Votre interrogation première porte sur mon sentiment vis-à-vis de la lutte contre le dopage. D'après moi, les paramètres de la lutte contre le dopage, de la santé des sportifs et de la lutte contre la suspicion de dopage (qui est l'autre fléau qui nous concerne) sont tous liés.
Compte tenu de tout ce que nous avons vécu par le passé, c'est une nécessité absolue de développer un véritable arsenal pour garder notre sport aussi propre que possible. Il faut tout mettre en oeuvre pour que notre sport reste en adéquation avec les valeurs qu'il véhicule, même si cet arsenal crée des contraintes. Il faut que les progrès de la législation et de la science se placent au service du sport et des athlètes, pas de ceux qui voudraient triche et en tirer profit.
Il faut commencer au plus jeune âge. C'est aux jeunes qu'il faut inculquer l'envie de faire du sport. Rappelons à ce propos qu'un jeune sur trois ne fait pas de sport. Cette problématique devrait être l'une des préoccupations majeures des gouvernants. En parallèle à la sensibilisation au sport, il faudrait sensibiliser sur la nécessité pour le sport d'être pratiqué avec loyauté et respect, mais aussi indiquer que le dopage est une mise en danger de soi-même et du fondement de ce qui fait la pratique elle-même, c'est-à-dire la loyauté. La prévention est donc incontournable.
Par ailleurs, la lutte antidopage concerne à la fois les mesures prises vis-à-vis des sportifs de haut niveau, mais aussi les pratiquants dits de second niveau, qui sont eux aussi contrôlés. Les moyens mis en oeuvre dans ces contrôles ne peuvent bien évidemment pas être comparables à ceux des sportifs de haut niveau. En ce qui concerne ces derniers, il est évident que les contrôles et dispositifs sont la meilleure garantie pour que le sport pratiqué ne souffre d'aucune suspicion, ou du moins que la suspicion soit la moindre possible. Je sais que ce système est contraignant. Nombre d'athlètes m'ont fait part des contraintes du système ADAMS. Tous ne partagent pas la même opinion le concernant, ce qui est compréhensible, mais je pense tout de même qu'ils s'expriment plutôt favorablement vis-à-vis de ce système, même s'il leur crée des difficultés. Il est en effet une manière de conserver à l'esprit l'importance de la propreté du sport. Il est toujours satisfaisant de les entendre s'exprimer en ce sens.
Comme beaucoup ont dû le dire avant moi, nul n'est à l'abri d'une initiative personnelle ou de chimères d'amélioration des performances que certains feront miroiter, en particulier via des moyens ultramodernes qui pourraient être indétectables. À ce titre, il est important d'évoquer l'autorisation des techniques de congélation d'échantillons d'urine et de sang. Cette pratique permet de remettre à plus tard la détection de produits dont la présence était indétectable au moment du prélèvement. Ce système fait planer une formidable épée de Damoclès au-dessus des tricheurs et me semble constituer un élément essentiel de la lutte antidopage. On a vu des athlètes disqualifiés pour dopage jusqu'à trois ans après la course. Ce procédé me semble extrêmement positif pour l'efficacité de la lutte antidopage, car il génère du doute parmi les apprentis-sorciers qui pourraient chercher à contourner la législation.
Il demeure que nous ne pouvons nous prémunir de toutes les tentatives de dopage. Au-delà des athlètes qui ont pu être sanctionnés par l'analyse de prélèvements congelés, l'omerta semble elle aussi levée en partie. Si Lance Armstrong est tombé, ce n'est pas suite à des analyses de prélèvements congelés, mais parce qu'il a lui-même été dénoncé par d'autres. Ce contexte-là me semble aussi être important. Je constate une véritable prise de conscience parmi celles et ceux qui ne souhaitent pas rester complices d'un système - pour peu qu'ils en avaient connaissance.
Ne faisons pas preuve de naïveté ou d'angélisme. Il est clair que la tricherie fait partie de la nature humaine. Néanmoins, plus elle sera traitée en amont, plus les athlètes seront sensibilisés et menacés de sanctions, plus les risques diminueront.
Je considère que les progrès dans la lutte antidopage ont été énormes, tout comme les progrès dans la suspicion de dopage. Il ne faut pas penser que seuls les vainqueurs sont dopés et que les perdants sont parfaitement propres. Fort heureusement, de nombreux vainqueurs gagnent en étant propre, sur la base de leur travail et de leur talent.
Tout cela nécessite une information permanente des jeunes et une approche fiable et indéniable sur le plan technique et médical. Le passeport biologique et l'établissement de paramètres stricts constituent des progrès incontestables dans la lutte antidopage. En tout cas, toute mesure dissuasive doit être soulignée et prise en considération.
Je souhaite par ailleurs exprimer une opinion sur un autre paramètre, et qui n'est peut-être pas partagée. Je suis défavorable à toute peine pénale, toute peine de prison, car le tricheur n'est pas non plus un hors-la-loi. Le préjudice vis-à-vis du sport, tant via le dopage que la corruption ou la violence, m'amène en revanche à appeler de mes voeux des sanctions financières à l'égard des accusés, pour atteinte à l'image du sport. Il faudra bien évidemment peser auparavant les conditions des faits.