Intervention de Baptiste Bonnet

Mission d'information Judiciarisation — Réunion du 15 février 2022 à 14h45
Audition consacrée au droit européen de M. Baptiste Bonnet professeur de droit public à l'université jean monnet de saint-étienne université de lyon doyen de la faculté de droit mmes laurence burgorgue-larsen professeure de droit public à l'université paris i panthéon-sorbonne diane fromage chercheuse individuelle marie sklodowska-curie à sciences po et hélène gaudin professeure de droit public à l'université toulouse i capitole

Baptiste Bonnet, Université de Lyon, doyen de la faculté de droit :

Il faut arrêter de vouloir apposer sur l'Union européenne des modèles étatiques. C'est la raison pour laquelle le traité établissant une Constitution pour l'Europe était une erreur. Le modèle de l'Union européenne est sui generis et assumé comme tel. Il faut admettre qu'il s'agit d'un OVNI juridique dans lequel il ne faut pas vouloir faire entrer de force des conceptions constitutionnaliste. Le système est bien sûr fédéral mais pas au sens où nous pouvons l'entendre habituellement.

L'article 88-6 de la Constitution donne la possibilité d'aller vers la Cour pour lui demander si la répartition des compétences s'opère convenablement. Si, à ce stade, la représentation nationale veut saisir la CJUE, elle doit utiliser des arguments qui puissent être entendus politiquement mais qui soient aussi judicieux sur le plan juridique. Pour ce faire, il faut bien lire la jurisprudence de la Cour de justice. Au sujet du temps de travail des militaires et de la question des données de connexion, la lecture de la doctrine et de certaines réactions fait penser qu'il aurait fallu lire les précédents arrêts de la Cour. Dans les deux cas, une jurisprudence assez longue et antérieure laissait anticiper l'issue vers laquelle nous nous dirigions.

Je suivrais avec intérêt la démarche d'un parlement national qui saisirait la Cour de justice sur le terrain de l'article 88-6 en indiquant que la subsidiarité ou la répartition des compétences n'ont pas été respectées. J'aimerais également savoir avec quels arguments ce parlement saisira la Cour de justice et ce que cette dernière en dira. Je vous conseille de tenter d'utiliser cet article.

La légitimité ne constitue pas du tout un impensé mais au contraire un pensé politique. Nous nous posons peu la question de la légitimité du juge constitutionnel ou des conseillers à la Cour de cassation ou au Conseil d'État. Nous devons sortir de cet impensé trop pensé de la légitimité du juge européen ou alors l'appliquer à l'ensemble des juges, ce qui remettrait en cause tout un système fondé sur un rôle du juge qui doit être encadré.

Quand, dans l'arrêt Perruche, la Cour de cassation a outrepassé ce que le législateur considère comme sa mission, le législateur a été capable de marquer un coup d'arrêt. Si cela arrive un jour avec le Conseil constitutionnel, j'imagine que le constituant sera également capable de fixer des limites. C'est le principe de l'équilibre permanent.

Nous devons arrêter avec la problématique de la légitimité, sans parler du fait que c'est le Parlement qui a permis la ratification du traité de Lisbonne. Ainsi, si le Parlement est légitime, le traité de Lisbonne l'est aussi. Par ailleurs, si vous interrogez nos concitoyens sur la primauté, ils ne sauront pas de quoi vous parlez.

Enfin, il ne faut pas exagérer en disant que la CEDH serait aujourd'hui l'arbitre suprême de toutes les grandes questions de société. Sur la plupart des sujets, la France agit à peu près comme elle le souhaite, à sa façon. Parfois, effectivement, la Cour rappelle que l'adoption d'un enfant par un parent homosexuel ne pose pas de problème en soi, que l'état civil doit être en compatibilité avec le genre ou que l'enfant né d'une mère porteuse doit avoir des droits en droit national, ce qui peut sembler évident dans une société démocratique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion