Intervention de Martin Hirsch

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 30 mars 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Martin Hirsch ancien président de l'agence du service civique président de l'institut de l'engagement

Martin Hirsch, ancien président de l'Agence du service civique, président de l'Institut de l'engagement :

Merci de m'offrir cette occasion d'échanger avec vous sur ce thème qui m'est cher.

L'Institut de l'engagement fait suite au service civique, lui-même issu d'une proposition de loi sénatoriale votée il y a une douzaine d'années à une très large majorité dans les deux assemblées.

Le service civique a été créé sur une base volontaire, après un large débat sur le sujet. Quand je suis venu devant le Parlement en tant que haut-commissaire à la jeunesse, j'avais pris l'engagement que 10 % d'une classe d'âge, soit 75 000 jeunes, puissent faire leur service civique chaque année. Aujourd'hui, nous en sommes à un peu plus de 100 000 jeunes par an.

À l'époque, il existait un double scepticisme : on se demandait, d'une part, si l'on trouverait suffisamment de jeunes volontaires - c'est bien le cas, puisqu'un jeune sur six aujourd'hui est volontaire pour faire son service civique -, et, d'autre part, si l'on obtiendrait le financement nécessaire. Notre point de départ était le service civique qui existait alors, avec 2 000 ou 3 000 volontaires et un budget de quelques millions d'euros. Aujourd'hui, celui-ci est de quelques centaines de millions d'euros. Cela a pris quelques années, mais nous y sommes arrivés, grâce à l'élan donné par la proposition de loi que j'évoquais.

J'ai quitté le gouvernement quelques jours après la promulgation de la loi. L'Agence du service civique a été créée pour faire grandir le service civique et les volontaires ont tout de suite afflué. La première année, nous avions de quoi financer 20 000 places, et 200 000 jeunes étaient volontaires ! Déjà se posait la question de savoir si le service civique devait être rendu obligatoire, ce à quoi je répondais que nous devions d'abord nous obliger à trouver une mission pour tous ceux qui étaient volontaires. C'est un débat que l'on retrouve aujourd'hui sur d'autres thèmes.

En allant rencontrer ceux qui faisaient leur service civique, je me suis rendu compte que, contrairement aux craintes qui avaient été exprimées, ce dernier attirait des jeunes de toutes les catégories, de façon à peu près homothétique à la population totale - certains jeunes avaient fait des études brillantes, d'autres avaient raté leurs études, certains avaient été « biberonnés » à l'engagement depuis trois générations, d'autres étaient arrivés là sur l'initiative de la mission locale, etc. Béatrice Angrand, qui m'a succédé à l'agence a dû vous expliquer comment, dans la contractualisation que nous mettons en oeuvre avec les organismes accueillant des jeunes en service civique, qu'il s'agisse des collectivités locales ou des associations, nous leur demandons de s'engager à faire en sorte que la diversité du public accueilli soit conforme à celle de la jeunesse.

Le second constat que j'ai dressé, c'est que ces jeunes, de façon frappante, révélaient un potentiel inédit : malgré des échecs antérieurs de toutes natures, ils accomplissaient leur mission avec succès et retrouvaient confiance, motivation et capacité à porter des projets. Je pourrais vous citer de nombreux exemples illustrant ce constat. Je me suis dit alors que, dans le système français tel que nous le connaissons, ils risquaient d'être ramenés à la case départ à l'issue de la mission dans laquelle ils s'étaient épanouis, à cause de leur passé scolaire peu glorieux et parce que rien n'était prévu pour valoriser et reconnaître autre chose que les formes académiques classiques.

D'où l'idée de créer un « après service civique ». Dans la loi de 2010, nous avions prévu un article obligeant les établissements d'enseignement supérieur à reconnaître l'engagement. Mais nous savons qu'il peut exister un hiatus important entre ce que l'on écrit dans une loi et son application par les établissements, particulièrement sur ce sujet-là...

Nous nous sommes alors dit qu'il fallait considérer le service civique un peu comme une classe préparatoire et, à son issue, faire passer aux jeunes un concours, afin de leur offrir des formations, y compris sélectives, des emplois ou la capacité de créer leur entreprise. C'était pour nous le complément naturel du service civique.

Le gouvernement sous l'autorité duquel je présidais l'Agence du service civique m'a laissé faire, à condition que je ne demande pas d'argent. Nous avons donc créé une association loi de 1901, qui s'est d'abord appelée l'Institut du service civique, et est aujourd'hui dénommée l'Institut de l'engagement. Bénéficiant de la liberté propre aux associations, nous avons créé notre concours très librement, à quelques-uns, en essayant de sortir des voies classiques.

Ainsi, nous avons prévu un concours reposant non pas sur des critères académiques, mais sur le projet, la motivation et la personnalité. De façon assez traditionnelle, il comprend deux phases : une phase écrite, qui se passe en ligne, et une phase orale devant un jury. Au cours de la phase écrite, au lieu d'interroger les candidats sur la liste des présidents du Conseil sous la IVe République, ce qui est assez discriminant, on demande aux jeunes quelle est la personnalité qu'ils trouvent la plus admirable, par exemple au XXIe siècle. Bien sûr, on leur pose aussi des questions sur ce que le service civique leur a apporté et sur ce qu'ils comptent en faire.

Nous avons environ 3 000 candidats par an. Après avoir éliminé ceux qui ne répondent pas aux questions, nous leur faisons passer un oral devant un jury composé systématiquement d'un professeur, d'un membre de l'une de nos entreprises partenaires, d'un représentant du secteur public et d'une personne issue du secteur associatif. C'est parfois la première fois que ces jeunes sont conduits à parler de leur projet d'avenir devant un jury. Ils ont pu rencontrer par le passé des conseillers d'orientation, par exemple, mais on ne leur a jamais demandé ce qu'ils voulaient faire et comment l'on pouvait les aider.

Nous sélectionnons ainsi chaque année 700 jeunes, qui deviennent lauréats de l'Institut de l'engagement. Pour eux, nous avons négocié un à un des accords avec 180 établissements d'enseignement supérieur, qui considèrent notre concours « fait main », en dehors de tout texte législatif ou réglementaire, comme l'équivalent de leur admissibilité. Parmi ces établissements, il y a HEC, Audencia, l'EM Lyon, tous les Sciences Po sauf un, de nombreuses écoles de management et quelques écoles d'ingénieurs.

S'agissant des écoles du travail social, nous avons obtenu que cette équivalence soit reconnue par un arrêté ministériel. C'était un sujet qui me préoccupait, car nombre de jeunes voulaient être travailleurs sociaux. Or pour entrer dans ces établissements, ils devaient subir des QCM avec des questions de culture générale auxquelles ils ne savaient pas répondre, alors même qu'ils étaient extrêmement motivés et qu'ils avaient passé neuf mois ou un an au contact des publics les plus vulnérables. Nous avons réussi à convaincre ces écoles, et nos jeunes peuvent désormais entrer dans divers instituts du travail social.

Environ les deux tiers des lauréats souhaitent commencer ou reprendre une formation et sont donc intéressés par les passerelles vers l'enseignement supérieur. Les autres veulent, à parts égales, soit travailler, soit créer leur association ou leur entreprise.

Qu'apportons-nous à ces jeunes ? Nous leur proposons de façon classique un parrain ou une marraine. Nous les aidons à entrer dans les écoles ou universités partenaires en venant présenter leur dossier ; ensuite, ces établissements réalisent la sélection finale. Nous les mettons en contact avec des entreprises. Nous leur apportons des financements. Enfin, nous organisons pour eux trois fois par an les « universités de l'engagement », où ils travaillent de huit heures du matin à vingt-deux heures et bénéficient de conférences, d'ateliers, d'un peu de sport, de projections de films, etc. Ils se retrouvent en formation.

Nos conférenciers sont très variés : cela va du prix Nobel au responsable associatif, en passant par des personnalités comme les époux Klarsfeld, des responsables d'entreprises, des professeurs d'université ou même des responsables politiques, dès lors que l'on respecte un certain équilibre. Et tous ressortent en disant qu'il s'agit d'un public étonnant, qui s'intéresse et pose des questions.

Nous proposons également aux jeunes un accompagnement par une équipe d'une vingtaine de professionnels, auxquels s'ajoutent des bénévoles. L'Institut de l'engagement est une association loi de 1901, financée à 80 % par le mécénat. Pour le reste, comme nous avons des antennes régionales, nous bénéficions de quelques financements de la part de collectivités territoriales et de l'Union européenne via le Fonds social européen (FSE). Nous avons également reçu des fonds de l'État pendant trois ans via le programme La France s'engage, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le budget de l'Institut est d'environ 300 millions d'euros par an. Il couvre le coût de l'équipe, de l'organisation des universités, des quelques bourses que nous délivrons, etc.

Les taux de succès des jeunes sont remarquables : quand ils entrent dans les écoles, 92 % d'entre eux terminent leur scolarité. C'est le cas y compris à HEC, alors même qu'ils n'ont pas suivi de classes préparatoires, ni fait de mathématiques ou de culture générale. Une enquête de 2021 portant sur les anciens lauréats de 2012-2018, donc deux à huit ans après la fin de l'accompagnement - nous avons aujourd'hui 5 000 anciens lauréats, auxquels s'ajoutent 500 lauréats en scolarité - montre que moins de 2 % d'entre eux sont en recherche d'emploi depuis plus de six mois, que plus de 50 % d'entre eux sont diplômés à bac + 5 et qu'ils s'engagent en moyenne deux fois plus que les jeunes en général.

Comment expliquer cela ? En fait, le système traditionnel de sélection en France est fondé sur l'usage de seulement 20 % du cerveau. Cette partie est très importante, puisqu'elle sert aux mathématiques, à la physique, à la culture générale, etc. Mais, dans notre mode de sélection, on oublie de s'intéresser à la partie du cerveau qui sert aux interactions sociales, à l'engagement, à la capacité à prendre des initiatives. Ces éléments sont assez peu mesurés par le système scolaire, puis par l'enseignement supérieur. Il faut donc élargir la sélection au reste des circuits neuronaux. Pour cela, nous sommes presque seuls sur ce marché - nous n'avons donc pas beaucoup de mérite ! Par ailleurs, les neurones des jeunes, parfois éteints auparavant, sont en quelque sorte rallumés par l'engagement.

En creux, il y a là un vrai sujet, celui de l'égalité des chances. Comme vous le savez, en France, quand vos parents sont diplômés de l'enseignement supérieur, vous avez trois chances sur quatre de l'être également ; quand ils ne le sont pas, vous avez une chance sur cinq, alors même que les concours sont républicains et l'enseignement gratuit. Cette statistique ne change pas depuis dix ans : les études de l'OCDE sont d'une constance accablante à cet égard.

Nous avons élargi l'Institut de l'engagement à des jeunes ayant eu un engagement associatif soutenu. Quand nous avons créé le service civique, nous nous sommes demandé si celui-ci devait être une activité principale durant une durée déterminée, ou s'il pouvait être réalisé par intermittence. Autrement dit, doit-il s'appliquer à quelqu'un qui renonce à tout pendant six mois pour s'engager auprès d'une association, ou à quelqu'un qui, pendant dix ans, consacre tous ses dimanches à s'occuper des personnes en situation de handicap ? Pour ma part, j'avais proposé les deux. Le législateur a choisi uniquement une durée continue, mais je continue de penser qu'il n'y a pas tellement de différence et qu'un jeune qui s'est occupé pendant dix ans d'une personne handicapée tous les week-ends a une expérience de même nature. Pour notre part, puisque nous sommes libres, nous avons ouvert l'Institut de l'engagement aux jeunes ayant ce type de profil. Il peut s'agir de scouts ou de militants associatifs, même s'ils sont minoritaires : la majorité de jeunes qui postulent à l'Institut ont fait leur service civique.

Nous mesurons le profil des jeunes par le niveau d'études. Beaucoup se sont arrêtés juste au baccalauréat ou sont en cours de réorientation vers bac+ 3, mais il y a aussi parmi eux des non-bacheliers ou des bacs+ 5 qui veulent se réorienter ou trouver du travail. Ils présentent une diversité d'origines - on le voit bien quand on regarde les photos des promotions présentes sur le site Internet - que l'on ne rencontre pas dans les établissements d'enseignement supérieur. Je ne dispose pas de statistiques précises sur les représentations relatives aux zones rurales, urbaines ou sensibles. Ce qui est évident, c'est que beaucoup de ces jeunes viennent chez nous parce qu'ils n'ont pas réussi dans les voies classiques.

Pour éviter le biais de sélection, nous avons une astuce : nos jurys sont formés de bénévoles venus de l'université ou des associations. Ils voient dix candidats dans la journée et ils ont envie de rentrer chez eux le soir en se disant qu'ils ont réussi à sauver quelqu'un qui ne l'aurait pas été sans eux. Ils se tournent donc vers les profils les moins classiques, non vers ceux qui chercheraient à contourner les concours ordinaires. Je manque ici de matière statistique, mais cela se voit vraiment dans l'histoire de ces jeunes.

Une fois qu'ils sont reçus, nous leur faisons signer une charte qui énonce nos engagements réciproques. Nous leur demandons d'être assidus, d'être polis avec les partenaires, de s'intéresser à ce que l'on fait et de donner des nouvelles. De notre côté, nous nous engageons à leur apporter tout ce que je vous ai indiqué tout à l'heure.

L'Institut de l'engagement a connu un grave échec : cet établissement est peu connu. Or il existe depuis dix ans et répond, me semble-t-il, à plusieurs problématiques des politiques publiques, qu'il s'agisse de l'accès à l'enseignement supérieur ou de l'engagement. Mon rêve, c'était la nationalisation de l'institut, ou du moins sa contractualisation avec les pouvoirs publics, et je suis prêt pour cela à laisser la place à d'autres.

L'institut repose sur un mode de sélection qui est différent, mais rigoureux ; ce n'est pas le piston, la connaissance, le « coup de foudre » ou la « bonne bouille » qui prévaut. Les jeunes doivent présenter deux attestations dans leur dossier : l'une émanant de leur maître de stage du service civique ou de leur correspondant dans l'association dans laquelle ils exercent leur bénévolat ; l'autre provenant de la personne de leur choix. Nous évitons les « coups de foudre » pour des personnalités qui seraient seulement brillantes à l'oral, car nous prenons des gens dont l'engagement a été sérieux. Notre mode de sélection est très performant et repêche des jeunes que le système ne sait pas prendre en charge.

Il y a deux ans, probablement au titre de cette expérience, la ministre de l'enseignement supérieur m'a demandé de présider une commission sur l'égalité des chances dans l'enseignement supérieur, dans laquelle siégeaient la Conférence des universités, la Conférence des grandes écoles et des représentants des classes préparatoires. Or nous avons considéré que, pour accroître l'égalité des chances, il existait deux solutions complémentaires : soit adapter les voies de sélection, telles qu'elles existent, par exemple en accordant des points bonifiés aux boursiers lors des concours ; soit diversifier les voies de recrutement.

Ce sont deux systèmes différents. Le premier vient compenser une difficulté particulière, car un étudiant ne prépare pas le concours de la même façon si ses parents peuvent payer une chambre à côté du lycée où il est en classe préparatoire, ou s'il a de longs trajets tous les jours. Le second fait appel aux autres parties du cerveau que les 20 % que j'évoquais à l'instant. Pour notre part, nous sommes spécialisés sur la seconde solution, mais avec des procédures sérieuses et scientifiques.

Tout le monde reconnaît que l'élargissement et la diversification des voies d'accès sont utiles, mais je crois qu'il existe une difficulté au niveau des pouvoirs publics.

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