Intervention de Carole Brousse

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 13 juin 2018 à 16h00
Table ronde autour de mme carole brousse docteur en anthropologie sociale m. jean-baptiste gallé pharmacien et docteur en chimie des substances naturelles et mme isabelle robard docteur en droit et avocat en droit de la santé

Carole Brousse :

Je souhaiterais commencer par faire une comparaison entre l'herboristerie et la boulangerie : la boulangerie c'est à la fois le pain et le blé. L'herboristerie, c'est à la fois la tisane et la plante médicinale. Ces deux entités, la plante et la tisane, le blé et le pain, recouvrent des dimensions techniques, scientifiques mais également patrimoniales et symboliques. Et ces deux entités recouvrent également une filière économique : elle part de la semence pour aller jusqu'au sachet de tisane en herboristerie, de même qu'en boulangerie, elle part du grain de blé pour aller jusqu'au pain.

Je file cette métaphore car quand on s'intéresse plus spécifiquement au métier final, boulanger et herboriste, c'est-à-dire celui qui est au contact des clients, on retrouve des ressemblances. En boulangerie, il y a le boulanger mais également le paysan-boulanger. Le boulanger achète sa farine et fabrique son pain. Le paysan-boulanger cultive son blé, produit sa farine et fabrique son pain. Pour l'herboristerie c'est la même chose : il y a des herboristes qui achètent des plantes et vendent des tisanes et il y a des paysans-herboristes qui cultivent et cueillent leurs plantes et fabriquent et vendent leurs préparations. Les paysans-boulangers comme les paysans-herboristes sont à ce titre des « hommes-filières » puisqu'ils interviennent à toutes les étapes du processus de production.

Il y a bien sûr de nombreuses différences entre la boulangerie et l'herboristerie et je reviens sur une en particulier. Je n'ai pas de chiffres, mais je pense qu'il y a en France clairement moins de paysans-boulangers que de boulangers. Or, ce n'est pas nécessairement la même chose pour l'herboristerie. Sur l'ensemble du territoire français, il y aurait entre 700 et 800 paysans-herboristes. À titre d'exemple, à proximité immédiate de ma commune de Corrèze, il y a 5 paysans-herboristes mais aucune boutique d'herboristerie.

Pour autant, les herboristes et les paysans-herboristes ne doivent pas être opposés puisqu'ils exercent leur métier en complémentarité. Si les consommateurs urbains s'adressent surtout à des herboristeries, les consommateurs installés en milieu ruraux s'adressent davantage aux paysans-herboristes. Mais les paysans-herboristes vendent également leurs plantes à des consommateurs urbains. Comme nous allons le voir en détaillant les résultats de l'enquête, les consommateurs cherchent à acheter des plantes médicinales issues de l'agriculture biologique, mais également des plantes locales, cultivées sur leur terroir.

La thèse que j'ai consacrée aux paysans-herboristes m'a permis de détailler la matérialité de leur mode de production : leur rapport à la règlementation et leur engagement pour l'herboristerie. Surtout, elle m'a amenée à appréhender l'étendue de leurs savoirs. En effet, les paysans-herboristes disposent pour la plupart de diplômes agricoles, ils ont donc suivi des formations professionnelles consacrées à la production de plantes médicinales. Ils sont également nombreux à suivre les enseignements par correspondance dispensés par les écoles privées d'herboristerie.

Mais surtout, la formation du paysan-herboriste est une auto-formation au long cours. Avant de s'installer dans leurs activités, les producteurs suivent de nombreux stages chez des paysans-herboristes déjà installés. Ils y apprennent des techniques, ils expérimentent, testent, pratiquent, goûtent les plantes. Une fois installés sur leur propre ferme, ce goût pour le savoir ne les quitte pas. Ils se constituent d'impressionnantes bibliothèques, fréquentent des lieux de savoirs comme le musée ethnologique de Salagon, situé dans les Alpes-de-Haute-Provence, dispensent leurs connaissances dans le cadre d'ateliers qu'ils organisent pour leur clientèle. Certains écrivent des livres, recueillent des témoignages d'usages populaires et beaucoup reçoivent à leur tour sur leur ferme de nombreux stagiaires.

Le deuxième enseignement qui ressort de ma recherche doctorale porte sur l'attachement des paysans-herboristes au monde végétal. Les plantes sont loin d'être considérées comme des outils de travail. Elles sont chéries et choyées. Cela se traduit par des produits herboristiques très qualitatifs et par une attention particulière portée aux questions environnementales. Les paysans-herboristes que j'ai rencontrés travaillent tous dans les conditions de l'agroécologie. Lorsqu'ils cueillent leurs plantes à l'état sauvage, ils prêtent une attention particulière à la gestion de la ressource. Ce rapport particulier au végétal interpelle les consommateurs car ce discours les reconnecte à leur santé, à leur environnement.

Je vais donc reprendre l'analyse des résultats de l'enquête qu'a commencé à vous présenter Jean-Baptiste Gallé.

Comme je vous le disais, les consommateurs sont très attentifs à la qualité des plantes médicinales qu'ils achètent. L'enquête montre que le critère qui détermine le plus leur achat de plantes médicinales porte sur les conditions de culture et de cueillette des plantes. Les informateurs souhaitent consommer des plantes produites dans les conditions de l'agriculture écologique. A contrario, le prix est le critère le moins mentionné par les répondants à l'enquête, donc a priori le moins déterminant dans leur choix de consommation.

Pour identifier les caractéristiques écologiques des préparations herboristiques qu'ils achètent, les consommateurs utilisent et valorisent les labels comme le logo AB, mais aussi les marques privées comme la marque Simples, la marque Nature et Progrès ou encore la marque Demeter.

La moitié des informateurs affirment également que c'est le contact direct avec un producteur qui a le plus d'influence sur leur choix de consommation. Cela montre qu'ils sont en attente et valorisent les circuits courts.

D'ailleurs une large majorité de répondants, près des trois quarts de l'échantillon, affirme utiliser préférentiellement des plantes locales. Cette préférence est en partie motivée par un argument écologique : l'impact énergétique des plantes achetées localement serait moindre que celui des plantes exotiques. En plus de l'argument écologique, les répondants estiment également qu'il y aurait suffisamment de diversité floristique sous nos latitudes pour fournir un panel de plantes médicinales intéressant l'herboristerie.

Les consommateurs sont en attente de conseils concernant les usages des préparations qu'ils achètent. En effet, la grande majorité des informateurs estime qu'un produit réalisé à partir de plantes médicinales comporte un risque d'utilisation. L'enquête a permis de montrer quels sont ces risques pressentis par les consommateurs. Différents types de risques ont été évoqués : le premier porte sur un mauvais dosage. Le deuxième implique l'utilisation de plantes toxiques, allergisantes ou contre-indiquées dans certaines situations, comme une grossesse par exemple. Le troisième risque porte sur les confusions entre les plantes ou entre leur usage. Enfin un dernier risque est relatif à la mauvaise qualité des plantes ou aux mauvaises conditions de préparation des remèdes à base de plantes.

La grande majorité des informateurs, 94 %, considèrent toutefois que la tisane présente peu de risques, même lorsqu'elle est employée dans le cadre d'une pratique d'automédication.

Les usagers de l'herboristerie s'adressent à différents professionnels pour acheter des préparations à base de plantes médicinales, mais ils perçoivent des différences de qualités dans les produits distribués par ces professionnels. Pour la moitié des usagers de l'herboristerie, ce sont les herboristes et les paysans-herboristes qui sont perçus comme vendant les plantes de meilleure qualité. Viennent ensuite les vendeurs en boutique diététique, les pharmaciens, les vendeurs sur internet et en dernier les grandes surfaces.

Les plantes vendues par les pharmaciens recueillent donc la préférence d'une très faible part des usagers de l'herboristerie : seulement 6,2 % des informateurs pensent que ce sont les pharmaciens qui distribuent les plantes de meilleure qualité.

Cela montre bien que les usagers de l'herboristerie ont conscience des limites de la situation actuelle et qu'ils souhaitent la voir évoluer. Ils sont en effet plus de 88 % à estimer que le réseau des pharmacies d'officine n'est pas suffisant pour assurer la délivrance des plantes médicinales simples ou transformées.

La solution qu'ils envisagent semble impliquer le rétablissement d'un diplôme d'herboriste : 91 % des informateurs souhaitent en effet sa recréation. Différents arguments ont été évoqués par les informateurs pour justifier ce positionnement. Tout d'abord, certains sont favorables à la création d'un diplôme d'herboriste qui impliquerait la création de nouveaux lieux de vente, de façon à combler un manque. D'autres affirment que le rétablissement d'un diplôme d'herboriste devrait permettre de légaliser l'exercice d'un métier qui existe déjà et qui n'a jamais cessé d'exister. Enfin deux autres arguments ont été évoqués : le premier consiste à dire que le diplôme d'herboriste devrait permettre d'encadrer les pratiques des professionnels et d'éviter les dérives ce qui permettrait donc de rassurer les consommateurs. Le dernier argument se positionne surtout en faveur de la création d'une formation publique, donc gratuite, d'herboriste.

Une question de notre enquête portait sur la règlementation que les informateurs souhaiteraient voir appliquer sur les produits de l'herboristerie. Plus de la moitié des interrogés estiment que les plantes médicinales ne devraient pas faire l'objet d'une règlementation identique à celle utilisée pour homologuer les médicaments.

Un des arguments avancés pour justifier cette position consiste à dire que cette réglementation est trop lourde et trop coûteuse pour les petites structures que sont les herboristeries. Un autre argument porte sur les protocoles de validation scientifique qu'implique cette règlementation. En effet, une part importante des informateurs pensent que les indications des plantes n'ont pas besoin d'avoir été prouvées scientifiquement pour être fiables. Ils estiment que le savoir traditionnel suffit à garantir leur efficacité, puisqu'ils comportent des traditions d'usage qui ont été validées par la pratique.

En définitive, l'enquête a permis de constater que les informateurs ont une connaissance assez fine de la filière et des attentes claires concernant la réhabilitation du métier d'herboriste.

Tout d'abord, il apparaît que les informateurs sont en recherche de plantes cultivées et cueillies de façon agroécologique et veulent acheter préférentiellement des espèces propres à leur terroir. L'enquête a également permis de constater que les usagers de l'herboristerie sont peu nombreux à acheter leurs plantes médicinales en pharmacie, notamment parce que la qualité des plantes fournies en officine ne semble pas correspondre à leurs attentes.

Les informateurs préfèrent acheter leurs plantes médicinales chez les herboristes de comptoir ou auprès des paysans-herboristes. Les enquêtés connaissent en effet ces deux métiers et en donnent des définitions réalistes. En plus de la différence principale qu'ils notent, et qui porte sur l'approvisionnement en plantes, les informateurs distinguent également les savoirs de ces deux herboristes. Le paysan-herboriste est décrit comme un fin connaisseur de son terroir et des plantes qu'ils récoltent tandis que l'herboriste de comptoir est décrit comme disposant avant tout de connaissances scientifiques, plus exhaustives peut être, sur un plus grand nombre de plantes.

Pour finir, je souhaiterais revenir sur deux chiffres déjà cités mais qui me semblent particulièrement parlants : 88,2 % des enquêtés estiment que le réseau des pharmacies d'officine n'est pas suffisant pour assurer la délivrance des plantes médicinales simples ou transformées, et 91 % des informateurs sont favorables au rétablissement d'un diplôme et donc d'un statut d'herboriste.

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