a présenté les principales conclusions de l'étude élaborée par l'Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement (ISPED) de l'université Bordeaux II, en coopération avec la Fédération nationale des centres mémoire de ressource et de recherche (CMRR).
Cette étude répond aux huit questions posées par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (OPEPS) : Quelle est l'incidence et la prévalence de la maladie d'Alzheimer ? Quelles sont les stratégies actuelles de dépistage et de diagnostic ? Quelles sont les modalités de traitement ? Quelle est l'offre de soins ? L'organisation institutionnelle est-elle satisfaisante ? Comment adapter le financement aux besoins ? Qu'attendre de la recherche ? Après synthèse de l'étude, quelles sont les recommandations pour l'action publique ?
- S'agissant du premier point, la démence doit au préalable être définie. Ce terme désigne un déclin des fonctions intellectuelles avec un retentissement sur les activités de la vie quotidienne, évoluant le plus souvent progressivement vers une perte complète de l'autonomie, un état grabataire et la mort. Cette évolution dure en moyenne cinq ans mais la durée dépend de l'âge du malade lors du début des symptômes. Il semble ainsi que le développement de cette maladie s'accompagne d'une division par deux de l'espérance de vie. En plus des troubles cognitifs, les malades présentent des troubles de la personnalité et du comportement, par exemple l'apathie ou au contraire l'agitation et l'agressivité, qui constituent un problème majeur, en particulier pour l'entourage du malade. La phase de démence sévère dure deux ans et nécessite souvent le recours à une institution. La maladie d'Alzheimer est ainsi la cause la plus fréquente de démence, puisqu'elle serait à l'origine d'entre deux tiers et trois quarts des cas de démence.
Concernant la prévalence et l'incidence de la maladie, il n'existe pas de registre de la population atteinte de la maladie d'Alzheimer ou d'indicateur sanitaire fiable, qui permettraient de donner le nombre précis de cas en France, contrairement par exemple à ce qui existe pour le cancer ou les maladies cardiovasculaires. En outre, les estimations doivent être réalisées à partir d'études de cohorte en population, or il n'existe actuellement qu'une seule étude de ce type en France. A partir des données disponibles, la prévalence de la démence est ainsi estimée à 870.000 cas en France. Son incidence est de 220.000 nouveaux cas par an et 45 % des cas surviennent après l'âge de 85 ans. De plus, 330.000 cas de démence sévère et 150.000 nouveaux cas sont recensés chaque année. Pour une maladie aussi grave, aussi fréquente, dont le traitement est aussi coûteux, l'incertitude sur le nombre exact de personnes atteintes constitue une réelle limite à la définition d'une politique de santé, au niveau national ou au niveau local. A terme, compte tenu du problème du vieillissement de la population, il est donc essentiel d'obtenir des statistiques plus fiables afin notamment de construire des projections plus élaborées.
Quant aux conséquences de la maladie d'Alzheimer, il convient tout d'abord de souligner que celle-ci est la principale cause de dépendance lourde du sujet âgé. Elle constitue également le motif principal d'entrée en institution : en effet, 75 % des sujets vivant en institution et, parmi les personnes âgées de 75 ans et plus, 86 % des sujets très dépendants pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie courante ou leur locomotion sont déments. Ces éléments expliquent la concentration des personnes atteintes de démence dans les maisons de retraite : depuis le recensement de ces données en 1999, le taux de sujets déments en institution serait ainsi passé de 75 % à 80/90 % aujourd'hui. Par ailleurs, parmi les personnes éligibles à 1'allocation personnalisée d'autonomie (APA), 72 % sont atteintes de démence.
Si l'incidence et la durée de la maladie ne changent pas, la France comptera 1,2 million de personnes démentes en 2020 et 2,1 millions en 2040. Cette évolution ne sera cependant pas régulière : du fait de l'arrivée à l'âge de 80 ans des classes nées après la Première Guerre mondiale, la progression du nombre de personnes atteintes, qui sera forte au cours des prochaines années, devrait se stabiliser entre 2010 et 2015, puis augmentera à nouveau pendant vingt ans.
L'étiologie de la maladie d'Alzheimer est encore inconnue. Il existe cependant plusieurs pistes de prévention et, en premier lieu, la prise en compte des facteurs de risque cardio-vasculaires, et en particulier l'hypertension artérielle, puisqu'il a été prouvé que traiter celle-ci convenablement conduisait à diminuer de 40 à 50 % les cas de démence. D'autres pistes sont également envisagées, mais leur efficacité n'a pas été démontrée de façon certaine : la nutrition, les activités stimulantes et la lutte contre l'isolement et la dépression.
- Le diagnostic de démence est avant tout clinique et peut être difficile en début de maladie, en raison notamment de la confusion avec le vieillissement cérébral normal. Il nécessite le recours à un spécialiste avec un bilan neuropsychologique. Les recommandations établies par 1'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) sont correctement appliquées quand le diagnostic est fait. Il y a donc peu d'erreurs par excès, mais il en existe par défaut : seule une démence sur deux est diagnostiquée et uniquement une sur trois est détectée au stade précoce. La maladie est en fait surtout ignorée au-delà de l'âge de 85 ans. En outre, aucune étude n'a été entreprise dans le monde pour démontrer l'efficacité d'une détection précoce en l'absence de recours aux soins, contrairement, par exemple, à la détection précoce du cancer du sein. En l'absence d'évaluation, le problème réside donc dans la difficulté de recommander la détection précoce de la maladie d'Alzheimer.
Les causes de la sous-médicalisation des démences sont multiples et tiennent tout d'abord aux caractéristiques de la maladie. En effet, celle-ci fait souvent l'objet d'un déni de la personne malade et de son entourage, lié en particulier au fait que si les pertes de mémoire sont acceptées, les pertes d'attention ou de faculté de raisonnement sont plus anxiogènes, mais également à ce que la maladie est souvent confondue avec le vieillissement normal. D'autres facteurs expliquent ce faible recours aux soins :
- l'image de la maladie, qui fait peur et est considérée comme une fatalité, aussi bien dans le milieu médical que dans les familles ;
- le manque de crédibilité des traitements ;
- les insuffisances de l'offre de soins et de la formation des soignants, ce qui s'explique notamment par le fait que les études de médecine sont très axées sur la biologie et peu sur la sociologie ou la psychologie, alors que la maladie d'Alzheimer présente la caractéristique d'être complexe, de ne pas relever du seul domaine médical et de requérir la prise en compte de l'ensemble de ces dimensions ;
- le manque de temps et d'intérêt pour la prise en charge des personnes atteintes, le traitement de la maladie d'Alzheimer n'étant pas actuellement valorisé, de même que l'accompagnement des sujets déments.
Les spécificités de la maladie d'Alzheimer se traduisent ainsi par un double cercle vicieux. D'une part, les malades, les familles ou les aidants, considérant que le corps médical n'est pas apte à régler les problèmes liés à cette pathologie, n'ont pas recours au médecin : ces derniers ne peuvent donc pas agir sur la maladie, ce qui diminue, à leurs yeux, l'intérêt qu'il y a à s'occuper de celle-ci, entraînant par là même la méfiance des malades. D'autre part, au niveau des décideurs politiques, il existe un autre cercle vicieux, mis en lumière par une étude anglo-saxonne : la maladie ne touchant pas les forces productives des pays, puisqu'elle concerne uniquement les personnes âgées, n'est pas au coeur des préoccupations politiques. Il en découle un faible investissement en matière de recherche et de prise en charge des malades, d'où un nombre limité de formations et de spécialistes de cette pathologie. Conséquence directe, la maladie n'est pas diagnostiquée dans bien des cas, ce qui conduit en retour les décideurs à y consacrer peu d'argent.
- Concernant les traitements médicamenteux, les inhibiteurs de l'acétylcholinestérase (IAC) et la mémantine ont démontré leur efficacité mais seulement à court terme. De plus, les résultats des essais cliniques sont difficiles à interpréter pour cette pathologie, car l'efficacité du médicament est évaluée en fonction de l'absence ou du ralentissement de la dégradation de l'état de santé du malade, et non de son amélioration comme c'est le cas habituellement. Quant aux traitements non médicamenteux, tels que la stimulation cognitive, leur efficacité n'a jamais fait l'objet de preuve tangible. L'évaluation de la prise en charge psychologique des malades constitue en particulier une voie de recherche très importante. Dans l'ensemble, les traitements proposés manquent donc de crédibilité. De ce fait, seul un malade sur trois suit un traitement en France. Si la situation actuelle n'est pas satisfaisante, comme le souligne l'étude, il n'y a toutefois pas lieu de sombrer pour autant dans un pessimisme excessif, puisque la France est au premier rang européen pour ce qui est de la prise en charge médicale du malade. On remarque également que plus les malades sont jeunes, plus ils suivent un traitement médical : 60 % des malades de moins de 80 ans sont traités, alors que la proportion chute à 20 % passé cet âge. Ces éléments démontrent combien il est important d'informer et d'aider les personnes en charge des malades.
- On constate également des insuffisances majeures dans le suivi des malades et l'offre de soins, au premier rang desquelles l'absence de recommandations officielles concernant la prise en charge des malades après le diagnostic. De ce fait, le suivi médical, psychologique et social des patients est extrêmement variable selon leur lieu de résidence et va de la simple consultation annuelle par un généraliste ou un spécialiste à la séance bimensuelle d'hospitalisation de jour. Cette très grande hétérogénéité est à l'image de la répartition très inégale des structures dédiées à la prise en charge de ces personnes, et en particulier les consultations mémoire de proximité (CMP), les centres locaux d'information et de coordination (CLIC), les accueils de jour ainsi que les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD).
En résumé, depuis l'apparition de la maladie chez le patient jusqu'au suivi du malade, les dysfonctionnements existent en fait à tous les niveaux. A chaque étape du parcours thérapeutique correspond en effet une insuffisance : absence de plainte du patient ou de son entourage à l'apparition de la pathologie, absence de diagnostic et, de ce fait, absence de traitement et de suivi adéquat de la maladie. Or ces dysfonctionnements entraînent de lourdes conséquences, dont la plus importante est le recours plus ou moins anarchique et inadapté au système de santé et en particulier à l'hospitalisation d'urgence, même dans le cas d'une pathologie bénigne. La détérioration cognitive ignorée chez le sujet âgé pourrait en effet contribuer de manière importante au blocage et à la crise des services d'urgence. On peut également penser que ce recours au système de soins produit des coûts importants qui pourraient être en partie évités. Enfin, l'absence de détection prive les personnes atteintes de la chance de contenir l'évolution de la maladie, entraîne des risques accrus d'accidents de la route ou d'accidents domestiques et accroît la détresse des familles.