Intervention de Etienne Desplanques

Mission d'information Sous-utilisation des fonds européens — Réunion du 16 juillet 2019 à 14h45
Audition de Mm. Etienne deSplanques sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer arnaud martrenchar adjoint au sous-directeur et oudi serva adjoint au chef du bureau des politiques européennes de l'insertion régionale et de la valorisation des outre-mer

Etienne Desplanques, sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer du ministère des outre-mer :

Merci de votre invitation. Votre mission d'information intervient à un moment charnière, après les élections européennes et au moment où nous négocions la prochaine programmation et le cadre financier pluriannuel (CFP) post-2020. Je vous prie d'excuser M. Emmanuel Berthier, retenu cet après-midi. Nous vous apporterons des réponses écrites au questionnaire dans les prochains jours.

Selon l'accord de partenariat, la DGOM est une autorité de coordination, au même titre que le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), la direction générale de la performance économique et environnementale et des entreprises (DGPE) et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Elle s'en distingue car elle a une approche géographique - les outre-mer dans leur diversité, RUP et PTOM - et non liée à la gestion d'un fonds en particulier. La DGOM s'intéresse globalement aux différents FESI, au Fonds européen de développement (FED) et aux programmes horizontaux comme Erasmus ou Life, avec une valeur ajoutée territoriale. Un bureau leur est dédié, dans lequel trois agents sur six travaillent sur les fonds européens structurels d'investissement (FESI).

La DGOM a un rôle d'animation et réunit tous les deux mois les directeurs « Europe » des autorités de gestion des RUP. Tous les deux ans, nous organisons un séminaire sur les fonds européens, dont le dernier s'est tenu en novembre 2018, en Martinique. Nous avons un contact privilégié avec les autorités de coordination, notamment le CGET, avec lequel nous entretenons des relations hebdomadaires, et avec l'unité RUP à la direction régionale REGIO de la Commission européenne, qui est en quelque sorte notre miroir.

Nous apportons un appui technique et juridique aux autorités de gestion, pour des dossiers techniques comme l'octroi de mer, la défiscalisation, l'articulation des aides d'État, ou pour de l'ingénierie - nous venons de lancer une étude sur des projets de mutualisation pour la gestion des déchets. À la demande des autorités de gestion, nous intervenons aussi sur des problèmes plus complexes, comme Synergie, l'outil informatique de mise en oeuvre des fonds européens pour lequel la DGOM a monté un groupe de travail spécifique sur les problématiques RUP.

Par ailleurs, nous défendons la spécificité des RUP et des PTOM dans le cadre des négociations européennes. Nous négocions la décision d'association des PTOM et l'ensemble des règlements européens pour la future programmation. Nous nous occupons autant, en temps et en disponibilité, des RUP, qui reçoivent 4,8 milliards d'euros de fonds européens, que des PTOM, qui n'en reçoivent que 105 millions d'euros, et nous traitons les négociations avec le même sérieux.

Les RUP sont caractérisées par l'ampleur des fonds européens qui leur sont consacrés : 4,8 milliards d'euros, soit un cinquième des fonds européens pour la France, et 30 % des crédits du Fonds européen de développement régional (FEDER). Ces sommes sont nécessaires et stratégiques pour l'outre-mer qui a des besoins importants pour rattraper son retard en matière d'infrastructures de transport, de déchets, d'assainissement, d'hôpitaux, etc. Le taux de chômage y est deux fois supérieur à celui de la métropole. Toutes ces raisons justifient la mobilisation constante de la France, pour laquelle les RUP sont une priorité dans les négociations. L'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne reconnaît les régions ultrapériphériques, caractérisées par leur insularité et leur éloignement.

Les règlements européens prévoient quelques spécificités pour les RUP : un taux de cofinancement supérieur aux autres régions, actuellement de 85 % ; la possibilité de financer des dépenses non éligibles en métropole, comme des filiales de grandes entreprises, des aéroports, des infrastructures de transport, etc. ; et une allocation spécifique aux RUP (ASRUP) au sein du FEDER, d'un montant de 35 euros par habitant par an sur la programmation 2007-2013, 30 euros durant la programmation actuelle, pour prendre en charge les surcoûts spécifiques outre-mer, comme le fret.

Les autres modalités de mise en oeuvre des fonds n'ont pas de spécificité procédurale pour les RUP : les conditions de programmation, d'audit, d'organisation des autorités de gestion sont les mêmes qu'en métropole.

Les situations des RUP sont diverses : La Réunion n'a pas les mêmes besoins que Mayotte, ni les mêmes capacités en ingénierie

Votre mission d'information traite de la sous-utilisation chronique des fonds européens. Sur la programmation précédente 2007-2013, les chiffres sont quasiment stabilisés. Comme le souligne la Cour des comptes, le FEDER a été utilisé à 100 %, le Fonds social européen (FSE) massivement - entre 99 % et 100 %, hormis en Guyane, en raison d'une période difficile en 2015-2016 pour les trois niveaux concernés : l'autorité de gestion - à l'époque, l'État - l'organisme intermédiaire, soit le conseil régional, et l'autorité de certification. En revanche, le taux de consommation du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) oscille entre 91 % et 94 %.

Nous sommes prudents sur la période actuelle car les taux de programmation et de réalisation sont très variables et peuvent évoluer en quelques mois. Ainsi, entre le 1er janvier et le 30 juin derniers, les taux de programmation du FSE et du FEDER ont augmenté de 12 %. Néanmoins, l'outre-mer souffre d'un retard de programmation par rapport à la moyenne nationale, qui est de 67 % pour le FEDER et le FSE, avec des taux de programmation parfois inférieurs à 60 % au 30 juin pour les deux fonds, notamment pour le FEDER en Guyane et en Martinique, pour le FSE géré par les collectivités en Guadeloupe et en Martinique, et par l'État à La Réunion et à Mayotte. L'écart est plus marqué pour le FEADER : alors que le taux de crédits engagés est de 63 % à l'échelle nationale, les outre-mer sont un tiers en dessous... La situation évolue très vite pour la programmation, avec une croissance très forte depuis quelques mois. Il nous faut programmer des fonds européens avant fin 2020, sinon nous aurons un télescopage entre l'ancienne programmation et la nouvelle, comme ce fut le cas en 2014. Nous sommes en liaison étroite avec les autorités de gestion pour programmer au maximum, tout en veillant à la qualité des projets.

Pourquoi les outre-mer ont-ils un taux de programmation plus faible ? Il faut distinguer les spécificités ultramarines des raisons communes à toutes les autres autorités de gestion. Toutes les autorités de gestion ont souffert de l'adoption tardive des règlements et des accords de partenariat ; de l'adoption de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, la loi MAPTAM, et de ses décrets fin 2014 ; de la mise en place de la décentralisation des autorités de gestion - jusqu'en août 2017 pour Mayotte ; de la bascule tardive des équipes dédiées de l'État vers les conseils régionaux après les décrets de 2014 et 2015 ; du renforcement des exigences réglementaires pour la programmation actuelle ; du démarrage compliqué des outils informatiques, Osiris et Synergie.

Les spécificités ultramarines sont d'abord conjoncturelles. Le début de la programmation a coïncidé avec la fusion des collectivités de Guyane et de Martinique en une collectivité unique. Il n'y a pas de lien de cause à effet, mais cet élément de contexte a compliqué le démarrage de la programmation. Par ailleurs, certaines collectivités - notamment la Guyane et surtout Mayotte et, dans une moindre mesure, les directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour le FSE - sont pénalisés par une faible attractivité pour attirer et fidéliser des agents formés à la gestion des des fonds européens. Au Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) de Mayotte, les agents sont majoritairement contractuels et restent en poste un à deux ans maximum. Ce turn-over est également important en Guyane. Les autorités de gestion décentralisées ont été confrontées au même problème et n'ont pas toutes pu bénéficier du transfert d'agents de l'État, souvent repartis en métropole.

En outre, une autorité de gestion du FEDER en outre-mer gère de nombreux dossiers techniques et complexes sur les ports, les aéroports, les routes, les déchets, l'assainissement, etc. L'ingénierie publique et privée est souvent faible. On observe une telle situation pour les crédits de l'État, comme les fonds exceptionnels et les contrats de plan État-région. Les projets ont du mal à sortir faute d'ingénierie suffisante et compte tenu de la complexité des dossiers ultramarins - spécificités foncières, normes parasismiques ou para-cycloniques.

Nous avons actuellement deux préoccupations : d'abord, nous craignons le risque de dégagement d'office. Il n'y a pas eu, en 2018, de dégagement d'office, sauf sur le programme INTERREG Mayotte/Madagascar/Comores, à hauteur de 200 000 euros. En 2019, sur le FEDER et le FSE, de nombreuses RUP ne présentent pas de risque de dégagement d'office, même si la marche est plus haute. Il existe un risque de dégagement d'office pour le FSE à Mayotte, mais qui est géré par l'État et non par la collectivité. En revanche, nous sommes préoccupés par le FEADER : la Martinique et la Guyane, fin mai, étaient à 65 % du seuil de dégagement d'office. La marche est élevée, mais les responsables sont conscients des difficultés et y travaillent.

Deuxième point d'attention : le CFP post-2020. Le ministère des outre-mer est attaché au maintien de spécificités ultramarines dans les fonds, avec le maintien d'un taux de cofinancement spécifique et une concentration thématique sur des priorités ultramarines - eau, déchets, environnement. Nous ne voulons pas que les projets soient entravés par une concentration inadaptée, des règles d'éligibilité trop strictes - ainsi, la Commission européenne prévoit à ce stade l'inéligibilité de projets de valorisation des déchets-. Nous sommes également attentifs aux montants financiers, l'ASRUP notamment, mais plus généralement le montant global pour les RUP et PTOM dans le cadre des négociations réglementaires. La négociation financière se tiendra au second semestre 2019.

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