Merci pour cette invitation. Votre mission est vaste, je ne veux pas remonter trop loin mais vos questions ne sont pas nouvelles, et elles s'aggravent. En 2014, les collectivités locales ont été très largement contributrices à l'effort de réduction des dépenses publiques : elles ont participé pour 42 milliards d'euros, donc proche de 50 milliards en euros constants. C'est pourquoi nous disons que nous avons largement fait notre part. Cependant, chacun constatera que cet effort n'a pas eu d'effet sur la situation des comptes de l'État. Je m'étonne, dans ces conditions, que l'on continue de demander aux collectivités territoriales de participer au redressement des comptes publics car en réalité, elles sont les seules à l'avoir fait...
Or, nous avons quelques inquiétudes, et nous l'avons dit à la Première ministre et aux ministres des finances et des comptes publics. Car lorsque le ministre de l'économie évoque une revue des dépenses publiques, ce qui est un exercice très certainement utile pour l'État, il a ajouté « et notamment pour les collectivités territoriales » : nous nous sommes alors permis de lui rappeler le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités locales.
Vous me demandez des exemples de transferts de charges et d'empiètement, par l'État, de ce principe de libre administration et d'autonomie financière - mais par où commencer, tant ces exemples abondent ? Voyez la dernière loi de finances, où les chiffres avancés par Bercy sur l'état des finances locales, qui serait brillant, ne cessent d'étonner les maires, qui sont en prise avec la réalité, tout autre.
La dernière loi de finances a acté la non indexation de la DGF, alors que nous demandons l'indexation de manière constante. La DGF n'est pourtant pas une gratification, ni une amabilité, c'est un dû ; il doit être en euro constant. Bercy nous nous dit que les montants sont stables depuis dix ans, c'est vrai ; mais ce qui peut s'entendre quand l'inflation est à 1 %, comme dans le quinquennat précédent, et quoiqu'il faille aussi regarder la répartition de cette dotation, mais c'est une autre histoire - ce qu'on peut entendre comme « stable » ne l'est plus avec 7,1 % d'inflation pour l'an passé, et peut-être 5 % cette année : quand Bercy se félicite d'une augmentation de 1,76 %, nous voyons, nous, que nous perdons encore du « pouvoir d'action », c'est une évidence. On nous a promis une compensation intégrale des charges transférées, ce n'est pas le cas : la parole républicaine n'est pas respectée, nous avons largement documenté ce point avec toutes les charges mal compensées, je vous renvoie aux travaux de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales.
Je peux aussi vous parler des deux décrets que nous avons examinés ce matin au CFL, ce sera in vivo, des exemples encore tout chauds.
Le premier est lié à suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Quand l'État fait un cadeau fiscal, il le fait avec l'argent des collectivités territoriales. C'était vrai pour la taxe d'habitation, ça l'est pour la CVAE. Aucune entreprise ne m'avait dit que cette taxe était un problème, l'État la supprime, promet une compensation à l'euro près, mais ce n'est pas le cas, nous en avons parlé ce matin sur le décret d'application. La CVAE a déjà été payée à l'État, la DGFIP nous a redonné le chiffre ce matin : 11,3 milliards d'euros. Bercy nous assure que l'intégralité de cette somme nous reviendra - tout en réservant, donc en nous retirant 600 millions d'euros pour la part dite dynamique, et en ponctionnant 500 millions pour abonder le fonds vert - lequel a déjà siphonné, pour atteindre les 2 milliards annoncés, plusieurs autres fonds, dont le fonds « friches » -, et encore 150 millions d'euros pour les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Nous sommes bien sûr favorables à renforcer les moyens des SDIS, mais pourquoi, quand l'État annonce un grand plan national, il le finance avec l'argent des collectivités territoriales ? C'est aussi ce qui s'est passé, rappelez-vous, après la tempête qui s'est abattue sur Saint-Martin : le Gouvernement annonce une aide de 50 millions d'euros, très bien, mais il les prend sur la DGF. Où est la sincérité financière de l'État ? On a de quoi se poser la question... Ce matin encore, les représentants de Bercy ont eu beau jeu de nous annoncer que toute la CVAE nous sera compensée, on comprend qu'une partie est déjà attribuée au SDIS et au fonds vert - et je ne sais pas pour vous, mais j'ignore quels seront les critères de répartition de ce fonds, et j'ai pu constater que mon préfet aussi... Nous avions demandé que les élus émettent un avis sur la répartition du fonds vert, il y a le précédent de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), mais nous sommes dans le brouillard...
Bercy, encore, nous dit que la situation des finances locales serait bonne, voire excellente, parce que nous avons de la trésorerie. Nous débattons avec les mêmes chiffres, puisqu'ils viennent de l'administration, mais nous n'y voyons pas la même chose - et il faut regarder dans le détail. Oui, il y a de la trésorerie, mais c'est souvent en vue d'un projet, d'un investissement - et vous le savez comme moi, dans les petites communes, les petites villes, un mandat ne permet souvent guère plus qu'un grand projet, pour lequel on mobilise des moyens en amont... -, et il y a aussi de l'épargne de précaution, ce qui, chacun en conviendra, a son utilité par les temps qui courent... Donc lorsque nous avons examiné le décret d'application lié à la suppression de la CVAE, nous nous sommes abstenus, car personne au CFL n'était volontaire pour défendre ce transfert - et il y a eu un vote contre, qui du coup l'a emporté et l'avis du CFL a été négatif, ce qui fait mauvais genre, même si cela n'a aucun effet puisque l'avis est consultatif.
Le deuxième décret que nous avons examiné ce matin au CFL prévoit une série d'exonérations supplémentaires de taxe foncière liées à des travaux d'amélioration de l'habitat, pour leur rénovation énergétique. Ici encore, nous partageons l'objectif de lutter contre les passoires thermiques, mais l'État allonge de dix ans des exonérations de taxes foncière qu'il ne compense qu'au cinquième aux collectivités territoriales : on ne peut accepter que l'État fasse des cadeaux avec les moyens des collectivités territoriales ! Or, nous sommes constamment placés dans cette situation, le rapport d'Alain Lambert au CNEN le montre bien, cela devient ingérable. Dans ma ville, il me manque 1,5 million d'euros pour boucler mon budget, suite à la renégociation des tarifs énergétiques, qui en sont à un tiers d'augmentation - et l'an prochain je verrai ce qu'il en sera pour le gaz. Voilà la réalité concrète - mais pour Bercy, la situation de nos finances serait bonne et certains n'hésitent pas à nous critiquer, à dire que nous nous plaignons de tout, j'ai même entendu cette expression : nous serions des « pleureuses »... En réalité, la situation devient très difficile à gérer, ce qui explique les démissions d'élus et d'adjoints, elles sont plus importantes que dans la mandature précédente. Mais tout cela échappe à nos interlocuteurs de Bercy. Ce matin, j'ai demandé s'il s'agirait d'une exonération ou d'un dégrèvement - on ne savait d'abord pas me répondre, on a consulté, avant d'avouer, timidement, que ce serait une exonération, donc bien moins remboursée à la collectivité territoriale puisque le dégrèvement doit être intégralement compensé...