Intervention de Thierry Pineau

Mission d'information Fonds marins — Réunion du 12 avril 2022 à 17h00
Audition de Mm. Thierry Pineau conseiller en charge de la recherche agronomique de l'environnement et du développement durable au cabinet de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation et didier marquer chargé de mission géoressources et Mme Lise Fechner chef de département à la direction générale de la recherche et de l'innovation dgri

Thierry Pineau, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

conseiller en charge de la recherche agronomique, de l'environnement et du développement durable au cabinet de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Je commencerai par un propos liminaire, qui répondra en partie aux questions posées, en exposant le regard, la logique et les missions du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. En effet, la question des fonds marins s'appréhende selon un angle particulier, qui peut se résumer ainsi : on ne protège bien que ce que l'on connaît bien.

Les grands fonds marins sont un environnement où la photosynthèse ne s'opère plus, mais qui n'est cependant pas exempt des conséquences de la photosynthèse de surface. Cette contrainte d'obscurité associée à la pression ou à la nature des ressources disponibles fait que cet environnement est sous contrainte et qu'il a adopté des solutions biochimiques tout à fait originales. Notre connaissance de cet environnement est parcellaire et nous sommes confrontés à une limite de la connaissance, qui doit être dépassée. À cette fin, la France dispose de ressources technologiques.

Il y a donc d'abord un enjeu d'inventaire, de description, de cartographie et de compréhension, qui suppose la mobilisation d'autres disciplines - géologie, géochimie, sismologie, météorologie... L'enjeu cardinal est de parvenir à articuler ces différentes disciplines pour dégager des plus-values en matière de connaissance par des démarches transdisciplinaires.

Nous nous situons à une période du développement des sciences et des technologies permettant une efficace articulation des disciplines en vue d'une compréhension holistique des fonds marins. Il convient d'exploiter ce momentum.

Il faut distinguer les démarches d'exploration des démarches d'exploitation des fonds marins : l'exploration orientée à des fins industrielles relève davantage de la prospection. Pour le Mesri, l'exploration n'entraîne pas nécessairement l'exploitation ; ce sont deux démarches séparées.

Les fonds marins, dont la France est exceptionnellement dotée, puisqu'elle a la deuxième zone économique exclusive (ZEE) mondiale, représentent un enjeu de souveraineté et un capital peu exploité qui offre des opportunités dépassant les seules ressources minérales ou les ressources énergétiques des courants. On pressent dans le contexte du changement climatique la valeur de la capacité de stockage du carbone ou celle de la contribution à la régulation thermique de la planète.

Ces milieux ont une caractéristique cardinale qu'il faut respecter : leurs écosystèmes ne se régénèrent que très lentement. Pour cette raison, toute intervention humaine doit être prudente et l'exploitation précautionneuse et durable.

La recherche française dans le domaine des fonds marins dispose d'un socle historique d'excellence scientifique et technologique : les communautés disciplinaires concernées répondent à un modèle distribué, qui associe à la fois des organismes nationaux de recherche - Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Ifremer, Bureau de recherches géologiques et minières - et des pôles universitaires de stature internationale - Brest, Paris, Marseille, Toulouse... Des structures de coordination assurent une fonction d'animation stratégique.

Ces communautés coopèrent étroitement avec le service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) comme avec le vigoureux secteur associatif concerné par les enjeux océaniques et climatiques. Un rapport commandé en 2020 par le Conseil national de la mer et des littoraux chiffre à 7 000 équivalents temps plein (ETP) scientifiques d'établissements publics les forces qui contribuent aux sciences et techniques maritimes. Ce potentiel humain peut s'appuyer sur des infrastructures et des instruments d'exploration à la pointe et d'une flotte océanique française (FOF) opérée depuis 2018. Celle-ci dispose d'une feuille de route à l'horizon 2035, pour le renouvellement de ses bâtiments - à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros - ou la rénovation de ceux qui sont à mi-vie.

Le soutien à la FOF constitue une priorité numéro un pour le Mesri afin de maintenir une capacité de projection de la recherche française sur la totalité des océans : un budget annuel de fonctionnement de 60 millions d'euros y est consacré. Le taux de mobilisation est remarquable.

Pour l'exploration, des instruments de haute performance autorisent une diversité et une complémentarité d'approche : équipements habités, automates... Le Gouvernement soutient des infrastructures complémentaires utiles à ces communautés, par exemple le projet Equipex Marmor, lequel mobilise un coût total de 53 millions d'euros sur huit ans.

Maintenir la France dans le peloton de tête des nations qui produisent des connaissances sur les fonds marins et disposent d'équipements à la pointe des équipements technologiques est une priorité stratégique pour notre ministère, qui a motivé de substantiels investissements de l'État : l'Agence nationale de la recherche (ANR) a financé vingt et un projets de recherche entre 2008 et 2021 spécifiquement centrés sur les grands fonds marins, pour un total de 9,25 millions d'euros.

Le programme prioritaire de recherche Océan et climat, doté de 40 millions d'euros au titre du PIA3, est piloté par le CNRS et l'Ifremer. En 2022, au terme du premier appel à projet, deux des six projets retenus sont directement liés aux fonds marins.

Le Gouvernement a choisi de doter le plan France 2030 d'un axe 10 dédié aux grands fonds marins et doté de 300 millions d'euros. Le bleu du CIMer (comité interministériel de la mer) précise bien que l'exploitation n'est pas prévue au titre de cet axe 10. Le comité de pilotage ministériel est coprésidé par le ministère de la mer, le Mesri, le ministère de l'industrie et il associe le ministère des armées ; il s'est réuni trois fois. Un premier arbitrage du Premier ministre a gagé environ 100 millions d'euros ; quatre premières actions ont été retenues : la cartographie nécessaire pour honorer les engagements de la France qui détient deux contrats d'exploration de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), la conception-réalisation d'un drone planeur pour surveiller le volcan sous-marin de Mayotte, la conception d'un drone évoluant jusqu'à moins 6 000 mètres, la conception d'un robot piloté depuis un navire.

Enfin, un PEPR (programmes et équipements prioritaires de recherche) consacré aux grands fonds marins de 50 millions d'euros sera copiloté par le CNRS, l'Ifremer et l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Il constituera le volet de ressourcement scientifique indispensable pour irriguer l'axe 10 de France 2030.

Actuellement, la filière industrielle est assez frileuse pour s'engager financièrement, sans perspective de marché solide et sans filière minière nationale, dans le développement d'engins. Cependant, un engagement est attendu d'elle. Un équilibre a été trouvé par le comité ministériel de pilotage entre des actions recourant à la commande publique et des actions relevant d'une démarche de subventionnement concurrentiel, de manière à partager le risque entre public et privé.

À l'échelle internationale, l'expertise française est reconnue, comme en attestent de récents succès à des appels de l'Union européenne, par exemple l'implication de Mercator Ocean International dans le développement d'un jumeau numérique de l'océan et l'évolution de cette société de droit privé français en un organisme international de manière à affermir son leadership. C'était l'appel d'un certain nombre de pays européens lors du One Ocean Summit.

En conclusion, les connaissances et savoirs acquis sur les grands fonds marins nourrissent l'action publique dans des démarches classiques EAPP - expertise et appui aux politiques publiques. L'excellence de la communauté scientifique française lui permet de construire une réputation et une influence internationales et l'autorise à prendre des initiatives, par exemple sur l'intérêt de constituer un panel intergouvernemental d'experts sur la durabilité de l'océan, sur le modèle de l'IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) par exemple.

Ces démarches au sujet des grands fonds marins illustrent le principe d'action générique - décider avec la science -, qui peut améliorer le degré de confiance entre le public, les connaissances issues de la recherche et les innovations qui en découlent.

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