Intervention de Jean-Luc Tavernier

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 28 mai 2014 à 14h35
Audition de Mm. Jean-Luc Tavernier et eric dubois insee

Jean-Luc Tavernier, directeur général de l'Insee :

Cela n'interdit pas le débat, mais ce rapport ne m'a pas du tout convaincu. La trappe à bas salaires est difficile à identifier : les cotisations, progressives, constituent une désincitation à faire progresser les salaires ; mais les travaux concluent qu'il n'y a pas d'effet majeur, même si cela ne signifie pas qu'il n'apparaîtrait pas avec le temps.

Les travaux de 2006 sur des allègements des années 1990 commencent à être anciens. De tels allègements auraient-ils le même effet maintenant ? L'on pense intuitivement à un rendement décroissant : si le premier milliard est très efficace, plus on en ajoute, et moins ils ont d'effet. Il y a une vingtaine d'années, le coût minimal du travail en France était hors de proportion avec celui des autres pays de l'OCDE ; il est désormais dans la fourchette haute, mais pas hors du peloton. Les allègements de charges ont corrigé l'anomalie constatée il y a vingt ans.

La qualification de la population s'est améliorée. La proportion des jeunes sans diplôme ou avec le seul brevet est passée de 27 % à 19 % pendant les années 1990, mais elle est restée depuis lors à cet étiage. Mécaniquement, la proportion des non qualifiés dans la population active baisse, mais avec inertie. En 2012, 36 % des actifs n'ont aucun diplôme, sinon le certificat d'études ou le brevet. Nous ne pouvons pas dire que nous avons réglé le problème de l'offre de travail par le haut.

Le Smic mord-il sur la distribution des salaires ? Au 1er janvier 2013, 12 % des salariés étaient concernés par le relèvement du Smic. Ils étaient 16 % en 2005 et 10 % en 2010.

Le taux de chômage des jeunes sortis sans diplôme, ou seulement avec le brevet, du système de formation initiale depuis un à quatre ans est de 45 %, contre 22 % pour les titulaires d'un CAP, d'un BEP ou d'un bac, et 10 % pour les diplômés de l'enseignement supérieur. Le chômage continue de se concentrer sur les peu qualifiés.

Beaucoup se sont cassé les dents sur les études quantitatives de la réduction du temps de travail et des allègements de charge. En revanche, des études récentes sur la mesure du plan de relance consistant à réduire à zéro les charges des entreprises de moins de vingt salariés montrent une élasticité assez forte... qu'il ne faut pas extrapoler. Une strate supplémentaire d'allègements sur les bas salaires aurait une efficacité moindre, mais sans doute proche, de celle des dispositifs déjà mis en oeuvre. La structure de la qualification de la population active et celle du coût du travail ne donnent pas à penser que le coût minimal du travail ne soit plus une barrière et qu'il n'y aurait pas de gains d'emplois en l'abaissant encore.

Ce qui importe en micro-économie, c'est le bas du compte de l'entreprise qui détermine la décision d'embauche, non l'optimisation financière. Toutefois, pour les grandes entreprises qui localisent leurs activités en fonction des conditions d'exploitation des différents pays, un crédit d'impôt a des conséquences bien différentes. Cela nous a conduits à évaluer l'effet Cice à environ 15 000 emplois par trimestre, soit moitié moins qu'un allègement de cotisations patronales.

Une discontinuité est produite par le seuil de 2,5 Smic : le franchir fait perdre la totalité du Cice. Cela se traduira certainement par une accumulation des salaires autour de ce montant.

Si c'est l'effet d'emploi qui est recherché, il faut continuer à mettre l'accent sur les bas salaires. Pour autant, abaisser le coût du travail n'est pas la panacée : on ne peut pas demander à une politique générale d'allègement de cotisations patronales de réparer les insuffisances de la formation initiale. On atteint en outre des niveaux où l'on doit faire porter les allègements sur des risques pour lesquels un financement purement contributif serait préférable (vieillesse, accidents du travail). Enfin, les coûts du travail sont plus comparables d'un pays à l'autre que ne le sont les salaires nets : ceux-ci sont plus bas en France qu'au Royaume-Uni, parce que le salarié britannique finance sur son salaire net ses assurances vieillesse et maladie, dans des proportions bien plus importantes que celles de ce qui reste à la charge du salarié français. Les forces de rappel du marché homogénéisent le coût du travail, tandis que des structures de financement différentes pèsent sur les salaires nets.

Une très nette divergence des évolutions des coûts du travail est apparue depuis quinze ans entre l'Allemagne et d'autres pays européens, dont la France, parce que l'Allemagne a baissé ses prélèvements sociaux et surtout parce qu'elle a connu, depuis son entrée dans la zone euro, une longue période de baisse de ses salaires réels. L'optimum pour combler cette différence serait une inflation salariale en Allemagne ; en attendant, nous plaidons pour un allègement qui ne soit pas restreint aux plus bas salaires.

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