Intervention de Frédéric Chéreau

Mission d'information Commune et maire — Réunion du 14 mars 2023 à 8h30
Audition de représentants d'associations de maires

Frédéric Chéreau, maire de Douai, membre du conseil d'administration de Villes de France :

Merci de l'attention que vous portez aux communes. Nous savons que vous nous défendez au quotidien, et que plusieurs d'entre vous étiez maires. Villes de France rassemble les communes entre 10 000 et 100 000 habitants, qui sont souvent communes-centres d'intercommunalités. Nous sommes sur une strate différente de celle des communes rurales, mais nous avons de nombreux sujets communs.

Les principales différences entre les communes rurales et nous reposent sur deux points : le ratio entre le nombre d'élus et la population, et le ratio entre le nombre d'agents et la population. Les communes rurales sont très bien loties pour le nombre d'élus par habitant : elles ont environ une quinzaine d'élus pour 1 000 habitants. À l'inverse, elles sont moins bien dotées en agents. Les élus jouent parfois aussi le rôle de directeur, de chef de service voire d'ouvrier... Dans les communes plus importantes, nous avons à l'inverse un élu pour 1 000 habitants, mais nous avons davantage d'agents : une directrice du budget, un responsable d'ingénierie pour répondre aux appels à projets par exemple.

Les communes attendent trois choses : visibilité ou temps long, autonomie et souplesse.

Nous avons manqué de visibilité durant les années précédentes. Lors de la crise sanitaire, il a fallu tout inventer, seuls, pour continuer à travailler sans les administrations étatiques qui avaient fermé. Ceux qui étaient en première ligne devaient inventer les solutions...

Actuellement la crise inflationniste et la pénurie de matériaux sont compliquées à gérer. Nous travaillons sur des projets à long terme, durant parfois deux ou trois mandats. Pour la mise en place d'un nouveau service, que ce soit en investissement ou en fonctionnement, avons besoin de stabilité du cadre juridique et de visibilité pour nos ressources. Toute perturbation est difficile à gérer.

Nous avons besoin d'être autonomes vis-à-vis de l'État et dans nos choix d'organisation, localement, à l'échelle du bloc communal. Nous avons parfois le sentiment, à mesure que l'État se déprend de ses capacités d'ingénierie, qu'il devient plus tatillon, recroquevillé sur sa capacité ou plutôt son incapacité à contrôler. Il existe une sorte de présomption d'amateurisme de certains grands services centraux de l'État vis-à-vis des maires : le projet serait électoraliste, trop cher, mal ficelé, car le maire n'est pas sorti des bonnes écoles... Il vaudrait mieux qu'une agence de l'État ou un service ministériel vienne y mettre bon ordre. Or souvent, ce n'est pas le cas...

Nous ne voulons pas être dans une position d'exécutant de l'État. Nous avons travaillé avec le sous-préfet de mon arrondissement sur les établissements recevant du public. Je me suis retrouvé l'exécutant d'un projet piloté par l'État. Le sous-préfet n'a plus de moyens : il demande aux maires de faire et de rendre des comptes. Si l'État veut exercer une compétence, qu'il le fasse lui-même et ne demande pas à nos ingénieries territoriales de le faire à sa place.

Je suis d'accord avec notre collègue, il faut nous laisser gérer nos territoires comme nous le voulons. Les relations avec l'office de tourisme intercommunal sont compliquées pour gérer les visites du beffroi de l'hôtel de ville de Douai. De nombreuses procédures ont ainsi été transformées, sans gagner grand-chose en efficacité.

Il en est ainsi de la compétence habitat, qui relève de l'intercommunalité. Mais ce sont les mairies qui ont la connaissance fine des bailleurs. Je voudrais mettre en place le permis de louer dans ma commune ; je suis le seul à le demander, parmi les 36 communes de l'intercommunalité, mais je suis d'accord pour prendre en charge toute l'ingénierie et recruter le personnel nécessaire. Cela fait trois ans que j'attends l'autorisation... Nous avons besoin de cette souplesse.

Certaines compétences doivent toujours relever de la commune, car l'intercommunalité n'est pas le bon niveau. Il n'est pas simple de confier à l'intercommunalité les sujets nécessitant une connaissance fine des habitants : la petite enfance, le scolaire, le social, parfois la politique de la ville. L'intercommunalité est une structure d'ingénierie : elle peut très bien agir sur l'économie, mais cela n'a pas de sens pour des sujets de proximité.

L'État a toujours l'impression que le bloc communal est un tout, et que parler à l'intercommunalité permet de parler à toutes les communes. Or c'est une structure propre, avec son projet politique propre. La commune est autre. On peut comprendre cette confusion de la part de l'habitant, qui se tourne vers le maire sans tenir compte de l'intercommunalité. Ce n'est pas à lui de gérer notre propre complexité.

L'intercommunalité a été construite de manière bizarre, mi-chèvre mi-chou. Nous n'avons pas supprimé des communes comme en Allemagne ou en Belgique, mais créé une strate supplémentaire sans en supprimer. Nous ne voulons pas supprimer les communes. Actuellement, les intercommunalités existent et gèrent des projets politiques et non plus techniques comme les syndicats. Elles n'ont aucun compte à rendre aux citoyens, mais uniquement aux maires. Le projet intercommunal n'est pas présenté par les maires.

Contrairement au citoyen, on peut exiger de l'État qu'il comprenne que maires et intercommunalités ne sont pas la même chose, et qu'il doit parler aux maires sur les compétences communales.

Nous avons besoin de souplesse, car nous travaillons sur le temps long. Les sujets sont complexes. Le maire, ensemblier, a besoin que l'État lui facilite la vie. Les appels à projets sont très compliqués, et nous bousculent lorsque nous mettons en place, sur le temps long, toutes nos politiques. Souvent, pour obtenir un appel à projets, il faut sortir quelque chose de neuf de son chapeau, en réalité juste pour avoir quelques sous pour financer du temps long.

Nous avons besoin d'avoir un État ensemblier qui regarde les choses de manière croisée, comme nous : nous gérons des écosystèmes locaux. Souvent, c'est pour cela que les maires apprécient le préfet et le sous-préfet, qui représentent un État à une seule tête, capable de répondre sur plusieurs thématiques. Sinon, il est difficile d'avoir affaire avec plusieurs agences de l'État ou avec des directions régionales de l'État qui parfois en se parlent pas, ou à un architecte des bâtiments de France (ABF) local qui ne dit pas la même chose que l'ABF qui est au-dessus ou que les pompiers lorsqu'il s'agit de sécuriser un bâtiment...

Autre exemple, le sous-préfet nous demande, dans le cadre d'un PLU, de construire de toute urgence des logements pour répondre à la demande d'une entreprise qui s'installe dans le Douaisis, et de l'autre, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) estime qu'il ne faut pas sortir immédiatement tous les logements, car beaucoup sont prévus sur des friches et qu'il faut les échelonner... Le préfet doit arbitrer. Parfois, la loi n'est pas totalement claire, et il reste une marge d'interprétation. Que l'État utilise cette marge pour simplifier, et qu'il nous couvre.

D'autres choses fonctionnent moins bien, comme les multiples schémas qu'on nous demande de réaliser pendant des heures, sans trop de résultat. Par exemple la convention de sécurité intégrée, qui ne nous a pas permis d'avoir un policier de plus, et pour laquelle je vais devoir encore attendre six mois pour obtenir une réponse sur les caméras mobiles que je souhaite installer à Douai...

J'ai fait des pieds et des mains pour intégrer le contrat de relance et de transition écologique (CRTE), mais je n'ai pas eu le droit de le signer, puisqu'il relève de l'agglomération. Agglomération et ville ont deux agendas différents. Je ne suis pas vice-président de l'agglomération alors que je suis maire de la ville centre. Dans le Douaisis, les communes périphériques ont le pouvoir dans l'agglomération. C'est d'ailleurs une réponse à mon collègue qui reprochait aux communes centres d'imposer leurs vues dans les intercommunalités. Les deux cas de figure existent.

Autre exemple de ce qui ne marche pas très, les contrats de ville : on saupoudre, il n'y a pas de cohérence, et chaque année nous y passons des heures en mobilisant énormément d'ingénierie, pour financer une vingtaine de projets. De la même manière, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous demande de multiplier les études pour, in fine, sortir ce que les maires savaient dès le début et obtenir des financements. Mais on va mesurer à chaque fois si on sait bien les utiliser, en raison d'un soupçon permanent.

En revanche, ce qui fonctionne, c'est quand l'État nous soutient de façon souple sur des projets de long terme où la stratégie est vraiment définie par le territoire. Ainsi, les programmes de réussite éducative fonctionnent très bien, de même que la cité éducative, même si ce projet ne durera que trois ans. C'est une vraie initiative des maires.

Le programme Action coeur de ville fonctionne également bien. Villes de France est un partenaire évident de l'État pour ce programme, qui est porté par un préfet connaissant bien les maires. Chaque maire peut inventer son projet. Le Président de la République s'interroge beaucoup sur le dispositif, qui ne serait pas bien contrôlé par l'État. Mais vu des maires, c'est un bon dispositif.

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