne, que les temps exceptionnels que nous vivons exigeaient des mesures exceptionnelles. Nous avons adopté des mesures d'urgence pour l'électricité. Nous allons adopter des mesures d'urgence pour le gaz. Toutefois, à moyen et long terme, notre cap est inchangé : au-delà des mesures provisoires nécessaires que nous avons prises, pour des raisons d'approvisionnement et de prix, sur la consommation de combustibles fossiles, notre objectif demeure la décarbonation du système. C'est la seule manière de réunir nos exigences de sécurité d'approvisionnement, de compétitivité des prix de l'énergie et de lutte contre le changement climatique.

Enfin, soyons conscients que nous devrons faire, dans les prochaines années, des sacrifices : il s'agira, premièrement, de réduire notre consommation énergétique, ce qui signifie faire des choix ; deuxièmement, d'afficher une véritable solidarité entre États membres, faute de quoi les pressions externes visant à nous désunir seront trop fortes.

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