Wavestone est un cabinet de conseil français que j'ai co-fondé il y a 30 ans. Il compte 3 500 collaborateurs et réalise un chiffre d'affaires de l'ordre de 460 millions d'euros.
Nous sommes une entreprise cotée mais notre capital est contrôlé aux deux tiers par les fondateurs, les dirigeants et les salariés.
Notre métier est d'éclairer les décisions de nos clients et d'aider à les mettre en oeuvre, en sachant que Wavestone se concentre plutôt sur la phase de mise en oeuvre des stratégies. Nous intervenons en aval des cabinets de conseil en stratégie comme McKinsey ou Roland Berger.
Sur le conseil en organisation et management, l'un des principaux atouts de Wavestone est notre excellence dans le secteur digital, y compris sur des sujets très technologiques et pointus comme la cybersécurité, l'architecture de systèmes d'information complexes ou l'Internet des objets. Le digital constitue un catalyseur et un facteur de transformation des grandes organisations que nous servons.
Le secteur public au sens strict, c'est-à-dire en dehors des entreprises publiques, représente de l'ordre de 14 % du chiffre d'affaires de Wavestone en France. Nous sommes donc surreprésentés sur ce secteur, puisqu'il ne pèse que 10 % de la dépense française de conseil.
Cette surreprésentation résulte d'un choix que nous avons fait en 2016 de développer très fortement notre activité dans le secteur public. À cette date, le secteur public ne représentait que 6 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons pris cette décision en anticipant une phase de transformation beaucoup plus large du secteur public, pour moderniser l'administration et améliorer le service au citoyen.
Cette décision faisait sens pour nous et pour nos équipes car nous sommes un cabinet français. Il y avait également un sens économique à ce choix, ce qui peut étonner. Le secteur public est un peu moins rentable que les autres secteurs, même s'il ne faut pas exagérer car les différences sont en réalité assez tenues. Ce secteur présente un avantage pour un cabinet comme Wavestone, qui ne fait que du conseil : il est beaucoup plus résilient que les autres, alors que le marché du conseil est un marché très volatile et cyclique. Cette résilience a beaucoup de valeur sur le long terme.
Wavestone cherche-t-il à influencer les politiques publiques ? Je ne vous étonnerai pas en répondant par la négative.
Nous sommes sur un marché en croissance, comme vous l'avez sans doute entendu à de nombreuses reprises. En tant qu'entrepreneur, le moyen le plus efficace de développer mon entreprise est d'apporter à mes clients l'expertise et les savoir-faire dont ils ont un besoin croissant et de leur offrir une qualité de prestation irréprochable. Au coeur de cette qualité figure l'objectivité totale de nos recommandations. Jouer au billard à trois bandes serait déloyal vis-à-vis de nos clients, et nous détournerait de ces leviers très simples de croissance de l'entreprise - voire se retournerait contre nous.
Le risque lié à la confidentialité des données confiées par nos clients publics est très maîtrisé. Nous faisons attention à les protéger ; c'est même la base de notre métier de conseil, qui repose sur la confiance et la réputation. Du côté de l'administration, le sujet me paraît traité au bon niveau, avec des clauses contractuelles extrêmement explicites et très exigeantes dans les marchés publics.
Comment gérons-nous les conflits d'intérêts ? Les situations que nous détectons sont plutôt rares, mais c'est peut-être spécifique à Wavestone. De plus, le cabinet, détenu aux deux tiers par des personnes physiques, est libre de tout lien capitalistique avec une autre entreprise.
Face aux situations de conflit d'intérêts qui peuvent malgré tout se présenter, nous avons un système de prévention, une charte éthique à laquelle tous les collaborateurs sont formés et un système d'alerte anonyme permettant de remonter les soupçons ou les incidents. Enfin, pour contrôler l'ensemble, nous avons une équipe d'audit interne.
Objectivement, autant sur la confidentialité, je peux vous dire que nous sommes à un très bon niveau de maturité, autant sur les conflits d'intérêts - et je trouve que c'est un sujet sur lequel la sensibilité remonte - notre maturité est peut-être perfectible. Je ne dirais pas qu'il n'y a pas matière à progrès sur le sujet.
Du côté de l'administration, j'observe que le sujet est bien traité au moment de la passation des marchés mais qu'il est peu développé dans l'exécution des contrats. Il y aurait peut-être un intérêt à développer les cadres contractuels sur le thème de la prévention des conflits d'intérêts. D'ailleurs, en tant cabinets de conseil, je pense que nous serions preneurs de directives plus précises de l'administration en la matière.
Enfin, la question centrale : avons-nous trop d'activités dans le secteur public ? Sommes-nous bien utilisés, dans le meilleur intérêt de l'administration ?
L'administration est plus rigoureuse que le secteur privé dans la sélection des prestataires et le suivi de l'exécution. Les achats de conseil se sont rapidement professionnalisés grâce à des structures comme l'UGAP, la DAE ou la DITP.
Je me hasarderai néanmoins un commentaire qui pourrait m'attirer vos foudres : la lourdeur du code des marchés publics n'est pas adaptée à l'achat de prestations de conseil, parfois conséquentes, parfois très ciblées. Cette lourdeur pousse à massifier les achats, ce qui réduit le choix des donneurs d'ordres publics, et pousse à constituer des groupements qui entraînent des cascades de sous-traitance sans grande valeur.
Corollaire de la massification des achats, la concurrence est extrême au moment de la passation des accords-cadres, mais devient plutôt basse lors de chaque projet - en tout cas plus basse que dans le privé où, même avec un accord-cadre, la concurrence joue à nouveau au moment de la passation des contrats.
Enfin, dans les critères de sélection, la qualité des prestations passées pèse moins que dans le secteur privé, où elle est fondamentale, ce qui me semble plus vertueux.
L'augmentation du recours aux cabinets de conseil dans le secteur public s'explique avant tout par le fait que le public, comme toutes les organisations, est confronté à des besoins de transformation de plus en plus pressants.
Y a-t-il une surconsommation du conseil ? Comme toutes les organisations qui se transforment, le secteur public aura besoin de consultants en nombre croissant. Ce ne sont pas nécessairement des consultants externes : il y a là une opportunité de développer le conseil interne, comme la DITP a commencé à le faire et comme le font tous les grands consommateurs de prestations de conseil. C'est une voie à explorer.