Intervention de William Dab

Mission d'information Sécurité sociale écologique — Réunion du 26 janvier 2022 à 17h00
Audition de Mm. William Dab professeur et titulaire de la chaire d'hygiène et sécurité du conservatoire national des arts et métiers cnam jacques reis neurologue et de Mme Sylvie Znaty professeur et titulaire de la chaire prévention des risques professionnels et environnementaux du conservatoire national des arts et métiers cnam

William Dab :

Sur l'amélioration ou la dégradation de la santé des travailleurs, il est étonnant que, dans un pays comme la France, on ne puisse répondre à votre question. La seule source de données exhaustive est constituée des déclarations d'accidents du travail, qui sont obligatoires. On sait par ailleurs que les accidents mineurs sont massivement sous-déclarés. Donc la loi n'est pas respectée. Le nombre d'accidents déclarés, ceux qu'une entreprise ne peut cacher, stagne depuis dix ans. On constate des fluctuations, mais elles recoupent celles de l'activité économique, comme en 2020. Le taux est inchangé, donc il n'y a aucun progrès visible au niveau macroscopique et national. Pour le reste, on dispose d'études partielles. Il n'existe aucune étude en France sur la variation du niveau de stress professionnel, aucun système de surveillance. Nous passons un tiers de notre vie à travailler, les expositions professionnelles sont à l'évidence un élément majeur de notre santé, mais c'est une déshérence, malgré la loi du 2 août 2021 qui a renforcé la prévention des risques de santé au travail. Elle rend obligatoire le document unique d'évaluation des risques, créé par le décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001. Cependant, 50 % des entreprises, selon la dernière étude de la DRES, ne l'ont pas établi. La loi de 2021 relance cette obligation, propose sa numérisation, ce qui est une excellente initiative, mais on aurait pu aller plus loin en demandant que ce document, anonymisé, soit adressé chaque année à Santé publique France afin que ce dernier évalue l'exposition aux risques cancérigènes ou mutagènes, aux substances toxiques pour la reproduction, au bruit, aux solvants, etc.. Cela n'existe pas. Or, il est impossible de modifier ou d'améliorer un état qui n'est pas mesuré. On ne mesure pas la santé au travail en France. C'est un vrai problème de l'effectivité de la loi et de la norme.

Les normes alimentaires sont sévères, mais lorsqu'on regroupe les forces de la Direction générale de l'alimentation (DGAL), de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), des agences régionales de santé et même de l'Inspection du travail, cela fait peu de monde. La stratégie du « pas vu, pas pris » existe. Beaucoup de chefs d'entreprise ont des valeurs, heureusement, mais les contraintes économiques et de concurrence, effrénées, évoquées par le professeur Znaty, et les faibles marges conduisent à chercher les réductions de coûts. La stratégie du « pas vu, pas pris »est donc tentante puisque la probabilité d'être contrôlé est très faible.

Le concept de « One health » est magnifique. Il est temps que l'homme réalise qu'il ne domine pas la nature, la faune et la flore, mais que notre santé et la santé animale comme la biodiversité sont liées. Cette interdépendance est désormais scientifiquement établie. Cela suppose une approche transversale mais difficile à appliquer dans un pays marqué par les structures napoléoniennes. Le choix de l'époque, d'intégrer les élites dans l'appareil d'État, a permis le développement économique et l'industrialisation de la France. Ces élites ont été performantes pour transformer des certitudes en force d'action.

Toutefois, le concept de « One health », comme celui de la sécurité sociale écologique, est de savoir comment gérer l'incertitude. Sur la plupart des sujets évoqués, on ne connaît pas la ou les causes de la maladie de Parkinson, on a des hypothèses : les pesticides jouent-ils un rôle ? C'est une plausibilité épidémiologique. Est-ce une causalité établie de façon dure ? Non. J'ai travaillé sur le dossier du chlordécone, en présidant le conseil scientifique mis en place conjointement en juin 2008 par l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et lancé des études lorsque j'étais directeur général de la santé. Est-ce que la causalité du chlordécone sur le cancer de la prostate relève de la preuve épidémiologique ? La réponse est non. Le chlordécone est pourtant devenu une maladie professionnelle, ce qui n'est pas choquant.

La question est désormais de savoir quelle gouvernance de l'incertitude nous allons inventer. Les ingénieurs n'ont pas de culture probabiliste, contrairement à ceux formés par le Cnam. Ils bénéficient de 240 heures de formation sur les outils de quantification des risques. Les grandes écoles d'ingénieurs sont dominées par une culture déterministe. J'ai collaboré à l'École des Mines. On y apprend à dimensionner l'évènement maximum qui peut survenir, et à adapter l'action en fonction de ce scénario. Sauf que ce scénario, couplé au principe de précaution dont on ne sait pas vraiment où il commence et où il s'arrête, quand bien même j'en suis un des défenseurs, rencontre une logique économique. Quelle est la part de la richesse que nous souhaitons consacrer à la sécurité ? La question de la gestion scientifique et démocratique de l'incertitude est cruciale dans le monde actuel, car ce dernier fabrique des incertitudes comme jamais auparavant. Regardez les nanotechnologies, les smartphones que peu d'entre nous utilisaient il y a dix ans. On n'a pas achevé d'évaluer le niveau d'ondes radiotéléphonique auquel nous sommes exposés, d'évaluer la 2G, on évalue la 3G, les études sur la 4G commencent juste et on passe déjà à la 5G ! Entre les capacités technologiques et notre capacité d'évaluer les risques, il existe un écart abyssal. C'est une grande difficulté. Si on rajoute la complexité du concept de « One health », il faut se demander si l'on dispose des capacités scientifiques pour mesurer ces enjeux. Elles existent mais ne sont pas encore organisées pour évaluer de tels enjeux.

Enfin, le « One health » ne peut être évalué dans un cadre strictement national. Cela n'a pas de sens. La question derrière est de la gouvernance mondiale des risques pour la santé. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) est une agence intergouvernementale de l'ONU dénuée de pouvoirs, dont le directeur général est chargé de mettre en oeuvre les résolutions décidées par les États dans le cadre de l'assemblée mondiale de la santé. Il n'a pas de pouvoir, contrairement à l'OMC qui dispose d'un pouvoir de sanction. Lorsqu'une entreprise ne respecte pas les règles de la concurrence, l'OMC peut la sanctionner. L'OMS ne dispose pas d'un pouvoir équivalent. Le « One health » fera donc l'objet de colloques stimulants mais n'aura pas de traduction concrète. Toutefois, il faudrait créer une communauté scientifique autour de ce concept, former nos étudiants et les élus pour transférer ce savoir en action pratique. La France pourrait jouer un rôle pionnier et modèle.

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