Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l'a rappelé avec force, le 9 décembre dernier, le président de la Banque mondiale, à l'occasion de la journée mondiale contre la corruption, la corruption est un véritable « cancer » contre lequel il faut ardemment lutter.
Selon M. Wolfensohn, en effet, plus de 1 000 milliards de dollars seraient dépensés chaque année dans le monde en versement de pots de vin.
A cet égard, dès 1999, le Conseil de l'Europe avait fait de la lutte contre la corruption l'une de ses priorités et les deux conventions pénale et civile sur la corruption, dont j'ai l'honneur de présenter devant vous les projets de loi d'approbation, en sont l'illustration.
Il convient de rappeler que les années quatre-vingt-dix ont vu se renforcer la prise de conscience, par les opinions publiques et les dirigeants, de l'impérieuse nécessité de lutter contre le fléau de la corruption, qui met en danger la stabilité des institutions démocratiques, les fondations morales de la société et l'économie de marché.
Si diverses conventions internationales destinées à lutter contre la corruption avaient été conclues, tant à l'échelon européen, avec la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des Etats membres de l'Union européenne du 26 mai 1997, qu'à l'échelon international, avec la convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, sur la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales du 17 décembre 1997, aucune de ces conventions n'appréhende le phénomène dans sa globalité.
Conscients de ces lacunes et souhaitant la mise en place d'un programme d'action contre la corruption, les ministres européens de la justice recommandèrent, dès 1994, la création d'un groupe multidisciplinaire sur la corruption, chargé d'examiner quelles mesures pourraient être mises en oeuvre pour lutter efficacement contre ce fléau.
Parmi ces mesures figurent, en première place, les conventions pénale et civile sur la corruption, que je vais évoquer successivement.
La principale caractéristique de la convention pénale sur la corruption, signée à Strasbourg le 27 janvier 1999, est son large champ d'application, qui reflète une approche globale du phénomène, ce qui la différencie des instruments internationaux précédemment adoptés dans ce domaine.
La convention pénale a principalement pour objet de développer des normes communes en matière de corruption et de mettre à la charge des Etats signataires l'obligation d'adopter des incriminations qui couvrent les divers aspects que peut revêtir la corruption.
Sur le plan des incriminations, la convention permet de progresser dans la voie du rapprochement des législations pénales en étendant les infractions de corruption active et passive à de nombreuses catégories professionnelles ainsi qu'au secteur privé, et d'incriminer le trafic d'influence, le blanchiment du produit des délits de la corruption et les infractions comptables.
Pour la France, la ratification de la convention pénale entraînera une adaptation du droit interne et un projet de loi est actuellement en cours de préparation au sein des services de la chancellerie. En effet, la convention fait obligation d'incriminer des comportements, non prévus par notre législation, tels que la corruption active et passive d'agents publics étrangers, de membres d'assemblées publiques étrangères, de fonctionnaires internationaux, de membres d'assemblées parlementaires internationales, de juges et d'agents de cours internationales, ainsi que la corruption active et passive dans le secteur privé.
Enfin, dans le but de favoriser l'efficacité de la lutte contre la corruption, la convention pénale offre aux Etats signataires une véritable base juridique leur permettant de coopérer, même en l'absence d'accords internationaux.
La convention pénale est d'ores et déjà entrée en vigueur le 1er juillet 2002 après que quatorze Etats l'ont ratifiée. A ce jour, trente Etats l'ont ratifiée.
Pour sa part, la convention civile est le premier texte international visant à lutter contre la corruption par l'utilisation des moyens du droit civil.
Ainsi cette convention permet-elle aux personnes, physiques ou morales, qui ont subi un dommage résultant d'un acte de corruption, de défendre leurs droits et intérêts, voire d'obtenir des dommages et intérêts.
La convention civile prévoit des mesures, qui doivent être prises à l'échelon tant national qu'international.
Parmi ses principales dispositions, la convention civile précise que les préjudices susceptibles d'indemnisation sont les « préjudices patrimoniaux », qui représentent la dégradation effective de la situation économique de la personne lésée, mais également le « manque à gagner », qui représente le bénéfice qu'elle aurait pu raisonnablement obtenir, mais n'a pas obtenu du fait de l'acte de corruption, et, enfin, les « préjudices non patrimoniaux », telle l'atteinte à la réputation d'un concurrent.
La convention civile exige des parties qu'elles prévoient des procédures appropriées pour permettre aux victimes de demander réparation à l'Etat dans des conditions procédurales efficaces et des délais raisonnables, lorsque l'acte de corruption est commis par un agent public.
Enfin, l'acte de corruption ayant été constaté, la convention civile pose le principe de la nullité de tout contrat ou de toute clause d'un contrat dont l'objet est un acte de corruption, ce qui correspond à la sanction usuelle des obligations à objet illicite.
Notre droit interne dispose de tous les moyens dont la convention civile recommande la mise en oeuvre, mais le texte présente cependant l'intérêt d'afficher la possibilité d'utiliser pour la lutte contre la corruption ces règles de droit civil, qui peuvent relayer très utilement l'action pénale, notamment en termes de dissuasion, compte tenu de la sanction pécuniaire de fait que constitue le paiement de dommages et intérêts.
La convention civile, ratifiée par vingt-deux Etats à ce jour, est entrée en vigueur le 1er novembre 2003.
Désireux que les dispositions des deux conventions soient effectivement appliquées par les Etats, les conventionnels ont confié le suivi de la mise en oeuvre des deux conventions au Groupe d'Etats contre la corruption, le GRECO, dont la mission est de veiller au respect des engagements des parties.
Ce suivi s'effectue dans le cadre de visites d'évaluation, à l'issue desquelles des recommandations sont adressées aux Etats membres, afin de les inciter à améliorer leur législation en matière de lutte contre la corruption.
A cet égard, la France a été évaluée à l'occasion des deux premiers cycles d'évaluation du GRECO.
En conclusion, la ratification de ces deux conventions illustrera la volonté qu'à la France de lutter fermement contre la corruption, comme elle l'a exprimé en signant le 11 décembre 2003 à Merida la convention des Nations unies sur la corruption.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appellent les conventions civile et pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe, faisant l'objet des projets de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.