Intervention de William Dab

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 26 janvier 2022 à 17h00
Audition de Mm. William Dab professeur et titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité du conservatoire national des arts et métiers cnam jacques reis neurologue et de Mme Sylvie Znaty professeur et titulaire de la chaire prévention des risques professionnels et environnementaux du conservatoire national des arts et métiers cnam

William Dab :

Pour nous qui exerçons, souvent à la marge des systèmes d'enseignement et de recherche, en matière de santé environnementale, il est réjouissant de voir que des élus de la nation s'en préoccupent.

Trois points de vue complémentaires peuvent vous aider.

Le premier est celui des politiques publiques, j'ai pu voir en 2004 le premier plan santé environnement (PSE). Les médecins, pas que épidémiologistes, ont un rôle important en matière de santé, mais assez peu d'entre eux ont une culture de sa relation avec l'environnement. Jacques Reis fait partie des quelques-uns qui ont une expertise dans ce domaine. Par ailleurs, maintenant professeur émérite du Conservatoire national des arts et métier (CNAM), j'ai proposé d'associer la nouvelle titulaire de la chaire Prévention des risques professionnels et environnementaux à cette audition.

Jean-François Mattei m'a appelé à son cabinet en 2002 pour préparer la loi relative à la politique de santé publique, promulguée en août 2004 et qu'il pensait comme une loi de procédure et de prospective, pas comme un catalogue de recettes. Il voulait créer un processus de santé publique et m'avait confié l'organisation d'une grande consultation d'expertise et de société civile. Il en était ressorti un tableau de bord de suivi des questions de santé publique, annexé à la loi. Certaines priorités avaient été arbitrées en réunion interministérielle, dont la santé et l'environnement.

Lors du débat à l'Assemblée nationale, en commission des affaires sociales, des députés avaient demandé que ces objectifs soient revisités tous les cinq ans. Sceptique, j'avais dit au ministre que la représentation nationale ne s'intéressait que rarement à santé publique, alors que cette loi était une première depuis 1902. Le ministre voulait cependant encourager cette volonté, et l'amendement fut donc adopté. J'ai alors reçu le mandat de préparer le premier PSE.

Le résultat, c'est que les priorités n'ont jamais été révisées, alors que c'était inscrit dans la loi. Le sujet n'est jamais revenu à l'ordre du jour du Parlement. Je vous dis cela parce que votre sujet, comme la santé publique, est de moyen, voire de long terme, alors que nous avons un problème de continuité des politiques publiques. C'est le jeu de la démocratie : le nouveau ministre ne se sent pas comptable des actes de son prédécesseur. Mais là, c'était inscrit dans la loi...

Deuxièmement, notre système de santé, tel qu'il a été pensé à la libération où dominaient les maladies infectieuses, est déséquilibré. Il est conçu pour des prises en charge courtes, ponctuelles, et pour une guérison rapide. Ainsi, pour 100 euros dépensés dans le domaine de la santé, 97 le sont en soins curatifs et 3 en prévention organisée. De plus, vous voulez penser une sécurité sociale écologique, donc du risque, mais on saute une étape : le système est mal armé pour prendre en charge les maladies chroniques, pourtant point de passage obligé.

Nous ne pourrons pas installer l'idée dans la population d'assurer le risque alors que nous ne pouvons pas actuellement prendre en charge le vieillissement.

Excellence et médiocrité : les inégalités de santé sont très fortes en France. Une fois 65 ans atteints, les Français ont la plus grande longévité au monde avec les Japonais. En revanche, la mortalité masculine avant 60 ans est la plus élevée en Europe, hors Portugal. Or, après 65 ans, notre santé est très déterminée par la médecine, alors qu'avant 60 ans, c'est un défaut de prévention, qui n'est que peu le ressort des médecins. Dans La santé et le travail, je montre que cette surmortalité des hommes jeunes par cancer ne s'explique que par la surexposition professionnelle à des produits cancérigènes.

Cette loi de 2004 a développé la planification sur le moyen terme : PSE, plan national cancer voulu par le Président Chirac, plan santé au travail. 15 ans après, les bilans réalisés par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), par l'inspection générale des finances (IGF) et par la Cour des comptes sont très décevants. Le premier plan avait pour seul mérite d'être le premier.

Ces plans sont restés des catalogues non budgétés, mal définis, sans aucun indicateur de résultat ou presque. Un exemple de ces problèmes de crédibilité : j'échangeais avec une collègue d'une grande agence régionale de santé (ARS) sur la quatrième édition du PSE, ambitieuse, bien conçue et devant être déclinée par les ARS. Cependant, elle n'avait que 2 millions d'euros de crédits d'intervention pour ce PSE, sur un budget total de 17 milliards d'euros. Il y a un problème démocratique : cet écart entre intentions et moyens touche à la confiance de la population.

Enfin, le problème dont vous traitez ne peut avancer que si l'État et les autres administrations se donnent une cartographie des risques. Celle-ci n'existe pas. J'ai travaillé avec de grandes entreprises, dont EDF, et j'ai participais à ce processus, pour son volet sanitaire. Pas une grande entreprise aujourd'hui n'imagine sa survie sans cartographie des risques. EDF la mettait à jour tous les 6 mois, et le comité exécutif en discutait. Il n'y a pas d'équivalent pour l'État. Et pour parler de sécurité sociale écologique, il faut parler de cartographie des risques.

Le risque, la probabilisation de ce qui pourrait survenir, n'est donc pas un objet de politique publique. Une telle cartographie devrait relever de l'ensemble des ministères, pas seulement de celui de la santé. Il devrait être placé au niveau du Premier ministre, pour bénéficier de l'autorité nécessaire. Votre projet, qui répond à un constat que je partage, ne peut pas avancer s'il ne s'appuie pas sur cet outil.

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