Votre commission revêt à mes yeux une importance particulière, car lorsque l'on évoque la question du logement, on l'aborde tantôt sous le prisme de la construction, tantôt sous celui de la rénovation, mais il est rare que l'on examine ensemble ces deux aspects pourtant complémentaires Il ne faut pas en effet opposer ces deux dimensions. Lorsque je suis arrivée au ministère du logement en avril 2014, j'ai ainsi souhaité mener une action globale, avec le plan de relance pour le logement qui a d'abord été présenté en juin, puis complété en août 2014 : l'ambition était de traiter la question de la construction, sans oublier la rénovation. Pour résoudre la crise du logement, il faut agir sur ces deux leviers en même temps. Un ministre doit avoir une vision globale de toute la filière et ne pas opposer les acteurs les uns aux autres.
Je ne m'attarderai pas sur la construction aujourd'hui, mais cet aspect est important pour fluidifier les parcours résidentiels : lorsque l'on procède à la rénovation d'une copropriété dégradée par exemple, il convient d'avoir anticipé la question du relogement.
Le plan de relance avait deux priorités : soutenir la construction - je n'y reviens pas - et développer la rénovation thermique et énergétique. Ce plan a permis de donner une impulsion politique forte.
Un premier axe concernait le parc HLM. Nous avons mobilisé avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) plusieurs outils : le prêt à l'amélioration de l'habitat, l'éco-prêt logement social (éco-PLS) destiné à la rénovation thermique du parc de logements sociaux, et le prêt « anti-amiante » pour financer les surcoûts liés à la présence d'amiante en cas de rénovation globale. Un dispositif de mutualisation financière des ressources des bailleurs sociaux a permis de débloquer 750 millions en trois ans pour rénover le parc social.
Notre action s'est aussi dirigée vers le parc privé. Nous avons pris des mesures pour mieux informer et accompagner les ménages désireux de faire des travaux d'économies d'énergie dans leurs logements : le crédit d'impôt transition énergétique permettait de financer les travaux, à hauteur de 30 %, sans les conditionner à la mise en oeuvre d'un plan global de rénovation - cela représentait 1 400 euros par bénéficiaire en moyenne.
Nous avons aussi renforcé le programme « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) : les aides ont été augmentées et le champ des bénéficiaires potentiels élargi pour concerner 45 % des propriétaires occupants d'un logement de plus de 15 ans. Le programme « Habiter mieux » avait pour objectif de rénover plus de 50 000 logements par an. Finalement, le nombre de rénovations de logements financés par l'Anah, a été multiplié par 4 par rapport à 2012.
Les ressources de l'Anah ont été augmentées afin de lui permettre de rénover plus de 45 000 logements en 2015. Le fonds d'aide à la rénovation thermique avait été renforcé. De même, 250 millions d'euros ont été mobilisés annuellement dans le cadre du programme « Habiter mieux » à cette fin.
De telles mesures n'ont pas eu d'effets immédiats. Les services de l'Anah n'étaient pas préparés à traiter autant de demandes. Mais cette politique a voulu s'inscrire dans la durée. C'est un point essentiel : pour être efficaces, les dispositifs doivent s'inscrire dans le temps long afin de rassurer les ménages et donner de la prévisibilité aux entreprises. L'octroi du CITE ou de l'éco-prêt à taux zéro (PTZ), dont nous avions d'ailleurs simplifié les modalités, étaient soumis à un critère d'éco-conditionnalité : les travaux devaient être réalisés par des entreprises certifiées RGE (Reconnu garant de l'environnement). Il a donc fallu faire monter en gamme les compétences de notre tissu d'artisans et de PME pour les préparer à faire face au nombre de demandes de rénovations. Or cette montée en compétence de la filière a été lente, en dépit de la présence des financements, et cela a été source de retards.
J'avais aussi souhaité conditionner l'octroi du prêt à taux zéro dans l'ancien à la réalisation de travaux d'amélioration, qui devaient représenter au moins 25 % du coût total de l'opération à financer. Élue locale, je constatais que nos coeurs de ville ou de village abritaient des logements vacants qui nécessitaient des travaux, mais que les primo-accédants préféraient construire un logement neuf, pour bénéficier d'aides qui n'existaient pas dans l'ancien. Ce prêt à taux zéro a initialement été réservé à 6 000 communes, mais cela manquait de clarté et visibilité : pourquoi telle commune et pas telle autre, en effet ? C'est pourquoi j'ai décidé de généraliser le dispositif à tout l'ancien ; celui-ci a facilité la primo-accession dans l'ancien ; ce prêt pouvait être couplé à d'autres aides. L'effet a été positif dans de nombreuses communes et l'artificialisation des sols en périphérie a aussi été réduite.
Pour les copropriétés fragiles, problème qui reste encore d'actualité, nous avons adopté un plan triennal avec l'Anah. La difficulté est que l'enjeu va au-delà parfois de la rénovation énergétique ; il s'agit souvent d'habitats insalubres. Nous avons ainsi mobilisé 60 millions pour accompagner les collectivités territoriales dans le traitement de ces copropriétés, et nous avons créé les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCoD). La première a eu lieu à Clichy-sous-Bois. Nous souhaitions mener une action globale en mobilisant tous les partenaires.
Pour répondre à votre question sur les obstacles que nous avons rencontrés, je dirai que, si le plan de relance de la construction a fonctionné, c'est parce qu'il a été élaboré en concertation avec tous les acteurs de la filière et avec les collectivités territoriales, dans une logique de partenariat. En termes de méthode, si l'on veut réussir, il est indispensable de parvenir à entraîner toute la chaîne, des propriétaires aux professionnels en passant par les collectivités territoriales, tout en renforçant l'ingénierie. Les copropriétés dégradées restent un problème. Il convient de s'interroger sur le modèle économique. Les opérations de rénovation ont un coût et n'aboutissent pas toujours à une hausse des loyers. Il faut donc définir un modèle financier permettant d'équilibrer ces chantiers. Votre commission pourrait peut-être formuler des propositions à cet égard.
En ce qui concerne l'amélioration de la performance énergétique, il est aussi important de développer l'innovation dans la filière du bâtiment. C'est pourquoi j'ai lancé un plan de transition numérique dans le bâtiment, un plan de recherche sur l'amiante, et un programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique, qui comportait notamment un partage de bonnes pratiques et la publication de guides à destination des professionnels, afin de promouvoir l'utilisation de matériaux à faible empreinte carbone. Nous avions aussi lancé un plan bois construction. Nous avons mené également des programmes innovants avec les collectivités territoriales. L'expérimentation concernant la revitalisation des centres-bourgs visait à rénover le bâti ancien en lien avec l'Anah. Le programme « Ville de demain » dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) visait à développer les écoquartiers, et les écocités, en lien avec les métropoles, afin de trouver un modèle de gestion innovante des ressources et des services. Nous avions aussi lancé un appel à projets « Démonstrateurs industriels de la ville durable » afin de promouvoir toutes les innovations urbaines. Cet effort de recherche sur la ville durable et les matériaux biosourcés me semble moins prégnant ces dernières années. C'est dommage.
Le fait d'être un ministère de plein exercice constitue un atout pour peser dans les arbitrages ministériels. Le ministre peut ainsi défendre ses vues plus facilement que s'il était ministre délégué rattaché au ministère de l'environnement, comme c'est le cas aujourd'hui, et avoir un lien direct avec les filières, ce qui permet de porter la parole des professionnels comme des collectivités. N'oublions pas que le ministère du logement est avant tout le ministère du quotidien. On connaît l'importance du logement et de l'énergie dans le budget des ménages.
Enfin, s'agissant des freins que j'identifie, il faut s'interroger sur la méthode - je plaide pour une approche partenariale -, sur le modèle économique, notamment pour les copropriétés dégradées, et sur le reste à charge : il est en effet plus difficile de se loger pour une personne seule ou une famille monoparentale ; or on sait que la décohabitation se développe et que les familles monoparentales se multiplient. L'empilement des aides n'incite pas à procéder à des travaux de rénovation énergétique ; il conviendrait de simplifier. Toutefois, même si on a essayé de recentrer sur les aides sur les personnes plus fragiles, le reste à charge reste trop élevé et cela constitue un frein à la rénovation des logements.