Intervention de Laurent Jeannin

Mission d'information Bâti scolaire — Réunion du 15 février 2023 à 17h45

Laurent Jeannin, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université de Cergy-Pontoise :

Je vous remercie de me permettre d'expliciter mes travaux de recherches, qui sont interdisciplinaires. Ils abordent plusieurs champs de recherches : l'architecture, le social mais également la santé.

Depuis les premiers écrits de Freinet en 1964, la question de l'architecture, de l'environnement scolaire et de sa configuration se pose comme étant une norme importante. Au niveau international, David Medd qui était responsable de l'architecture des bâtiments scolaires anglo-saxons, estimait dès 1970 que le bâtiment devait être modulaire, adaptable et flexible à des pédagogies actives. En 1973, en France, la circulaire Deygout reprend ces principes en invitant l'école à une ouverture sur la nature et son environnement extérieur. En 1975 arrivent la loi Haby et le collège pour tous, conduisant, pendant une quinzaine d'années, à une certaine massification de l'enseignement. On est passé, au cours du XIXe siècle, de la maison des écoles (avec des établissements scolaires construits dans de petites maisons) à Jules Ferry qui, en 1892, a mis en place les premières bases de l'architecture scolaire. À l'époque, la norme architecturale devait permettre aux enfants de bien voir, bien respirer, bien se déplacer dans un bâtiment qui devait être garant de leur santé. Par la suite, il y a eu des mouvements hygiénistes, notamment dans le cadre de la lutte contre la tuberculose, avec des espaces plus ouverts, car la qualité de l'air était l'élément-clé. Il existe encore à Suresnes une école issue de ce courant hygiéniste, d'ailleurs classée patrimoine mondial de l'Unesco, qui témoigne de cette architecture. On peut faire un parallèle entre ce courant hygiéniste sur le travail de la qualité de l'air pour lutter contre la tuberculose et ce qu'on a pu vivre pendant la période de la Covid où l'aération des salles de classe était au coeur de la lutte contre la propagation du virus. Avec la loi Haby, il a fallu construire rapidement pour pouvoir accueillir tous les élèves. Il y a eu des méthodologies constructives, en lien avec les industriels, qui ont permis de livrer des bâtiments scolaires, principalement sur une base linéaire, avec des trames architecturales de 7,20 mètres. Tout était multiple de 7,20 mètres (les classes, les couloirs par exemple) car cela correspondait à la dimension des camions pour livrer les matériaux. L'empreinte foncière était maîtrisée, avec un ou deux étages, parfois quatre, en fonction de la densité de population. Ensuite, les lois de décentralisation ont transféré la compétence du bâti scolaire aux collectivités.

On remarque dans les années 1990 un impact assez fort du geste architectural. Deux éléments l'expliquent : d'une part, l'évolution de la technologie sur les façades ; d'autre part, l'établissement scolaire, nouvelle compétence des collectivités, devient un objet de politique locale. Dans les années 2000, le numérique, l'émergence de nouvelles pratiques pédagogiques collectives, déjà testées dans les années 1960 avec Freinet, ont des conséquences sur l'aménagement intérieur des bâtiments. Des tensions apparaissent alors entre l'établissement scolaire, sa surface foncière, et ce qui s'y passe à l'intérieur. Le numérique est perçu comme une solution pour mieux individualiser les parcours. Pendant la Covid, on a pu voir que cela n'était pas complètement prêt !

Ce champ de l'architecture scolaire est étudié par peu de chercheurs car il nécessite d'aborder des problématiques transversales et, surtout, accéder au terrain relevant de co-responsables, de co-propriétaires des lieux, des habitants... Il existe trois chaires de recherche dans le monde : une en Australie qui s'occupe principalement des modèles constructifs, notamment les bâtiments éphémères liés aux migrations climatologiques ; une chaire au Canada qui s'occupe principalement des écoles maternelles et élémentaires, car ils en ont 30 000 à rénover ; et enfin en France où nous travaillons sur des problématiques d'apprentissage et de relations sociales au sein des espaces.

Par le passé, il a fallu réfléchir à des salles informatiques puis, plus récemment, à des classes mobiles avec le plan numérique de François Hollande. On a toujours questionné le bâtiment car il nous contraint, de même que l'environnement. Ainsi, les trames constructives nous ont contraints dans notre pratique. Aujourd'hui, on le voit grâce aux nombreux travaux de recherche multi factoriels. En 2015, des chercheurs anglais ont pu accéder à 27 écoles à Londres et ont effectué pour la première fois des analyses pluri catégorielles : la qualité de l'air, le confort thermique, le confort acoustique, la mobilité de l'élève, qu'ils ont comparées avec des classes témoins. Ils ont ainsi démontré que ces facteurs environnementaux ont les mêmes conséquences sur les résultats scolaires que la catégorie socio-professionnelle des parents ! Cela confirme pour la première fois dans une analyse multi factorielle ce que l'on estimait depuis les années 70.

Au cours de l'histoire, les bâtiments scolaires ont toujours été soumis à des tensions, notamment de population, de société, de lois, de rénovation, d'urbanisation, sans oublier le numérique... En ce qui concerne le numérique, nous avons constaté que les résultats obtenus en laboratoire ne peuvent pas être reproduits à grande échelle, notamment à cause des bâtiments. De même, si l'on enseigne toujours dans tous les centres de formation des enseignants (de l'école normale aux INSPE) la pédagogie Freinet, les enseignants se heurtent dans leur pratique à la configuration des bâtiments scolaires : cette dernière ne leur permet pas de mettre en oeuvre les pédagogies innovantes enseignées lors de la formation. La flexibilité est promue internationalement depuis les années 60, depuis 1973 en France ; mais elle s'étend difficilement au-delà de la classe. On va aménager la salle de classe, en bougeant les tables et les chaises, mais cette demande de flexibilité se heurte à un bâtiment qui ne l'a pas prévue. Alors que l'on sait, notamment grâce aux travaux de nos collègues anglo-saxons, que cela aurait un impact très fort. Par exemple dans les salons sur l'éducation sont présentés des mobiliers, des tablettes, des objets, mais rien sur la structure du bâtiment, la gestion des flux, l'emploi du temps... En 2008, grâce aux travaux d'une équipe écossaise qui a beaucoup investi dans la forme scolaire, on sait que tous ces éléments sont primordiaux.

En France, quelle que soit la période, de très nombreux acteurs interviennent, parmi lesquels environ 15 corps institutionnels différents : l'éducation nationale, les collectivités, les marchés publics, les opérateurs comme la banque des territoires, le CEREMA ou le ministère de l'écologie ... et tout cela sans aucune centralisation. C'est une constante depuis les années 1960. On oublie de se poser la question du bâtiment scolaire dans un territoire. Un bâtiment scolaire qui a les mêmes caractéristiques architecturales n'aura pas la même occupation selon qu'il est situé dans un village de montagne ou en ville. La « contextualité » permet de déterminer comment on va travailler dans un bâtiment scolaire, enseigner ou encore travailler avec les parents. C'est malheureusement rarement pris en compte ! Aujourd'hui, des établissements souhaitent s'ouvrir aux parents, à travers, par exemple, le « café des parents », mais cela se limite souvent à une salle située à proximité du hall d'entrée !

La Banque des territoires a ouvert, en 2017, un « prêt flash » pour permettre aux collectivités de rénover les bâtiments scolaires du point de vue de la transition écologique. On ne sait pas qui en a bénéficié, ni pour quel montant. La BEI, Banque d'investissement européenne qui s'associe avec la Caisse des dépôts, finance également ce type d'actions. Là encore, il n'y a aucune information sur les actions financées.

Certes, des collectivités et des rectorats travaillent ensemble, mais les outils ne sont pas toujours faciles à trouver, qu'ils soient législatifs, financiers, pédagogiques ... Sous l'impulsion du Plan numérique de François Hollande, une réflexion sur l'architecture scolaire a été lancée. Elle a débouché plusieurs années après sur des outils comme « archi-classe », ou sur la mise en place, récemment, d'une Cellule Bâti scolaire au niveau du ministère. Des avancées existent, mais le manque de centralisation est une constante dans notre paysage.

Le bâtiment scolaire est soumis à un ensemble de cycles, quels que soient les pays.

Le macro-cycle ou cycle « bâtimentaire » se caractérise par la transformation structurelle et fonctionnelle du bâtiment environ tous les 40 ans. Il y a des rénovations majeures, de nouveaux financements, l'application de nouvelles normes techniques (comme la norme RT2030), des changements climatologiques, des évolutions institutionnelles, comme la réforme de la voie professionnelle, qui a un impact sur la filière des Bac pro, et également l'innovation...

Concernant l'innovation, il faut rappeler que lorsqu'une innovation apparaît, il faut 3 à 7 ans avant qu'elle arrive dans la sphère publique. Mais entre le lancement des réflexions sur un projet et la réalisation du bâtiment, de nouveaux outils technologiques se développent. Je cite souvent cet exemple : en 2016, Najat Vallaud-Belkacem a inauguré un établissement scolaire particulièrement innovant aux Mureaux. Pour le construire, il a fallu à la collectivité, au rectorat et à l'État presque 6 à 7 ans de réflexion. Lorsque le concours d'architecte a été lancé, l'ipad n'existait pas ! En 2016, lorsque le bâtiment scolaire sortait de terre, François Hollande inaugurait son Plan « numérique ».

Puis, on se retrouve avec un méso-cycle dès lors que l'enseignant veut exploiter le patrimoine mobilier de son établissement et de la ville (l'utilisation d'un gymnase par exemple), ce qui correspond à du long terme pour lui, mais qui demeure du court terme pour la collectivité.

Enfin, le micro-cycle se caractérise par la disponibilité immédiate des objets pour organiser sa classe et travailler. Quand l'enseignant quitte sa salle, un nouveau cycle recommence.

Le bâtiment scolaire va être soumis à des cycles longs, des pressions terribles et, dans ses usages, à une autre cyclicité, l'année civile pour le financement, l'année scolaire pour la structure éducative... et par les évènements sociétaux, les transitions, les évolutions démographiques...

Au niveau international, il y a un consensus autour d'une architecture scolaire saine, sécurisante, bienveillante et s'inscrivant dans une démarche de développement soutenable. L'établissement scolaire doit retrouver une capacité d'accueil, être flexible, adaptatif, évolutif et pérenne dans le temps. C'est ce qui existe depuis les années 70 dans tous les pays ! Certains arrivent à le faire un peu mieux que nous, d'autres le font beaucoup moins bien.

J'aimerai juste ajouter un mot sur les problématiques physiologiques. Avec un air confiné qui contient beaucoup de CO2 et plus de 1 200 ppm (partie par million), on perd 10 % de nos capacités cognitives à résoudre des tâches complexes. Au-dessus de 1 400 ppm, un phénomène physiologique se produit dans le sang ; surviennent des troubles comme le mal de tête, l'anxiété, l'excitation... Les Anglo-saxons ont démontré l'existence d'une relation causale entre la qualité de l'air, l'environnement et l'acoustique, et l'absentéisme et les taux d'arrêts maladie des enseignants. La qualité de l'air, la luminosité, l'acoustique, la colorimétrie, la thermie, la température et le lien avec la biophilie, le rapport à la nature, sont des éléments essentiels.

J'en viens à l'état des lieux : il n'existe pas de cartographie de l'existant ; nous ne connaissons pas vraiment l'état du parc immobilier français. Or, l'école constitue le plus gros parc immobilier avec plus de 150 millions de m2, et selon nos estimations, 60 % devrait être rénové pour un coût de 40 milliards d'euros pour la seule rénovation thermique.

Depuis 2018, on nous alerte sur la rénovation thermique des bâtiments individuels ou publics qui sont passés d'une étiquette énergétique F aux catégories A ou B. On découvre toutefois que la qualité de l'air s'y est dégradée. Les vieux bâtiments avaient une ventilation naturelle qui limitait la présence de CO2 ; dans les nouveaux bâtiments rénovés ou nouvellement construits, des taux de CO2 excessifs (1 400 ppm) sont très vite atteints dès le matin, si la VMC fonctionne mal. On sait que cela pose un problème de santé. On a tous vu ce qui s'est passé dans un lycée d'Aulnay-sous-Bois, sans chauffage, ni électricité. Est-ce dû à des difficultés fonctionnelles du bâtiment ou à des conditions sociales de dégradation ?

Certains pays créent des « jumeaux numériques », ils effectuent une réplique numérique du bâtiment permettant de récolter beaucoup de données. Dans la pratique, on réalise un plan du bâtiment en trois dimensions puis on construit des bases de données dont on peut se servir à des fins très variées, comme la mutualisation des achats ou la réflexion globale de rénovation... Nous n'avons pas ces outils pour notre part.

Dans le cadre du Plan Vigipirate, chaque plan des bâtiments scolaires doit être numérisé pour que les forces de l'ordre puissent réagir en cas de danger. Une telle base de données, que l'on pourrait partager entre les ministères de l'intérieur, de l'écologie et de l'éducation nationale, n'existe pas !

Nous sommes à la recherche d'une performance technique, une baisse de la consommation de chauffage ou d'eau ... mais il n'y a rien sur l'air ! De nombreux bâtiments ont été rénovés, et il n'y a aucune évaluation d'impact. Je rappelle l'article 4 de l'Accord de Paris sur les évolutions climatologiques. Lorsque l'État travaille sur l'évolution du climat avec des fonds publics, il doit mettre les données d'évaluation d'impact en open data pour que les citoyens puissent s'emparer de cette problématique. Cela se fait en Belgique par exemple, pas en France. Des programmes européens comme « CleanAir@School » partagent aujourd'hui des données sur la qualité de l'air et la qualité environnementale des établissements scolaires. Presque tous les États européens participent à ce programme sauf la France ! La capitalisation et le partage des impacts sont essentiels. Si l'ensemble des acteurs que sont l'État, les collectivités, les opérateurs, les chercheurs, les industriels et les professionnels travaillent tous dans le même sens, il demeure très difficile d'aller chercher l'information, la traiter et la comprendre.

Une autre problématique se pose : celle du cadre de l'action publique et de la gouvernance. Je pense que nous n'aurons pas l'argent de nos ambitions. Un important chantier en termes de gouvernance et de pilotage entre l'État, les collectivités et l'éducation nationale est nécessaire. On commence à mettre en place des groupements d'intérêts publics (GIP) qui se partagent les responsabilités, par exemple comme le plan « Marseille ». Il existe des programmes européens comme « EnergieSprong » où la collectivité s'engage à rénover un bâtiment, la banque prête des financements et l'industriel est payé sur les 30 % d'économies d'énergie qui seront réalisées. Voilà de nouvelles modalités de financement, mais ce qui manque principalement aujourd'hui, ce sont les évaluations. La rénovation énergétique va améliorer la performance énergétique, mais ne permet pas forcément à l'élève d'apprendre mieux et d'être en bonne santé ! Par exemple, aujourd'hui, l'Allemagne met en place des programmes d'architecture scolaire où la santé est mise en avant.

Il existe trop d'expérimentations peu documentées en France, sans étude d'impact, que ce soit sur l'environnement, les investissements ou les financements, sur le bien-être et l'apprentissage. Aujourd'hui, il existe un établissement scolaire à Helsinki sans murs, qui exploite l'intégralité des espaces disponibles dans la ville. Les élèves se déplacent en ville entre une salle de théâtre, où ils vont avoir un cours de français, et une entreprise chimique, où ils vont suivre un cours de chimie ! On voit de nouveaux modèles de ce type apparaître car la surdensité de certaines villes ne permet plus de nouvelles constructions. La problématique d'un modèle immatériel, sans murs physiques et virtuels, apparaît. Aujourd'hui, on voit poindre dans certains États des approches en faveur d'une école promotrice de santé en appui des environnements dynamiques sains (EDS) et où la question de l'enseignement n'est plus uniquement limitée à la classe.. Dans certains pays, commence à se poser la question de savoir si la classe du XIXe siècle, est encore la structure pédagogique du XXIe siècle, et si cela a un impact sur le bâtiment. Dans les cloisons des bâtiments qui sont livrés dans certains pays, il n'y a plus d'éléments actifs comme l'eau, l'électricité ... afin de pouvoir bouger cette cloison. Les éléments actifs sont intégrés dans les façades ou dans les sols et plafonds, comme dans les hôpitaux ou les industries nouvellement livrées. Il devrait y avoir de grandes similitudes dans la construction architecturale de l'hôpital et l'école de demain.

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