Intervention de Pascal Berteaud

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 27 février 2014 à 9h30
Audition de M. Pascal Berteaud directeur général de l'institut géographique national ign

Pascal Berteaud, directeur général de l'Institut géographique national (IGN) :

Si nous avons gardé, depuis la fusion avec l'inventaire forestier national, le sigle IGN, notre nom véritable est désormais « Institut national de l'information géographique et forestière. » L'histoire de l'IGN remonte à la création, par Colbert, de la Commission royale de la carte de France et aux cartes de Cassini. Il s'agissait alors essentiellement de dresser des cartes d'état-major. C'est lors de la débâcle de 1940 que, pour éviter que cet outil stratégique ne tombe aux mains des Allemands, un décret de Philippe Pétain, signé le 27 juin 1940 à Bordeaux, a transformé le service géographique de l'armée en IGN. La fusion avec l'inventaire forestier national a eu lieu en juin 2012.

Notre métier est de décrire le territoire sous toutes ces formes. Il faut pour cela acquérir des données, ce que nous faisons grâce à des agents sur le terrain, par des vues aériennes ou grâce aux observations par satellite ; il faut ensuite les agréger dans des bases de données, puis développer des algorithmes pour les exploiter en en tirant des cartes ou des orthophotoplans. Tout n'est cependant pas automatisé : outre 800 ingénieurs et techniciens, 700 ouvriers travaillent en aval du processus. En comptant le personnel administratif, l'IGN emploie donc environ 1 700 personnes, pour un budget de 160 millions d'euros, dont 50 à 60 millions d'euros de recettes propres et 95 millions d'euros de dotation de l'Etat.

Jusqu'aux années cinquante, l'essentiel des recettes provenaient de la dotation de l'Etat. La vente des cartes a ensuite représenté jusqu'à la moitié de nos ressources, proportion qui est revenue aux alentours du tiers. Depuis cinq ou six ans, la deuxième révolution internet, constituée par l'émergence des terminaux mobiles, a donné une composante géographique à la quasi-totalité des données échangées : tous les secteurs économiques utilisent désormais l'information géographique. Le champ d'activité de l'IGN s'en trouve considérablement étendu, mais il s'y retrouve face à des acteurs tels que Google ou Apple. De surcroît, les technologies d'acquisition automatique de données ont beaucoup progressé : par exemple, l'utilisateur de GPS non seulement reçoit des données mais également en renvoie automatiquement au fournisseur et ses traces permettent à celui-ci d'améliorer en permanence les données cartographiques. Du coup, les flux s'inversent : nous vendions dans le passé à ce type d'opérateur des mises à jour régulières, ce sont eux désormais qui affinent nos connaissances. Le développement d'outils collaboratifs comme Openstreetmap a fait chuter la valeur marchande des données, parfois divisée par cinq depuis cinq ans sur certaines couches de données.

Dans cet environnement, l'IGN a-t-il encore sa place ? Si l'information disponible sur internet, même moins précise et moins qualifiée, suffit à satisfaire 80-90 % des usages, la production d'information géographique référencée, d'autorité reste un élément de souveraineté nationale indispensable : pour tirer un missile, pour asseoir une réglementation sur une base géographique, pour édifier des services publics sur un territoire, mieux vaut se fonder sur une information géographique certifiée et fine... L'IGN a donc pour vocation d'être l'opérateur national de référence de la donnée géographique publique, de fabriquer des référentiels de qualité, neutres et régulièrement mis à jour, de construire des plateformes de diffusion interactive des référentiels. Bref, il s'agit de bâtir un service numérique de description du territoire.

Cette stratégie, que nous avons élaborée il y a trois ans, nous a conduits à ouvrir gratuitement à toutes les autorités publiques l'accès aux référentiels existants, dont l'utilisation a ainsi été multipliée par vingt. Comment nous adapter à l'open data, qui est désormais une réalité incontournable ? Certaines données de socle - les référentiels de base -nécessaires à l'exercice de la citoyenneté, doivent être accessibles gratuitement. D'autres doivent aussi être rediffusées - c'est la vocation de l'IGN - mais pas forcément gratuitement. Dès lors qu'elles sont susceptibles d'être exploitées à des fins commerciales, nous pouvons les rendre payantes, à condition que les tarifs retenus ne soient pas dissuasifs et puissent évoluer avec la valorisation économique des données, en fonction du cycle de ces données. Cela risque-t-il d'empêcher l'émergence de start up ou de de la création de valeur ? C'est possible, mais nous devons veiller aussi à ce que les données produites avec de l'argent public ne servent pas à enrichir de grosses multinationales. Nous élaborons donc une tarification progressive afin de ne pas décourager les petites entreprises que nous entendons même, au contraire, aider : nous ouvrons au sein de l'IGN un incubateur de projets pour les accueillir.

Sur les 50 à 55 millions d'euros de ressources propres de l'IGN, 30 millions d'euros proviennent de la vente de cartes papier. Ce chiffre était de 45 millions d'euros il y a cinq ans et risque de tomber à 15 dans cinq ans. La valeur des données baissant inéluctablement, il importe d'offrir des services complémentaires payants, ce que nous entendons faire en aidant les entreprises privées, en espérant pouvoir récupérer à terme une partie de la valeur, mais aussi par nous-mêmes, sur un modèle de type freemium. Par exemple, le géoportail de l'urbanisme permettra de retrouver, à partir d'une adresse, le règlement d'urbanisme qui s'applique : ce service est nécessaire à l'exercice de la citoyenneté et doit être gratuit. Pour obtenir en plus une vision en trois dimensions du terrain ou un calcul des co-visibilités, il faudra payer. Nous proposerons également la liste des zonages réglementaires superposés, environ 400 en France actuellement... Et pourquoi ne pas associer à cet outil de description du territoire des données statistiques, économiques, sociales ? Les données publiques abondent en France, mais elles sont largement inexploitables. Il faut les structurer en des formats exploitables et superposables.

L'adaptation de l'IGN à ce nouveau modèle économique est cruciale. Les évolutions engagées réclament des investissements, notamment en recrutement et formation de personnels. Hélas, l'époque ne s'y prête guère. Je ne suis pas venu ici pour me plaindre, mais jamais aucune structure privée ou publique n'a réalisé une telle transformation sans un minimum d'investissements.

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