Intervention de Marc Lifchitz

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 27 juin 2018 à 15h00
Audition de M. Marc Lifchitz magistrat secrétaire général adjoint et de Mme Sophie Levine magistrat syndicat de l'unité magistrats fo magistrats

Marc Lifchitz, secrétaire général adjoint du syndicat Unité Magistrats SNM-FO :

L'organisation que je représente se prévaut d'un « Real-syndicalisme », pragmatique, réformiste et apolitique. Si nous prenons acte du fait qu'aucun parti ne demande le doublement, nécessaire, du budget du ministère de la justice, nous souhaitons être force de propositions pour une justice plus efficace. En matière de justice des mineurs, nos préconisations vont dans le sens d'une justice plus efficiente et de qualité, ce qui passe notamment par l'amélioration des conditions de travail des magistrats.

C'est sans dogmatisme qu'il faut se saisir de la question de la justice des mineurs. Il faut partir de la psychologie des mineurs délinquants, c'est la seule approche qui vaille ! Il faut également veiller à préserver la crédibilité de la justice : si le juge annonce à un jeune que, s'il recommence, il se verra infliger une sanction plus lourde, cette parole doit être tenue. Il nous paraît également important de conserver la gradation de la réponse pénale ; nous souhaitons qu'elle soit inscrite comme principe dans l'ordonnance du 2 février 1945. Enfin, il faut se débarrasser de l'antagonisme stérile entre l'éducatif et le répressif. La sanction participe de l'éducation : qui dirait à des parents qu'ils sont de mauvais éducateurs parce qu'ils sanctionnent leur enfant ?

Ces principes posés, je répondrai aux questions que vous nous avez envoyées.

S'agissant de l'enfermement des mineurs délinquants, il s'agit d'une question qu'il faut examiner avec pragmatisme. L'enfermement a toute sa place dans la gradation de la réponse pénale que j'évoquais. Il serait néanmoins bon et nécessaire d'améliorer la qualité de la réponse éducative dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et dans les centres éducatifs fermés (CEF).

L'esprit de l'ordonnance du 2 février 1945 est-il toujours respecté ? Selon nous, ce n'est pas vraiment le cas. Nous constatons des dérives : certains juges des enfants, par refus idéologique de l'enfermement, laissent courir des procédures sans jamais prendre d'ordonnance de renvoi ; le renvoi interviendra parfois à la majorité du jeune, pour donner lieu à un procès où l'on joindra les procédures et qui aboutira à prononcer, le plus souvent, une sanction symbolique, comme une mise sous protection par exemple. Il s'agit d'une dérive car ce n'est pas une réponse appropriée : un mineur qui n'a pas intégré la réponse pénale ou qui n'a pas été arrêté dans son parcours délinquant le poursuivra lorsqu'il sera majeur, et il aura de lourds antécédents. Condamné, il risquera alors de l'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt. Le choix de ne jamais incarcérer de mineur peut donc s'avérer contre-productif.

À quels profils de jeunes le placement en CEF ou en EPM est-il destiné ? Il s'agit le plus souvent de multirécidivistes, qu'on a souvent fait attendre trop longtemps. La question de la temporalité est essentielle : au premier fait, cela est sans doute trop tôt pour un placement, sauf bien sûr si l'infraction est très grave ; la question se pose à compter du deuxième. Si l'on attend le cinquième ou le sixième délit, il sera sans doute trop tard et l'effet du placement sera manqué.

Il convient de noter que nous avons de l'ordre de huit cents mineurs incarcérés par an, parmi lesquels un nombre croissant de filles, pour une durée moyenne sous écrou de 2,8 mois. L'incarcération peut être nécessaire pour donner un coup d'arrêt à un parcours de délinquance, sans avoir besoin de durer plusieurs mois. Il conviendrait de privilégier des réponses plus précoces et plus courtes, à l'instar de ce qui se fait en Suisse, où des peines de quinze jours d'emprisonnement sont prononcées à l'encontre de mineurs et réellement exécutées.

S'agissant du travail socio-éducatif qui y est réalisé en direction des jeunes, celui-ci est globalement de bonne qualité. Néanmoins, la qualité du recrutement des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et du secteur associatif agréé est un point d'attention majeur. Compte tenu des conditions d'exercice difficiles, l'on assiste à une véritable crise des vocations parmi ces personnels. Sont souvent affectés en CEF et en EPM des jeunes éducateurs sortis d'école, mal préparés. Comme dans d'autres services publics, nous nous retrouvons dans la situation où les agents les moins expérimentés sont affectés dans les endroits les plus difficiles.

Cette pénurie de personnel qualifié pénalise particulièrement les CEF. Alors que ces derniers ont une capacité théorique de douze places, il n'est pas rare que certains se disent saturés alors qu'ils n'accueillent en réalité que huit ou neuf mineurs. Il ressort des rapports budgétaires que le taux d'occupation des CEF s'élève à 78 %. Si demain il était de 100 %, cent cinquante mineurs supplémentaires seraient accueillis. Le problème de la performance des CEF réside essentiellement dans la qualité de l'encadrement. C'est pourquoi nous prônons un recrutement sur profil et en fonction de la personnalité, une formation adaptée et une récompense des bonnes volontés, afin d'attirer et de fidéliser des professionnels expérimentés.

Les EPM représentent un progrès notable par rapport aux quartiers pour mineurs (QPM). Il s'agit pour nous d'un bon modèle, lorsque l'on sait que les jeunes y sont occupés jusqu'à soixante heures par semaine. À cet égard, il serait bon que certains CEF, où les jeunes sont parfois livrés à eux-mêmes, s'en inspirent. Un autre modèle intéressant est celui des établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide) et des écoles de la deuxième chance qui, malgré un coût élevé, présentent d'excellents résultats en matière d'insertion. On pourrait imaginer une solution de prise en charge fondée sur ce modèle, à la différence que la participation du jeune ne reposerait plus sur le volontariat mais sur la contrainte. En moyenne, l'on observe que le séjour moyen en CEF n'est que de 4,9 mois ; or les études nous montrent que le taux de récidive est plus faible pour les jeunes qui y restent au moins six mois ; il conviendrait donc de faire un effort supplémentaire afin que la durée des séjours corresponde au semestre prévu par les textes. En résumé, les CEF sont efficaces aux réserves près que le placement doit avoir lieu au moment opportun dans le parcours du jeune, pour une durée suffisante et avec un encadrement par des personnels de qualité.

Faut-il dès lors créer vingt nouveaux CEF ? Oui, avec les mêmes réserves. De même, nous accueillons favorablement l'expérimentation d'une mesure d'accueil de jour visant une prise en charge globale du jeune. Toutefois, il ne suffira pas de l'écrire, il faudra des moyens ! Sinon nous tomberons dans l'écueil qu'a connu la contrainte pénale, parfaite sur le papier mais qui, comme les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) n'ont pas les moyens de la mettre en oeuvre, n'est que rarement prononcée.

La palette des solutions de prise en charge des mineurs délinquants est-elle suffisamment riche ? Elle l'est ; à cet égard, il faut avoir confiance en nos collègues du siège pour choisir la solution la plus appropriée.

Serions-nous favorable à une augmentation des places en familles d'accueil et en foyer d'hébergement ? Oui. Nous observons trop de sorties « sèches » à l'issue d'un séjour en CEF ou en EPM. En l'absence d'un « sas » à la sortie, trop de mineurs retournent directement dans un milieu criminogène ; il y a un vrai risque que le bénéfice du travail réalisé dans ces institutions soit perdu et que le mineur récidive, surtout s'il est influençable. Nous déplorons le manque de moyens des centres éducatifs renforcés (CER), qui permettent d'extraire les jeune de leur milieu d'origine. Il faut également revaloriser les familles d'accueil, par leur rémunération comme par leurs conditions de sélection, au vu de leur engagement et de leur savoir-faire.

Faut-il réécrire l'ordonnance du 2 février 1945 ? Non, son esprit originel peut être conservé avec quelques améliorations, parmi lesquelles doit figurer l'inscription des principes de la gradation de la réponse pénale, du caractère éducatif de la sanction et de maintien de la crédibilité de la justice.

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