Intervention de Philippe Varin

Mission commune d'information sur Alstom — Réunion du 15 février 2018 à 13h40
Audition de M. Philippe Varin président de france industrie vice-président du conseil national de l'industrie

Philippe Varin, président de France Industrie :

C'est un honneur d'apporter ma contribution au travail de réflexion que vous avez engagé. En 2015, une étude du Cercle de l'industrie avait mis en évidence la nécessité de renforcer les relations entre le Parlement et le monde industriel. Depuis trois ans, les rencontres Parlement-industrie ont contribué à ce rapprochement qui pourrait encore bénéficier de la formalisation des relations entre le Cercle de l'industrie et les groupes d'études industrie du Sénat et de l'Assemblée nationale.

Il n'y a pas d'économie forte sans industrie puissante. La situation de la France est anormale à cet égard ; la part de l'industrie passant de 16,5 % à 12,5 % du produit intérieur brut, alors qu'elle s'est stabilisée à 23 % en Allemagne et que la part de l'industrie britannique dans le PIB est même devenue supérieure à la nôtre. Le quart de nos emplois industriels a été perdu depuis quinze ans. Ce décrochage s'explique avant tout par la réduction progressive de nos marges. Il y a vingt ans, l'Allemagne vendait ses produits avec une prime pour l'image et la qualité par rapport aux produits français qu'un moindre coût du travail nous permettait alors de compenser. L'instauration de l'euro, les différentes politiques publiques ainsi que les négociations avec les entreprises ont induit le dérapage des coûts de production, et notamment des salaires par rapport à l'Allemagne. Certes, le pacte de compétitivité et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ont permis de retrouver le même coût salarial qu'Outre-Rhin, mais notre niveau de compétitivité-coût actuel n'est pas pour autant acceptable. Si nos coûts se sont resserrés, nos marges connaissent toutefois un écart de trois à quatre points d'écart par rapport à l'Allemagne. La permanence d'un tel handicap conduit les grandes industries à rechercher des implantations à l'étranger, générant ainsi la cessation d'activités de certaines PME et ETI.

Néanmoins, le déclin de l'industrie est en voie d'être enrayé. La distinction entre l'industrie et les services n'est désormais plus pertinente, l'industrie incorporant de plus en plus ses services pour répondre aux attentes de ses clients. D'ailleurs, les GAFA sont-ils exclusivement des entreprises de services, avec leurs entrepôts logistiques notamment ? Le vrai clivage me semble davantage se situer entre les emplois considérés comme sédentaires et ceux exposés à la concurrence internationale. Or, les mesures prises depuis une quinzaine d'années, comme le CICE, se sont focalisées sur la préservation de l'emploi à court terme et les bas salaires, c'est-à-dire sur les emplois sédentaires, au détriment des autres, plus exposés.

L'industrie est essentielle à la croissance : elle est à l'origine de 75 % des exportations, et explique ainsi le déficit de 63 milliards d'euros de notre commerce extérieur en 2017. Représentant 80 % de la recherche-développement, l'industrie est un vecteur de croissance et une véritable arme anti-chômage dans les territoires. En effet, chaque poste qu'elle crée génère, à son tour, trois à quatre nouveaux emplois. La reprise que nous observons aujourd'hui est effective, avec, l'année passée, une croissance des taux d'investissement et de croissance industrielle de l'ordre de 4 %, et un taux d'utilisation de nos capacités atteignant 86 %. Encore faut-il relativiser ce dernier, obtenu sur une base réduite. Cette situation est due aux premiers effets du pacte et du CICE, ainsi que de la conjoncture, avec les taux d'intérêt à 0 %, le coût du baril à 50 dollars et la faiblesse de l'euro. Cette situation a évolué depuis lors, avec l'inversion de la parité euro-dollar et la remontée du cours du baril et des taux d'intérêt. Le renforcement de cette tendance au redressement industriel implique désormais de nouvelles mesures.

Quelles sont les priorités pour que l'industrie soit gagnante ? La compétitivité-coût, la montée en gamme et enfin l'Europe industrielle concourent au redressement industriel. En outre, la mobilisation coordonnée de tous les acteurs est essentielle ; ce qui n'est pas chose aisée, compte tenu de notre mentalité de « village gaulois ». Cette priorité a motivé la création même de France industrie.

La compétitivité-coût constitue le premier levier du développement d'industrie et ce, avant la montée en gamme, puisqu'elle est la condition nécessaire à l'investissement et permet d'enclencher un cercle vertueux. Le poids des prélèvements obligatoires en France s'élève à 44,5 % contre une moyenne de 40 % en Europe. Cette importance s'avère, pour les industriels, un fardeau pesant notamment sur la fiscalité de production, soit un handicap de 70 milliards d'euros par rapport à la fiscalité Outre-Rhin. À cet indicateur s'ajoute le plafond d'allégement des charges sur les salaires lequel, avec comme cible 2,5 SMIC, n'a pas été aussi élevé que celui proposé, en son temps, par le Rapport Gallois ; France industrie préconisant, pour sa part, un seuil de 3,5 SMIC pour restaurer la compétitivité des entreprises françaises.

La montée en gamme constitue le second levier de la réindustrialisation et se décline en deux grands axes : d'une part, l'innovation, bénéficiaire du crédit impôt-recherche dont nous appelons à la sanctuarisation. Cependant, dans les filières françaises, les projets de recherche-développement, qui sont autant de projets de rupture, sont actuellement peu nombreux, alors que la conjonction des investissements privés et du soutien des pouvoirs publics ont permis, aux États-Unis, l'aboutissement de projets de rupture comme SpaceX ou Tesla. Il faudrait ainsi mettre en oeuvre dans chaque filière des projets de rupture fédérant les grandes entreprises, les PME et les ETI, à l'instar du véhicule 2 litres ou autonome dans l'industrie automobile. L'État doit ainsi subventionner en amont ces projets d'innovation de rupture, ce que ne permettent pas les actuels plans dont les avances remboursables ne sont pas adaptées. La montée en gamme implique à la fois l'innovation et l'industrie du futur. Certains exemples sont encourageants : aujourd'hui, la numérisation d'une usine, qui concourt à la flexibilité de sa production et à la baisse de ses coûts, permet d'éviter sa délocalisation, voire favorise sa réimplantation dans nos territoires. La robotisation n'est nullement un facteur aggravant du chômage, comme en témoigne le nombre de robots bien supérieur en Allemagne. Dès lors, la numérisation permet non seulement de réduire les coûts de production, mais aussi d'ajouter de nouveaux services destinés aux clients ! Le calcul de la rentabilité sur les capitaux engagés pour la numérisation d'une usine fournit manifestement un plaidoyer en faveur de sa relocalisation en France. De nombreuses PME et ETI, comme Rossignol, le Slip français ou encore Yamaha ou les lunettes Atol, fournissent autant d'exemples de notre capacité de réindustrialisation. France industrie entend bien être volontariste au sein de la French Fab !

Le troisième point concerne l'Europe industrielle. Atteindre 20 % de la part de l'industrie dans le PIB est un objectif ambitieux, dont la réalisation exige certaines consolidations ; ce dont doit d'ailleurs avoir conscience la direction de la concurrence de la Commission européenne. Certes, il y a la fusion Alstom-Siemens ou encore Lafarge-Holcim, mais les entreprises françaises peuvent être également à l'origine des fusions, comme lors du rachat d'Opel par PSA, d'Airgas par Air Liquide ou encore de General Electric Waters par Suez. L'équation doit donc être considérée globalement. Si le patriotisme économique ne doit pas être confondu avec le protectionnisme, il faudrait néanmoins que l'Europe se dote d'un mode de protection, aussi vigilant et fonctionnel que le comité pour l'investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) américain qui préserve les industries stratégiques. En Europe, certains secteurs, comme l'énergie et le numérique, présentent de réelles opportunités de convergence.

Enfin, je reviendrai sur le fonctionnement collectif pour promouvoir un fonctionnement plus efficace de nos filières ; cette démarche motivant la création de France industrie, issue du regroupement du Cercle de l'industrie et des fédérations industrielles. Certes, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) constitue d'une structuration à forte valeur ajoutée, dont pourraient s'inspirer les filières automobile, maritime, nucléaire, ou encore alimentaire, durant l'année 2018, pour assurer leur réelle articulation avec l'État au sein du conseil national de l'industrie. Une filière ne fonctionne efficacement qu'à la condition de disposer d'une gouvernance adaptée, de projets communs de recherche-développement et de plateformes numériques, à l'instar de Boostaerospace dans l'aéronautique. Dans le contexte législatif actuel, une filière performante doit être impliquée dans l'apprentissage et les compétences, afin de répondre au plus près des besoins des entreprises. Elle doit enfin accompagner ces dernières à l'international, comme le fait aujourd'hui le GIFAS. C'est là un enjeu pour l'année 2018 afin d'améliorer l'environnement nécessaire au développement de l'industrie et de ses filières.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion