Intervention de Isabelle Robard

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 13 juin 2018 à 16h00
Table ronde autour de mme carole brousse docteur en anthropologie sociale m. jean-baptiste gallé pharmacien et docteur en chimie des substances naturelles et mme isabelle robard docteur en droit et avocat en droit de la santé

Isabelle Robard :

Je suis très heureuse de participer aujourd'hui à ce débat qui me tient à coeur car ma mère a tenu pendant 25 ans un magasin d'alimentation qui avait un petit département d'herboristerie, dans le respect strict de la loi, avec des plantes non mélangées entre elles. C'est un sujet de coeur, lié à mon enfance, mais également un sujet que je suis depuis plus de 20 ans et qui m'amène à des réflexions car mes activités sont multiples : je suis sur le terrain du contentieux mais mon cheval de bataille est aussi la prévention juridique. Je pense qu'un mauvais compromis vaut mieux qu'un mauvais procès. J'essaie également d'apporter ma contribution modeste vis-à-vis des ministères. J'enseigne enfin le droit pharmaceutique et la réglementation des produits frontières en faculté de pharmacie et de droit.

Je tiens tout d'abord à féliciter le Sénat pour cette initiative car je pense que c'est un sujet sensible, qui a fait l'objet récurrent de questions parlementaires mais qui n'a jamais eu le temps d'être posé.

Je ne suis pas étonnée que le Sénat se mobilise sur le sujet, puisque la commission des affaires sociales m'avait déjà apporté son soutien sur un projet antérieur, visant à faire intégrer la pharmacopée ultramarine au code de la santé publique.

L'automédication est en augmentation constante, les français aspirent de plus en plus au confort, ils s'instruisent sur internet, dans les livres et dans les ouvrages. Le marché de l'automédication, comprenant les dispositifs médicaux et les compléments alimentaires, s'élève à 1,57 million d'euros, d'après les chiffres fournis par l'Afipa, l'association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable. On note également que 64 % des compléments alimentaires sont à base de plantes, d'après les chiffres fournis par le syndicat national des compléments alimentaires, le Synadiet.

On voit qu'il y a des enjeux économiques et éthiques, autour de la protection environnementale, ainsi que des enjeux juridiques. Il y a pour moi plusieurs problématiques.

Je vais commencer par l'outre-mer. Depuis l'arrêté du 24 juin 2014 qui fixe la liste des plantes pouvant entrer dans la composition des compléments alimentaires, si je veux aujourd'hui faire entrer un complément alimentaire à base de banane dans la variété musa acuminata, ça ne sera pas possible. Lorsque cet arrêté a été pris, l'outre-mer a encore été oublié : les plantes ultramarines n'ont pas été intégrées de façon suffisante.

Une autre problématique concerne les allégations. Le droit pharmaceutique classique nous dit, en vertu du code de la santé publique, que l'on ne peut pas apposer une allégation ni à titre préventif ni à titre curatif sur un produit quel qu'il soit. Le règlement européen 1924/2006 est venu créer un statut pour les allégations de santé afin de faire le tri dans les abus. Il y a effectivement besoin d'un cadre. Mais je ne pense pas que la réponse donnée, à travers l'utilisation du terme « consommateur moyennement avisé » dans le droit de l'union européen, soit la bonne et que le consommateur doive être privé d'information. Il y a une réflexion à mener sur ce sujet, et celle-ci est déjà engagée par la DGCCRF. J'ai l'occasion d'entretenir des contacts avec ce service, notamment avec M. Guillaume Cousyn, qui porte la voix de la France en Europe sur le sujet de la validation des allégations au niveau européen. Le droit actuel n'a pas intégré la notion d'usage traditionnel de la plante. Le débat consiste à permettre au consommateur d'accéder à cette information, au lieu d'aller la chercher sur internet ou dans un livre. Le consommateur a également envie d'être responsabilisé et proactif dans l'utilisation des plantes et dans la gestion de sa santé et de son bien-être.

Il y a aujourd'hui un statu quo pour les allégations autorisées concernant les plantes, c'est-à-dire qu'il y a une liste provisoire mais non validée. Cela implique que nous n'avons pas le droit d'apposer une allégation sur les plantes. Les sanctions peuvent aller de la simple contravention, de 3ème classe, c'est-à-dire 1 500 euros maximum d'amende, jusqu'à la peine pour cause de publicité trompeuse, qui va jusqu'à 2 ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende au titre du code de la consommation.

La France doit renouer avec la tradition herboristique et se donner les moyens d'adapter le système juridique à la demande des consommateurs. La création d'emplois, loin de venir concurrencer les pharmaciens d'officine, va également venir compléter leur action. Il n'y a pas de concurrence, il y a à mon avis complémentarité.

Nous avons été capables de créer des statuts juridiques intermédiaires entre l'aliment brut et le médicament, nous avons été capables de créer le produit diététique, le complément alimentaire. Mais nous n'avons pas accompagné ce phénomène de création de catégories juridiques intermédiaires entre l'aliment et le médicament par des professionnels intermédiaires entre le pharmacien d'officine et la grande surface. C'est la réflexion que j'appelle aujourd'hui à mener.

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