Intervention de Colonel Jude Vinot

Mission d'information réinsertion des mineurs enfermés — Réunion du 13 juin 2018 à 14h45
Audition conjointe de M. Clément Vives adjoint au conseiller judiciaire à la direction générale de la police nationale dgpn et Mme Christelle Simon commandant divisionnaire de la direction centrale de la sécurité publique ; du colonel jude vinot du chef d'escadron erik salvadori et de Mme Sandrine Guillon conseillère juridique et judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale dggn

Colonel Jude Vinot, Direction générale de la Gendarmerie nationale :

En préambule, je reviendrai sur l'actualité récente, comme les rodéos urbains ou l'affaire de Mourmelon, qui illustre que certains faits de délinquance, parce qu'ils sont commis par des personnes mineures, affectent profondément l'opinion publique et se voient accordés un traitement médiatique particulier. Au-delà, la délinquance des mineurs revêt une sensibilité particulière pour la gendarmerie, du fait de l'impact en terme de trouble à l'ordre public et d'un effet certain sur le sentiment d'insécurité, la délinquance des mineurs présentant un effet anxiogène.

La délinquance des mineurs, qui représente 17 % des mises en cause en zone gendarmerie, reste marquée par une forte représentation de la population masculine, particulièrement surreprésentée notamment dans les atteintes aux biens commises avec la menace d'une arme et les viols sur mineurs. On assiste également à l'émergence de certaines tendances : d'abord, le fait qu'une minorité de jeunes commettent une majorité de faits, par un effet de groupe : ensuite, une plus grande précocité dans l'entrée dans la délinquance et un accroissement de la violence, notamment en Outre-mer, à Mayotte et en Guyane tout particulièrement.

La question de la délinquance des mineurs est corrélée à la problématique des incivilités, souvent récurrentes, qui précèdent ou accompagnent le passage à l'acte délictuel, à l'instar de la violence observée dans les stades, où le passage de l'invective à l'agression physique est souvent rapide. La délinquance des mineurs nous interroge également sur le rapport de ces jeunes à l'autorité et sur leur capacité à accepter les interdits. Pour les forces de l'ordre, cette problématique est majeure, tant dans notre travail de prévention que dans la phase d'enquête. Les forces de l'ordre se heurtent, avant même la transgression, à la question de la reconnaissance par ces jeunes du cadre légal et des règles communes qui fondent leur action.

Les forces de l'ordre interviennent généralement une fois que le jeune est entré dans un parcours délinquant. L'enjeu réside dans la capacité à détecter le plus en amont possible les mineurs susceptibles de basculer dans la délinquance. L'action des forces de l'ordre dans ce domaine doit s'intégrer dans une politique globale et décloisonnée ainsi que dans une coordination réelle de l'ensemble des acteurs, à savoir les parents, le milieu scolaire, le maire et la société, ou encore le monde sportif et culturel.

Face au mineur réitérant, le gendarme est confronté à la question de la lisibilité du processus judiciaire et de la réponse de l'État, le travail des forces de l'ordre n'étant qu'une étape du processus pénal. Pour le traitement de la récidive, une réponse pénale rapide, progressive et lisible est nécessaire. S'agissant du diagnostic de la gendarmerie, au vu des statistiques et des observations de terrain concernant la délinquance des mineurs, le nombre de mises en cause de mineurs demeure assez stable. Ce sont ainsi 72 700 mineurs qui sont mis en cause chaque année, avec une fluctuation de l'ordre de 4 %. Les mineurs mis en cause - c'est-à-dire interpellés sans qu'il y ait nécessairement de suite judiciaire à cette interpellation - représentent entre 15,6 % et 16,4 % du total des mises en cause. En 2017, six fois plus de garçons ont été mis en cause que de filles. La délinquance des mineurs concerne principalement les atteintes aux biens - 40 % des faits mettant en cause des mineurs -, les atteintes volontaires à l'intégrité physique - à hauteur de 29 % - et, pour 16 %, les infractions à la législation sur les stupéfiants.

On observe une réelle précocité dans les comportements déviants, qui peuvent parfois s'avérer très violents. D'autres facteurs semblent également prégnants, comme la surreprésentation de jeunes issus des quartiers relevant de la politique de la ville et l'influence des groupes de pairs dans l'entrée dans la délinquance juvénile. L'illustration la plus manifeste réside dans les phénomènes de bande, comme en Guadeloupe, et dans l'appropriation et la confiscation du territoire par ces bandes, qui est en cours d'amplification.

Quel est le profil et le parcours type d'un mineur délinquant ? L'analyse de la gendarmerie, qui traite les faits les uns après les autres, est nécessairement subjective et ne peut répondre à ces deux questions en tant que telles. Cependant, deux grands profils peuvent être identifiés. D'une part, les accidents de parcours : un mineur délinquant occasionnel, passant à l'acte d'initiative ou par effet de groupe, sur lequel l'enquête et les suites données - comme l'information des parents, l'éventuelle arrestation au domicile avec perquisition, l'audition à la gendarmerie éventuellement sous le régime de la garde à vue ou la décision du parquet - vont exercer un effet dissuasif. D'autre part, les multirécidivistes, soit un nombre réduit de mineurs, agissant en groupe, parfaitement identifiés des services de gendarmerie, de la mairie et des magistrats. Leur identification et leur arrestation ne semblent avoir aucune influence sur eux et ne les empêchent nullement de commettre de nouveaux faits avant même que les précédents aient été jugés.

Les axes prioritaires de la gendarmerie sont au nombre de quatre : premièrement, le milieu familial et les proches, pour lesquels l'accompagnement est essentiel et pour lesquels l'implication dans la réparation du préjudice subi par la victime est recherchée. Deuxièmement, la scolarisation : la gendarmerie se rapproche de l'Éducation nationale afin que, dans les établissements, sa présence soit visible et connue, ce travail en complémentarité permettant d'améliorer la prévention de la délinquance. Troisièmement, la cohérence du cadre normatif - les forces de l'ordre devant faire appliquer une loi parfois inapplicable ou inappliquée, comme l'interdiction de vente d'alcool ou de tabac à des mineurs - et l'impact des nouvelles technologies dans l'éducation des jeunes qui doivent être accompagnés dans l'espace numérique, tant en matière de prévention que de répression. Enfin, la responsabilisation des mineurs s'avère la plus difficile à mettre en oeuvre ; ceux-ci n'ayant pas toujours conscience de la gravité de leurs actes.

La formation des gendarmes est surtout axée sur l'accueil des mineurs victimes. Une formation spécifiquement consacrée au dialogue avec les mineurs auteurs d'infractions est en cours d'élaboration. Depuis une trentaine d'années, un dispositif de prévention a été instauré : 44 brigades de prévention de la délinquance juvénile sont réparties en métropole et en outre-mer. Elles comprennent près de 220 agents et ont vocation à lutter contre le basculement des mineurs dans la délinquance et la réitération, en organisant notamment des opérations de prévention dans les établissements scolaires. Certaines formations thématiques sont également proposées aux gendarmes, comme le diplôme universitaire « adolescent difficile » que suivent, chaque année, une vingtaine de professionnels. Si le gendarme reste un généraliste, il lui faut être capable de s'adresser à cette jeunesse qui représente un segment de la population dont il a la charge. En outre, la gendarmerie travaille actuellement avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour une meilleure connaissance mutuelle sur les sujets qui leur sont communs.

Quel regard portons-nous sur le fonctionnement actuel de la justice des mineurs ? S'il ne s'agit pas de discuter la procédure pénale, la réelle problématique demeure la délivrance d'une réponse rapide, graduée et lisible. Notre arme est d'ailleurs associée à certaines démarches communes, comme le rappel à l'ordre du maire, défini à l'article L.132-7 du code de sécurité intérieure, qui devrait être généralisé et valorisé.

Certaines mesures, en dehors du cadre judiciaire, méritent d'être rappelées, comme le rappel à la responsabilité des mineurs (RRM) qui ne repose sur aucun fondement légal ou réglementaire mais vise à ne laisser aucun acte sans réponse. Initié au sein de la brigade de gendarmerie du Gard en mars 2010, il est développé dans plusieurs départements. Sur saisine des brigades ou des partenaires habituels, il consiste en l'accueil du mineur auteur d'un acte d'incivilité ou d'un acte de délinquance mineur ne faisant pas l'objet d'une enquête judiciaire, afin de le sensibiliser, en présence de ses représentants légaux, aux conséquences notamment pénales de son acte. Il vise ainsi à prévenir la réitération de comportements déviants. Une orientation dans un cadre partenarial peut être donnée. Ce procédé s'inscrit parfois dans le cadre d'un protocole conclu avec l'autorité judiciaire ou a minima est mené en lien avec les magistrats chargés des mineurs.

Une autre initiative, qui vient d'être primée en interne, consiste en l'accueil d'un groupe de mineurs récidivistes, de quinze à dix-huit ans, dans une brigade de gendarmerie, située dans les Pyrénées Orientales. Ceux-ci, dans un cadre légal contraignant, deviennent acteurs de la préservation du littoral, accompagnés par la PJJ et les gendarmes. Aucun désistement n'a été constaté et tous les mineurs concernés ont retrouvé une scolarité, à l'issue de cette période. Pour le moment, aucune réitération n'a été constatée parmi les membres de ce groupe.

L'enfermement nous paraît-il constituer une réponse appropriée pour certains mineurs ? S'il ne nous appartient pas de répondre à cette question comme représentants des forces de l'ordre, deux points doivent cependant être soulignés. D'une part, se pose la question des ruptures dans le parcours de ces mineurs : il est bien souvent observé un cloisonnement dans la prise en charge de ces jeunes préjudiciable à leur suivi, à la cohérence de leur parcours et à l'acceptation par le mineur des mesures décidées. D'autre part, la question se pose de la mise sous contrôle électronique des jeunes ayant commis des actes graves. Actuellement, la surveillance électronique n'est envisagée que dans le cadre de l'aménagement de peine. La mise sous surveillance électronique comme peine principale pour les mineurs permettrait de surveiller leurs déplacements dans un rayon déterminé autour du domicile, en leur interdisant de se rendre dans certains lieux où ils seraient susceptibles de commettre des actes délictuels. Ce mode alternatif à l'enfermement permettrait la poursuite d'un travail socio-éducatif hors milieu fermé.

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