Intervention de Agnès Lefranc

Commission d'enquête coût économique et financier de la pollution de l'air — Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Audition de Mme Agnès Lefranc directrice du département santé environnement à l'institut de veille sanitaire invs et de M. Olivier Chanel directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique expert pour l'invs dans le cadre du projet européen aphekom et M. Pascal Beaudeau responsable d'unité à l'invs

Agnès Lefranc, directrice du département santé environnement à l'Institut de veille sanitaire :

Je vous propose de commencer par une présentation des impacts sanitaires de la pollution atmosphérique dans neuf villes françaises, tels qu'ils ont été évalués dans le cadre du projet Aphekom.

Le projet Aphekom est un projet européen coordonné par l'InVS entre 2008 et 2011. Il avait pour objectif d'évaluer les impacts sanitaires et économiques de la pollution atmosphérique dans vingt-cinq villes européennes, couvrant 39 millions d'habitants répartis dans douze pays, afin d'apporter aux pouvoirs publics les informations permettant d'orienter les politiques de réduction des niveaux de pollution de l'air. Les résultats du projet Aphekom ont été utilisés par l'OMS et la Commission européenne dans le cadre de la révision des directives européennes de 2013 portant sur la qualité de l'air. Ils ont été communiqués à la France et ont déjà fait l'objet d'une présentation au Sénat, ainsi qu'auprès d'autres instances, notamment dans le cadre de l'élaboration du plan national santé environnement et du plan cancer.

Pour mémoire, le budget total du projet Aphekom s'élevait à 1,5 million d'euros, dont 800 000 euros financés par la Commission européenne. La contribution budgétaire de l'InVS s'élevait à 0,56 million d'euros, la Commission européenne finançant 51% de ce montant.

Dans le cadre de ce projet, Olivier Chanel a été salarié par l'InVS pour mettre en oeuvre l'évaluation économique des impacts sanitaires de la pollution atmosphérique. Il exerce son activité principale au CNRS, dans un laboratoire à Marseille,

Parmi l'ensemble des villes européennes impliquées dans le projet Aphekom se trouvaient neuf villes françaises. Les résultats que je vais vous présenter portent plus spécifiquement sur ces neuf villes, objets de vos interrogations.

Nous sommes aujourd'hui dans une situation où la relation de cause à effet entre exposition à la pollution atmosphérique et santé est avérée. On a, qui plus est, une quantification entre le niveau de pollution atmosphérique dans l'air et les risques pour la santé pour un certain nombre de pathologies.

On peut utiliser ces relations établies par les études épidémiologiques pour quantifier l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique. Cette quantification, qu'on nomme parfois Évaluation de l'impact sanitaire (EIS), est prévue par la réglementation française. Elle est fréquemment sollicitée par les décideurs, au niveau national comme au niveau local. De notre point de vue, elle est utile à la communication sur les effets sanitaires de la pollution atmosphérique.

Depuis plus de dix ans, l'InVS a développé des outils méthodologiques pour la réalisation de l'EIS, à la demande des agences régionales de santé (ARS) ou de préfectures ou dans le cadre de projets européens comme Aphekom. Un guide méthodologique est disponible sur notre site web.

L'objectif de ces évaluations est de calculer selon différents scénarios de réduction de polluants le nombre de cas évitables en prenant en compte les impacts à court et à long terme de la pollution atmosphérique, ainsi que le gain d'espérance de vie découlant des impacts à long terme de l'exposition à la pollution atmosphérique.

Il s'agit de relever auprès des associations de surveillance agréées les niveaux de polluants présents dans l'air pour les neuf villes considérées - niveaux de particules fines PM2.5 - entre 2004 à 2006 et de collecter les certificats de décès auprès du Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CPIDC), un service de l'INSERM, ou auprès des hôpitaux, dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d'information, qui enregistre l'ensemble des séjours à l'hôpital, un certain nombre d'indicateurs sanitaires portant sur la même période d'étude. On construit alors des scénarios de modification des niveaux de polluants, et on compare les niveaux réellement enregistrés aux valeurs guides de l'OMS.

Quels gains sanitaires pourrait-on attendre si l'on respectait la valeur guide de 10 microgrammes par mètre cube, en moyenne annuelle, pour les PM2.5 ? En combinant les scénarios de modification de concentration des polluants et les indicateurs sanitaires, on peut en déduire la modification en proportion du taux de l'indicateur de santé par unité de modification de la concentration du polluant, dont on déduit un impact. L'étape suivante réside dans la monétarisation des impacts, dont Olivier Chanel vous parlera davantage.

Dans le cadre d'Aphekom, les indicateurs et les scénarios retenus pour les impacts à court terme des particules aérodynamiques inférieures à 10 micromètres - PM10 - nous avons retenu comme indicateur de santé la mortalité toutes causes non accidentelles, et les hospitalisations pour causes respiratoires ou cardiaques.

Des codes de classification internationale des maladies ont été utilisés pour caractériser ces indicateurs et sélectionner les décès ou les séjours à l'hôpital correspondants à ces pathologies, ainsi que les relations retenues entre la concentration et le risque, sur la base d'une revue de la littérature, pour relier les variations de la pollution atmosphérique aux variations de ces pathologies.

Pour l'ozone, on a retenu la mortalité totale, les hospitalisations pour causes respiratoires chez les quinze-soixante-quatre ans et chez les soixante-cinq ans et plus ; pour les impacts de l'exposition chronique aux particules fines PM2.5, on a retenu la mortalité toutes causes non accidentelles chez les personnes âgées de trente ans et plus.

En termes de variation des niveaux de pollution atmosphérique, plusieurs scénarios ont été utilisés dans le cadre d'Aphekom. Les résultats correspondent, pour les PM10, à une diminution de la moyenne annuelle à la valeur guide de l'OMS, fixée à 20 microgrammes par mètre cube. Pour l'ozone, on reporte tous les niveaux maxima journaliers sur huit heures glissantes à la valeur guide de l'OMS de 100 microgrammes par mètre cube. Pour les impacts à long terme des particules fines, on prend en compte la diminution de la moyenne annuelle à la valeur guide de l'OMS, soit 10 microgrammes par mètre cube.

On estime que si l'on était au niveau préconisé par l'OMS pour les particules inférieures, on pourrait différer 245 décès par an, et éviter 673 hospitalisations pour causes respiratoires et 360 hospitalisations pour causes cardiaques.

Si on se reporte aux valeurs guide de l'OMS pour les expositions à l'ozone, on estime que 69 décès par an pourraient être différés et que l'on pourrait éviter 62 hospitalisations par an. Il s'agit là de l'évaluation des impacts à court terme.

Pour ce qui est des impacts d'exposition chronique aux particules fines PM2.5, ce sont environ 3 000 décès par an qui pourraient être différés dans les neuf villes considérées, si l'on se ramenait à la valeur guide de l'OMS.

Si l'on raisonne en termes d'espérance de vie s'agissant des effets de l'exposition chronique aux PM2.5, dans les neuf villes, classées du niveau le plus élevé au niveau le moins élevé entre 2004 et 2006, on considère que l'on pourrait potentiellement gagner entre 3,6 et 7,8 mois d'espérance de vie à trente ans.

Il faut toutefois être conscient que ces résultats sont entourés d'un certain nombre d'incertitudes. On utilise en effet des relations concentration-réponse établies dans le cadre d'étude épidémiologiques nécessairement réalisées sur une période antérieure à celle où l'on mène l'évaluation d'impact sanitaire. Elles ont par ailleurs été éventuellement menées dans des lieux différents de ceux sur lesquels on réalise les évaluations d'impact sanitaire. Les mesures de concentration des polluants dans l'air peuvent être éventuellement différentes entre les études épidémiologiques et les mesures réalisées pour les données d'entrée d'évaluation d'impact sanitaire. Il faut également tenir compte de la comparabilité des données sanitaires utilisées. Enfin, une incertitude statistique entoure naturellement la relation concentration-réponse, ces risques relatifs, associés aux expositions à la pollution atmosphérique, étant toujours entourés d'un intervalle de confiance qui rend compte de cette incertitude statistique.

Aphekom a fait le choix de présenter les résultats sous forme d'espérance de vie à trente ans et de nombre de cas différés ou évitables par an. On a retenu une approche contre-factuelle, en comparant l'état de santé dans les neuf villes entre 2004 et 2006 avec ce qu'il aurait pu être si les niveaux de pollution étaient réduits et si le délai nécessaire à l'apparition des effets sur la santé était écoulé.

L'interprétation que nous faisons de ces résultats montre qu'il existe un impact substantiel de la pollution atmosphérique dans les neuf villes françaises étudiées. Ces résultats, à notre sens, encouragent la mise en oeuvre de politiques publiques d'améliorations de la qualité de l'air à l'échelle locale, nationale et européenne.

Si ces résultats restent entourés d'incertitude, des éléments prouvent toutefois que toute réduction des niveaux de pollution atmosphérique est susceptible d'entraîner des améliorations de la santé à l'échelle d'une population. On a en effet observé des bénéfices sanitaires à la suite de la réduction des niveaux de pollution atmosphérique en conditions réelles.

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